La scène startup tech israélienne, une inspiration levantine pour la France qui entreprend
Hanae Bezad | 04 novembre 2015
Un souffle nouveau sur « le pays qui aime les idées » : la scène startup tech israélienne, une inspiration levantine pour la France qui entreprend
Par Hanae Bezad
Alors que la French Tech se déploie, et commence à compter sous ce label de belles réussites à son actif (Withings, Sigfox, Deezer, Leetchi pour ne citer qu’eux[1]), l’heure est manifestement à l’embellie dans le discours sur l’entrepreneuriat français, qui en devient performatif. L’objectif est clair pour ses représentants : diffuser le signal que la scène tech française se trouve aujourd’hui à un point d’inflexion[2], et que les ambitions entrepreneuriales made in France sont tout à fait dignes d’être exposées, exportées, et confrontées à d’autres marchés.
La France se présente aujourd’hui comme un pays où l’entrepreneuriat est non seulement possible, encouragé par les dispositifs économiques mis en place par la puissance publique, mais surtout valorisé socialement, soutenu tant par les gouvernants que les dirigeants C-level du CAC 40 qui démultiplient les initiatives d’open innovation en créant des liens étroits avec les écosystèmes entrepreneuriaux.
Invité à la 5ème édition du festival Digital Life Design à Tel Aviv en septembre dernier, le ministre de l’économie Emmanuel Macron s’est fait l’ambassadeur de ce renouveau schumpétérien en France, en proposant même, aux côtés du serial entrepreneur Yossi Vardi (à qui l’on doit notamment ICQ, la première plateforme de chat en ligne dès 1996) l’organisation d’une édition française du Digital Life Design dès 2016.
En attendant ce prochain événement, on se dit qu’un rapprochement avec ladite « startup nation[3] » est sans doute de bon augure. Deuxième industrie high-tech après la Silicon Valley, la Silicon Wadi israélienne produirait plus de 1 500 startups par an selon Yossi Vardi, dont l’attractivité n’a jusqu’à présent jamais été démentie. Aujourd’hui, 20% des entreprises côtées dans le NASDAQ sont israéliennes et le montant global des transactions de l’industrie high tech israélienne, en forte croissance depuis 2010, a atteint près de 15 milliards de dollars.
Quelles sont les recettes de la réussite entrepreneuriale israélienne ? Comment s’en imprégner au mieux ? Est-ce seulement possible pour faire de la France, « ce pays qui aime les idées[4] », celui où elles se matérialisent avec succès dans le monde des affaires, aussi souvent qu’elles sont débattues ?
La question est vaste, et mérite sans doute plus que le tableau succinct proposé ici.
L’impertinence en héritage : le prélude au succès du projet entrepreneurial de la nation israélienne
Commençons par le moins tangible… et pourtant la caractéristique la plus saillante de la culture israélienne si l’on en croit ses ressortissants. Les chercheurs Dan Senor et Saul Singer2 nous révèlent dès le premier chapitre de leur ouvrage les éléments culturels de la combinaison gagnante israélienne : « it is a story not just of talent but of tenacity, of insatiable questioning of authority, of determined informality, combined with a unique attitude toward failure, teamwork, mission, risk, and cross-disciplinary creativity ».
L’audace de renverser la perspective, l’impertinence de tout questionner…la chutzpah israélienne en somme, ce mot yiddish que Leo Rosten définit de la façon suivante : « a gall, brazen nerve, effrontery, incredible ‘guts’, presumption plus arrogance such as no other word and no other language can do justice to »[5].
Au nom de la chutzpah, les entrepreneurs israéliens font bouger les lignes, en faisant peu de cas des conventions paralysantes : « If the standards and norms are blocking your growth you invent new ones. Chutzpah, I think, really characterises Israeli entrepreneurs. They never take ‘no’ for an answer. If something seems impossible, they just find a loophole and solve it that way [6]» observe Gilad Japhet, fondateur et CEO de MyHeritage, site de généalogie qui compte déjà 75 millions d’utilisateurs.
Cette impertinence nourrit la culture du débat, qui nous est familière. Les Français ont aussi, indéniablement, l’exercice de la controverse à cœur.
Le goût pour le risque : de l’héritage migratoire à l’institutionnalisation par le service militaire
L’innovation tient à une capacité à adopter une perspective différente : l’immigration en est un des ressorts. L’État d’Israël est une mosaïque de cultures : ladite startup nation nation réunit en fait des ressortissants de 70 pays différents. Deux tiers des israéliens sont des immigrés, dont on sait qu’ils sont naturellement moins averses au risque dès lors qu’ils démontrent une capacité à se déraciner pour s’installer dans un nouveau pays. Entre 1990 et 2000, des vagues d’immigration venues de l’ex-URSS ont permis à Israël d’accueillir des centaines de milliers d’ingénieurs très qualifiés. C’est cette même dynamique qui est aujourd’hui recherchée au travers de la mise en place d’un visa spécifique de 2 ans pour tout entrepreneur étranger avec une proposition de startup tech pouvant bénéficier à l’économie israélienne.
Inspirés par leurs aînés immigrés ou eux-mêmes immigrés, les Israéliens bénéficient également d’une éducation qui promeut le leadership. Le service militaire obligatoire, « Sherout Hova », aujourd’hui à 32 mois, constitue une expérience individuelle structurante durant laquelle les jeunes israéliens apprennent à valoriser leurs qualités propres au sein de leurs unités. Dari Schechter, Manager Community & Marketing au sein de Mindspace, espace de coworking très prisé à Tel Aviv nous confie qu’après une expérience d’une telle intensité, la désinhibition joue en faveur des ambitions entrepreneuriales de tout un chacun : « You feel you can do everything ».
L’adversité créatrice de valeur : quand l’insularité catalyse la création high tech
Yossi Vardi insiste sur cette filiation, pour le moins ironique: « The two real fathers of Israeli high-tech are the Arab boycott and Charles de Gaulle, because they forced us to go and develop an industry ».
La situation politique d’Israël que l’on connait a renforcé la propension des entrepreneurs à exporter leur production vers des pays acheteurs éloignés. D’où une aversion aux produits manufacturés auxquels aux forts coûts d’exportation, et une préférence pour les produits de petite taille, composants informatiques ou logiciels.
L’investisseur Orna Berry confie à Dan Senor et Saul Singer : « high tech telecommunications became a national sport to help us fend against the claustrophobia that is life in a small country surrounded by enemies ».
La construction d’un écosystème au service du projet national d’innovation entrepreneuriale
Face à l’affluence migratoire en provenance de l’ex-URSS, l’ Office of the Chief Scientist (« OCS ») qui apporte un soutien opérationnel et financier à la recherche civile met en place un programme de création d’incubateurs pour bénéficier de l’opportunité sans précédent de cette main-d’œuvre ultra-qualifiée et développer la scène high tech. Deux ans plus tard, le programme Yozma vient compléter ce dispositif bien pensé pour permettre la création de dix nouveaux fonds de capital-risque. Aujourd’hui, 85% du budget annuel de l’OCS[7] sert à du financement d’amorçage de projets innovants.
L’écosystème entrepreneurial israélien doit beaucoup au soutien américain au travers du Binational Industrial Research & Development, un programme américano-israélien mis en place dès 1977 qui a soutenu plus de 800 joint-ventures.
L’écosystème entrepreneurial se veut d’ailleurs de plus en plus inclusif. En effet, plusieurs accélérateurs se destinent à des minorités qui ne bénéficient en général pas des mêmes opportunités de financement : citons par exemple Kamatech, un accélérateur de startup destiné aux Juifs ultra-orthodoxes et Naztech, destiné aux Arabes Israéliens.
Quelques startups israéliennes dont on ne se passe déjà plus
La combinaison gagnante israélienne porte ses fruits et nous donne à voir de beaux succès digitaux dont on ne se passe déjà plus.
En mars 2015, la startup israélienne Meerkat lance une app qui permet de diffuser en direct des vidéos en streaming, notamment sur le site de micro-blogging Twitter. Elle lève 12 millions de dollars après seulement 30 jours d’activité. Suscitant l’engouement des technophiles, la startup fait néanmoins face quelques semaines plus tard au lancement de Periscope par Twitter. La presse spécialisée annonce déjà la fin de Meerkat, alors que l’équipe s’adjoint les talents d’une vingtaine de nouvelles recrues, et propose en septembre 2015 de nouvelles fonctionnalités, comme le live poll ou la publication intégrée sur le mur Facebook, qui lui permettent de revenir dans la course.
Fondée en 2008 par Uri Levine, Ehud Shabtai et Amir Shinar, l’app communautaire de trafic et de navigation Waze connaît un tel succès qu’elle attire les convoitises d’Apple, Facebook, Google, ce dernier remportant la course pour une transaction d’un montant de 966 millions de dollars en juin 2013. La communauté Waze positionne les événements de trafic (bouchons, contrôles de police, accidents, …) en temps réel, ce qui fait bénéficier à l’ensemble de ses utilisateurs d’une info-trafic constamment à jour et d’un calcul d’itinéraire pertinent. En suivant le même principe de crowdsourcing de l’information, l’app permet d’identifier la station essence la moins chère sur son trajet ou de trouver une place de parking.
L’acquisition de Waze a permis à Google de proposer une nouvelle app, RideWith, qui met en lien en temps réel des covoitureurs avec les utilisateurs bénéficiaires de l’app et sécurise la transaction de covoiturage. Le projet pilote est actuellement déployé à Tel Aviv, Ra’anana et Herzliya.
Venues d’Israël ou d’ailleurs, les inspirations entrepreneuriales auront toutes de la valeur dès lors qu’elles permettent de raviver l’inextinguible vitalité de la pensée française, dans son expression économique. Rien de plus simple me direz-vous… il suffit de choisir ses ingrédients parmi ceux qu’identifie Sudhir Hazareesingh dans ce pays qui aime les idées3. D’abord stimuler le goût de l’abstraction, pour imaginer des concepts qui séduisent un marché au-delà de nos frontières, l’imprégner d’esprit critique pour relever la texture disruptive, ajouter l’ingrédient – pluriséculaire – d’aspiration à l’universel … et mélanger le tout avec une (énorme) dose d’empirisme et de pragmatisme qu’il nous faudra emprunter chez nos voisins.
Pour aller plus loin
– Un mapping de l’écosystème entrepreneurial israélien https://mappedinisrael.com/
– Le rapport de l’OCS http://www.matimop.org.il/innovation_report2015.html
– Des classements de startups israéliennes qui font l’actualité business en 2015 http://siliconwadi.fr/15199/les-20-start-ups-israeliennes-qui-vont-marquer-2015
http://www.globes.co.il/en/article-storedot-named-globes-most-promising-startup-of-2015-1001073844
[1] Withings, leader des objectifs connectés, Sigfox, numéro un de la connectivité cellulaire des objets, Deezer, plateforme de streaming musical, Blablacar, leader du covoiturage désormais valorisé à 1,6 milliard de dollars, ou encore Leetchi, cagnotte en ligne rachetée en septembre 2015 par Crédit Mutuel Arkéa pour près de 50 millions d’euros
[2]http://edition.cnn.com/2015/02/21/intl_tv/chambers-france-digitization/
[3] Termes consacrés par les chercheurs Dan Senor et Saul Singer dès 2009 dans l’ouvrage Start-up nation : the story of Israël’s economic miracle
[4] Version française du livre de Sudhir Hazareesingh, How the French think : an affectionate portrait of an intellectual people
[5] Leo Rosten, The Joys of Yiddish, New York : McGraw Hill, 1968
[6]https://indexventures.com/news-room/index-insight/israel%E2%80%99s-startup-velocity
[7] Budget global $ 450 millions
crédit photo : flickr DLD Conference
Aucun commentaire.