Vous avez dit édition de génome ?

Marie-Cécile Damave | 20 mars 2020

Catherine Regnault-Roger est l’auteure de trois publications parues en janvier 2020 chez la Fondation pour l’innovation politique, sur l’édition de génome. Une initiative intéressante, dans le contexte sociétal d’inquiétude ou de rejet idéologique des techniques issues des biotechnologies (transgénèse, mutagénèse et nouvelles techniques d’édition du génome).

Ces trois études de Catherine Regnault-Roger, d’une trentaine de pages chacune, forment un tout. Leur lecture permet de bien comprendre les positionnements en matière de biotechnologies vertes (c’est-à-dire utilisées en agriculture) des trois principaux blocs régionaux qui comptent dans la recherche, la production et les échanges agricoles dans le monde, à savoir États-Unis, Chine et Union européenne. Dans une première approche, l’étude qui s’intitule « OGM et produits d’édition du génome : enjeux réglementaires et géopolitiques » propose un panorama géographique de la production commerciale actuelle de plantes transgéniques (OGM) dans le monde et identifie les pays les plus engagés dans la recherche impliquant les techniques d’édition de génome. Cette analyse montre que les deux grands pays leaders sont les États-Unis et la Chine.

En effet, en 2018 les États-Unis concentraient 39 % des surfaces mondiales en production de cultures OGM (75 sur 191,7 millions d’hectares), 33 % des publications de recherche sur les techniques récentes d’amélioration des plantes (1) et 41 % des brevets mondiaux déposés sur la technique CRISPR entre 1996 et 2018. Pour sa part, la Chine n’est qu’un producteur mineur de plantes OGM (2,8 millions d’ha en 2017), mais concentre davantage de publications de recherche sur les techniques récentes d’amélioration des plantes et de brevets sur la technique CRISPR que les États-Unis (respectivement 40 et 41 %).

Quid de l’Europe dans l’échiquier international ? Catherine Régnault-Roger souligne que l’hostilité à la culture des plantes transgéniques en Europe est un choix politique et non technique, puisqu’il n’a pas de bases scientifiques. Elle s’inquiète des conséquences de ces choix pour l’Europe en termes de connaissances et de compétitivité économique, puisque seulement 9 % des brevets déposés sur CRISPR à l’échelle mondiale sont européens. Pour l’auteure, il s’agit d’une véritable « déroute en matière de propriété intellectuelle ». En d’autres termes, que l’Europe ne produise pas de plantes transgéniques, passe encore, mais que sa posture antibiotechnologies la prive d’expertise scientifique sur les techniques les plus récentes d’amélioration des plantes est plus grave. En effet dans ces conditions, comment l’Europe, aujourd’hui leader mondial en termes de production et d’exportations de semences, pourra-t-elle rester dans la course face aux États-Unis et à la Chine ?

Des outils au service de la santé humaine et animale La suite logique réside dans le livret intitulé « Des outils de modification du génome au service de la santé humaine et animale ». À l’heure où en Europe, les législateurs cherchent à inventer un cadre réglementaire adapté aux organismes sélectionnés par mutagénèse, Catherine Regnault-Roger affirme que la mutagénèse et la transgénèse sont des phénomènes naturels. Et effectivement, ces deux phénomènes surviennent spontanément dans la nature, sans que l’homme n’intervienne. L’auteure rappelle même que « la mutation spontanée est un des moteurs de l’évolution ». Elle s’interroge donc sur le bien-fondé de distinguer le naturel de l’artificiel. Et pour cause : c’est justement sur cette distinction que repose la définition de l’OGM dans la Directive européenne qui les encadre (2001/18). Elle est donc devenue obsolète, précisément pour cette raison, puisqu’elle définit un OGM comme un organisme qui n’est pas obtenu naturellement. Depuis que cette directive a été établie il y a dix-neuf ans, les connaissances scientifiques et les biotechnologies ont évolué, et elle doit être adaptée aux techniques récentes d’amélioration des plantes.

Outre cette question réglementaire, ce second livret décrit les applications des biotechnologies en santé humaine, animale etvégétale, réunies dans le concept « One Health (2) ». Il s’agit par exemple de la synthèse d’insuline, d’hormone de croissance, de production d’EPO et de vaccins recombinants contre l’hépatite B ou la grippe par des OGM, mais également de production de plantes biofortifiées, de thérapie génique pour traiter la leucémie, de modification génétique d’insectes rendus stériles pour lutter contre des maladies mortelles telles que le paludisme…

Dernière étude de Catherine Regnault-Roger, celle qui s’intitule « Des plantes biotech au service de la santé du végétal et de l’environnement ». Elle complète l’approche « One Health » avec des exemples de contributions des techniques récentes d’amélioration des plantes à la santé de celles-ci (résistance aux maladies et aux ravageurs), des animaux et des humains (réduction risques d’infection par les mycotoxines notamment). Ce troisième livret présente également d’autres objectifs servis par la sélection des plantes par les biotechnologies : adaptation au changement climatique (tolérance à la sécheresse) et bien-être des agriculteurs (réduction du nombre de traitements phytosanitaires).

Notons que les demandes des consommateurs pour une transformation des pratiques agricoles plus inspirées de la  nature, une alimentation plus locale et plus équilibrée, et enfin pour une économie davantage biosourcée et circulaire ne sont pas évoquées dans ces publications. Pourtant, les biotechnologies apportent des réponses à toutes ces demandes.

Catherine Regnault-Roger est professeur émérite des universités de Pau et des Pays de l’Adour, membre de l’Académie d’agriculture de France, membre correspondant de l’Académie nationale de pharmacie et membre du comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies. Elle est l’auteure de trois publications parues récemment chez la Fondation pour l’innovation politique, sur l’édition de génome : OGM et produits d’édition de génome : enjeux réglementaires et politiques ; Des outils de modification du génome au service de la santé humaine et animale et Des plantes biotech au service de la santé du végétal et de l’environnement.

Notes

(1) Aussi appelées New Breeding Techniques ou NBT, parmi lesquelles se trouvent les techniques d’édition de génome. CRISPR est la technique d’édition de génome la plus prometteuse sur les plantes cultivées et qui concentre le plus grand nombre de publications scientifiques (environ les trois quarts) au niveau mondial.

(2) En français « Une seule santé, un seul monde » proposé par l’Organisation mondiale de la santé.

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