Mélenchon : un discours ouvriériste… sans ouvriers

13 mars 2012

Si ces derniers jours les commentateurs de la vie politique ont surtout retenu le chiffre de 75 %, un autre pourcentage, « 10 % », est susceptible d’attirer l’attention de l’observateur de l’actuelle campagne présidentielle. Ce chiffre correspond aux intentions de vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon publiées dans deux sondages, alors que l’on croyait la gauche anticapitaliste définitivement condamnée à la posture de témoignage, un tribun au style populiste semble être capable de la sortir de l’ornière dans laquelle elle se trouve depuis maintenant plusieurs décennies. Ce succès – relatif et peut-être temporaire – est-il le simple  résultat d’une tactique de campagne qui a le mérite de la simplicité et qui semble s’avérer payante ?

Crédité de 10 % par deux sondages – et ainsi pour la première fois obtenant un score à deux chiffres – Jean-Luc Mélenchon constitue pour l’instant la surprise de cette campagne présidentielle. En 2007 aucun candidat de l’ « autre gauche » n’était parvenu à dépasser la barre des 5 % (Olivier Besancenot, et ses 4,08 %, réalisant le meilleur score des candidats « antilibéraux »).

La fin d’un crépuscule ?

Et la « gauche de la gauche » d’espérer enfin une existence politique qui dépasse la marginalité – rappelons cependant qu’à l’élection présidentielle de 2002 la candidate de Lutte ouvrière, Arlette Laguiller, avait obtenu des intentions de vote se situant autour des 10 %, pour finir à 5,72 %, ce qui représentait un score très honorable pour un parti très groupusculaire. La dernière fois qu’un candidat soutenu par le Parti communiste français avait dépassé la barre symbolique de 10 % des suffrages, c’était Georges Marchais… en 1981. Ses 15,35 % avaient à l’époque été vus comme un camouflet, ce qui semble aujourd’hui totalement surréaliste, au vu du maigre 1,93 % réalisé en 2007 par Marie-George Buffet…

Mais, plus largement, la faiblesse de l’extrême-gauche était surtout due à sa « balkanisation » lors des précédents scrutins présidentiels : si l’on agrège les suffrages obtenus par les différents candidats qui la composent, la barre des 10 % est régulièrement dépassée. 2007 fait figure d’exception, dans la mesure où le « choc » du 21 avril 2002 avait provoqué un vote « utile » » Royal. Les candidats de la gauche de la gauche y obtenaient 9 %, contre 13,81 % en 2002 et 13,94 % en 1995.

Il n’y a donc pas aujourd’hui de réelle percée de la gauche extrême, mais une recomposition qui, pour l’instant, amène Jean-Luc Mélenchon à concentrer la quasi-totalité de celle-ci.

La tactique du gendarme antifasciste et ouvriériste

La stratégie de ce dernier, qui a le mérite de la simplicité – taper à bras raccourcis sur Marine Le Pen tout en s’adressant à la classe ouvrière – semble à première vue payante. Elle lui permet de bénéficier d’une bonne assise médiatique sans devoir s’acharner contre la « gauche molle » de François Hollande. Ainsi, électoralement, « chauve-souris » et « semi-démente » sont des qualificatifs qui paraissent rapporter plus que « capitaine de pédalo »… et auront l’avantage d’épargner des raisonnements de pur dialecticien pour justifier une possible alliance gouvernementale – en cas de victoire du candidat socialiste – des différentes forces de la gauche….

Discours ouvriériste, électorat fonctionnaire

Mais qu’en est-il des ressorts sociologiques de la progression de Jean-Luc Mélenchon ? Est-il parvenu à atteindre sa cible ouvrière, lui permettant ainsi de se situer autour des 10 % dans les sondages ? La réalité est beaucoup plus complexe : on observe, il est vrai, par rapport à décembre 2011, une progression de l’ancien sénateur socialiste parmi les ouvriers, mais de deux points seulement (de 6,2 % à 8,4 %). C’est-à-dire autant que chez les retraités (de 7,4 % à 9,3 %) et les professions intermédiaires (de 9,7 % à 12 %), ses deux socles électoraux jusque là.

Son bon résultat en termes d’intentions de vote parmi les retraités, qui, à première vue, semble assez paradoxal eu égard au vote traditionnel de droite des seniors, traduit l’émergence d’une tendance lourde qui caractérisera peut-être la vie politique dans les prochaines décennies : la génération du baby-boom, celle qui a participé aux événements de mai 68, qui a permis la victoire de François Mitterrand en 1981, – et qui « pèse » démographiquement – pourrait changer le profil habituellement droitier du vote sénior, voire le paysage politique national, comme il le fait déjà au niveau local .

Le soutien très mesuré des classes populaires

Malgré la légère hausse de Mélenchon dans l’électorat ouvrier, l’on reste bien loin du score de Marine Le Pen dans cette catégorie. Même si elle perd trois points entre décembre et février- elle recueille encore trois fois plus d’électeurs ouvriers que son rival d’extrême gauche. Sa baisse s’explique sans doute par le peu de place pris par les questions de sécurité et d’immigration dans l’ « agenda médiatico-politique » au profit de thématiques économiques, indubitablement le point faible de la candidate du Front National. Après tout la perspective de sortie de l’euro peut aussi inquiéter l’électorat populaire du FN…

À l’inverse, lors de ses meetings, l’ancien professeur de français excelle dans l’art d’expliquer à ses ouailles les tenants et les aboutissants de la crise financière, désignant au passage des boucs émissaires promis comme jadis les aristocrates à la lanterne de la vindicte populaire, ce qui lui confère des airs de « prêtre rouge » du XXIe siècle. Paradoxe d’un discours ouvriériste qui séduit par tropisme idéologique un électorat assez éloigné de l’univers des ouvriers ; mais efficacité d’un discours agressif et vindicatif en temps de crise, d’autant que le talent de l’orateur lui vaut une certaine bienveillance médiatique.…

Rémi Hugues

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