La pandémie de Covid-19 : une affaire de vieux ?

Marc Fornacciari | 02 octobre 2020

Depuis le début de la crise sanitaire, une « petite musique » est souvent revenue : on aurait arrêté l’économie et préparé la plus grave crise depuis celle de 1929 pour sauver une frange de la population dont l’espérance de vie est, par nature, déjà réduite.

Cet argument se heurte évidemment à l’éthique fondamentale de notre société : une vie est une vie, et nous ne pouvons laisser personne au bord du chemin. La santé n’a pas de prix, même si elle a un coût. Les morts de la canicule de 2003 étaient aussi des personnes âgées, et pourtant il s’agissait de morts de trop. Par ailleurs, les jeunes ont des parents et des grands-parents, ils les aiment et sont inquiets pour eux. La famille est une valeur qui se porte bien chez nous.

D’ailleurs, ce qui est remarquable, c’est que cette « petite musique » est jusqu’ici peu audible. Il est au contraire extraordinaire que les moins de 60 ans aient accepté de sacrifier leur bien-être pour prolonger la vie des plus âgés. Il n’en a pas toujours été ainsi. Tout le monde a oublié une autre épidémie, celle de la grippe de Hongkong qui, entre 1968 et 1970, a fait entre 30 000 et 35 000 morts en France. Or 90% des décès concernaient des personnes de plus de 65 ans, (contrairement à la grippe espagnole de 1918-1919 qui a tué de nombreux jeunes, notamment des soldats). La jeunesse des années 1960, qui croyait en l’expansion, n’a pas arrêté l’économie. Combien de vies auraient alors pu être sauvées ?

Les mentalités ont donc évolué, dans le bon sens. D’abord, une certaine insouciance a disparu. Désormais, le citoyen est tympanisé par les médias, avachi dans les réseaux sociaux, et tellement investi dans la blogosphère que, lorsque ces canaux diffusent l’angoisse, il n’y a plus moyen de penser à autre chose. Notre époque est devenue celle des peurs et du millénarisme ; ce n’était pas le cas il y a cinquante ans. Mais, surtout, la mort, même des plus âgés, est devenue insupportable aux yeux de beaucoup, et c’est un progrès civilisationnel.

La concentration des morts sur une certaine tranche d’âge amène à un certain nombre de réflexions. Tout d’abord, elle explique sans doute en partie le calme relatif de la population. Certes, l’inquiétude, et même la peur sont là, mais rien de comparable avec la panique provoquée par les grandes épidémies du Moyen Âge ou du XIXe siècle, comme celle du choléra en 1832. Cela tient sans doute, partiellement, au fait que « les vieux » n’ont pas peur pour leurs enfants : ils savent qu’en principe ceux-ci ne mourront pas. Et les jeunes n’ont pas trop peur pour eux-mêmes, statistiques à l’appui.

Mais, même si les mentalités ont changé, il pourrait y avoir un ressentiment plus ou moins avoué, plus ou moins latent. La génération qui meurt du virus, pour laquelle on a mis en veille le pays, est déjà mise en accusation pour avoir joui de la croissance, détruit l’environnement et creusé la dette que « les jeunes » devront assumer un jour. Tout cela n’est pas bon pour notre société déjà divisée. Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle lutte des classes – d’âge cette fois-ci.

Ce texte a été rédigé le 26 mai 2020, actualisé et publié le 2 octobre 2020.