Un nouveau revers démocratique pour les partis historiques : les élections communales en Rhénanie-du-Nord-Westphalie du 14 septembre 2025
Patrick Moreau | 18 septembre 2025
Docteur en Histoire, docteur d’État (FNSP) en sciences politiques, CNRS, spécialiste des partis extrémistes en Europe.
Sondage électoral réalisé par Ipsos sur les élections fédérales allemandes, Wahlumfrage zur Bundestagswahl von Ipsos [en ligne].
Dernier sondage électoral concernant les élections régionales en Saxe-Anhalt, Neueste Wahlumfrage zur Landtagswahl in Sachsen-Anhalt [en ligne].
Il n’y a pas de seuil électoral de 5% dans les parlements municipaux. Au total, les électeurs de Rhénanie-du-Nord- Westphalie peuvent attribuer environ 20.000 fonctions et mandats municipaux dans tout le Land. Sont autorisés à voter aux élections municipales en Rhénanie-du-Nord-Westphalie les Allemands ainsi que les ressortissants des autres États membres de l’UE âgés d’au moins 16 ans le jour du scrutin.
Les élections communales du 14 septembre 2025 montrent que la stratégie de containment de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) développée par la coalition CDU/CSU/SPD au pouvoir ne fonctionne plus. Les sondages interpellent. Dans l’ensemble du pays, l’AfD obtient des scores inquiétants. Le sondage IPSOS du 10 septembre voit l’AfD (25%) devant la CDU/CSU (24%)1. Dans les nouveaux Bundesländer, bastions de l’AfD, ce parti est à 37% en Thuringe, la CDU tombant à 25%. À la veille des élections en Saxe-Anhalt, l’AfD est presque en mesure de pouvoir gouverner seule ce Land (AfD 37%, CDU 27%)2. Si un événement tragique comme un attentat islamiste se produisait peu avant la consultation, pour la première fois depuis 1949, un parti d’extrême droite gouvernerait un Land.
Longtemps, les états-majors des partis démocratiques ont dénoncé la force de l’AfD à l’Est comme une sorte d’anomalie politique héritée de la réunification, appelée à disparaître sur le long terme. Les enquêtes d’opinions actuelles montrent que l’AfD progresse fortement à l’Ouest.
En Bavière, un sondage Forsa de début septembre voit l’AfD à 19% des intentions de vote, la CSU reculant à 37%3. En Bade-Wurtemberg, l’AfD est créditée de 16% d’intentions de vote, à Berlin de 17% ; à Brême de 10% ; à Hambourg de 13% ; en Hesse de 17% ; en Mecklembourg-Poméranie de 30% ; en Basse-Saxe de 7% ; en Rhénanie-Westphalie de 18% ; en Rhénanie-Palatinat de 18% ; en Saxe de 36%4.
Les élections communales de Rhénanie-Westphalie furent, à juste titre, présentées par la presse comme un instrument de mesure de l’efficacité de la politique gouvernementale mais aussi de l’opposition au Bundestag des Verts et de Die Linke. 13.998.669 électeurs étaient appelés aux urnes et il n’y avait pas de barre de représentativité5. L’analyse des résultats provisoires n’est guère rassurante. Plusieurs dimensions priment : la CDU reste stable, le SPD recule dans ses bastions historiques, les Verts s’affaiblissent fortement, Die Linke progresse marginalement et le BSW échoue à s’établir dans le système politique régional. Le FDP continue sa chute électorale.
Les résultats aux élections communales de 2025 et l’évolution par rapport à celles de 2020 (Rhénanie-Westphalie)

Source :
Lantagswahleiter (direction du scrutin du Land) [en ligne].
Si la progression de l’AfD n’est pas une surprise, sa montée en puissance interroge. Le résultat électoral est de fait trompeur. Si les grands partis historiques ont présenté partout des candidats, ce ne fut pas le cas de l’AfD, ni du BSW ou de Die Linke. En clair, leur potentiel électoral est plus important que ne le montrent les chiffres publiés.
Les élections communales de Rhénanie-du-Nord-Westphalie 2025 et leur évolution, 2020-2025

Source :
[en ligne].
„AfD-Kandidaten kommen in die Stichwahl“, « Les candidats de l’AfD se qualifient pour le second tour », T-online, 15 septembre 2025 [en ligne].
Tableau simplifié
2025 : 3.648 élus, dont 1.214 femmes et 2.434 hommes ;
2020 : 3.600 élus dont 1.243 femmes et 2.357 hommes.
L’AfD est parvenue au second tour dans trois grandes villes (Gelsenkirchen, Duisburg et Hagen). À Gelsenkirchen, le candidat de l’AfD a obtenu 29,8% des voix au premier tour. La candidate du SPD a obtenu 37% des voix. À Duisburg, l’AfD a obtenu 19,7% des voix et s’est classé deuxième derrière le maire SPD qui a obtenu 46% des voix. À Hagen, le candidat de l’AfD s’est qualifié pour le second tour avec 21,2% des suffrages. Le SPD et la CDU ont annoncé vouloir soutenir les candidats démocrates opposés aux candidats de l’AfD lors du second tour. Le ministre-président CDU Hendrik Wüst a réaffirmé qu’il n’y aura aucune coopération avec l’AfD au niveau communal6.
La cartographie du choix AfD7 montre que le parti obtient ses meilleurs résultats dans les bastions historiques du SPD, un signe évident du déclin lent mais continu de ce parti, mais aussi de ses difficultés à s’adresser au monde ouvrier et aux chômeurs8.
Les cercles (Kreis) et arrondissements urbains (Kreisfreistadt – Krfr.) avec les meilleurs scores pour l’AfD

Source :
[en ligne]
Les élections communales de Rhénanie-du-Nord-Wesphalie depuis 1946 (en %)

Source :
Source de l’auteur
La chaîne de radio-télévision WRD a analysé les motivations des choix politiques des électeurs9.
Les élections municipales se sont déroulées dans le Land le plus peuplé d’Allemagne. 67% des personnes interrogées se disaient intéressées par cette consultation (22% très intéressées et 45% intéressées)10.
L’intérêt pour les élections communales
Question: « Dans quelle mesure vous intéressez-vous aux prochaines élections communales ? »

Source :
WDR/Infratest Dimap, NRW-KommunalwahlTREND [en ligne].
Le bilan global des conditions de vie dans les villes et communes de Rhénanie-du-Nord-Westphalie est positif. « 77% des électeurs se disent très satisfaits (14%) ou satisfaits (63%), tandis que seulement 22% se disent moins satisfaits (17%) ou pas satisfaits du tout (5%) »11. La catégorisation permet de discerner les thématiques positives des négatives. Sont considérées positives : sécurité et ordre à 60% ; situation économique à 46% ; transports publics à 43% ; écoles et jardins d’enfants à 40% ; intégration des étrangers à 38% ; état des infrastructures de transport à 38% ; loyers à 28%.
Seul le maintien de l’ordre public et la sécurité sont considérés comme très clairement positifs (60% de satisfaits, 39% d’insatisfaits). On observe un équilibre sur la perception de la situation économique dans les villes et les communes (46% de satisfaits, 48% d’insatisfaits). Il en est de même pour les transports publics, les écoles et les crèches12. Les électeurs sont en revanche sceptiques quant à l’intégration des étrangers (38%). L’état des routes, des ponts et des pistes cyclables est jugé mauvais (30% de satisfaits face à 69% d ́insatisfaits). La situation du marché du logement et des loyers arrive en dernière position en termes de satisfaction (28% de satisfaits contre 58% d’insatisfaits).
Infrates Dimap a comparé l’avis des électeurs des petites communes de moins de 20.000 habitants à celui des personnes interrogées dans les grandes villes de plus de 100.000 habitants. « Quatre thèmes font apparaître des différences notables : alors que 70% des habitants des petites communes donnent une évaluation positive du maintien de l’ordre public et de la sécurité, ce n’est le cas que de 53% des habitants des grandes villes »13.
Villes et campagnes
Question : « Dans quelle mesure êtes-vous satisfait des conditions de vie dans la région ? »

Source :
WDR/Infratest Dimap, NRW-KommunalwahlTREND [en ligne].
Les thèmes d’actualité et les candidats en lice jouent un rôle important dans les mécaniques de mobilisation électorale. Il en va de même pour les compétences municipales des différents partis. 23% des électeurs font confiance à la CDU, 15% au SPD, 11% à l’AfD, 7% aux Verts, 4% aux associations d’électeurs locales ou alliances citoyennes, 3% à Die Linke et 2% au FDP. 12% ne font confiance à aucun parti ni aucune liste. Cette progression de l’AfD que l’on avait déjà observée aux élections européennes et fédérales de 2024 se confirme au niveau communal en Rhénanie-Westphalie. Une tendance que la ventilation par âge souligne.
La confiance envers les partis par groupes d ́âge
Question : « À qui faites-vous le plus confiance pour résoudre les problèmes locaux les plus importants ? »

Source :
WDR/Infratest Dimap, NRW-KommunalwahlTREND [en ligne].
Ibid., WDR / Infratest Dimap.
La CDU jouit de la confiance des électeurs âgés, à savoir 31% des plus de 64 ans pour 16% seulement chez les moins de 35 ans. La CDU est talonnée par l’AfD chez les jeunes (15%). Le SPD est à 13%, les Verts à 8%, Die Linke à 7%. Chez les plus de 65 ans, Die Linke est inexistante. Cette progression chez les jeunes de l ́AfD est un gage d’avenir pour ce parti qui pourra trouver de nouvelles générations de sympathisants et d’adhérents.
Si la CDU a obtenu 34% des voix chez les hommes et les femmes, le SPD est légèrement préféré par les femmes (24%), alors que les hommes n’atteignent que 21%. L’AfD est traditionnellement plus forte chez les hommes (19%, pour 14% seulement chez les femmes)14.
Le choix électoral par sexe

Source :
WDR/Infratest Dimap [en ligne].
L’économie a été au niveau communal – une tendance que l’on retrouve au niveau national15 – un thème important pour 36% des électeurs, suivie de près par l’immigration et l’intégration. La sécurité publique et l’école ont joué un rôle majeur dans le choix du candidat pour environ un quart des électeurs. L’environnement et la protection du climat n’ont préoccupé que 19% des électeurs, tandis que la question du logement et de la garde d’enfants n’a motivé que 14% d’entre eux. Enfin, le domaine de la gestion financière des villes et des communes n’a pas mobilisé les électeurs16.
Les déterminantes du choix électoral

Source :
WDR/Infratest Dimap, synthèse par l’auteur.
Note : plusieurs réponses possibles
Ibid., WDR / Infratest Dimap
Ibid., WDR / Infratest Dimap
Ibid., WDR / Infratest Dimap
François Hublet, «Comprendre la percée de l’extrême droite en Allemagne: 10 points, 15 cartes et graphiques », Le Grand Continent, 27 février 2025 [en ligne]
Ibid., WDR / Infratest Dimap
„NRW baut zu wenig Wohnungen – doch nicht überall“, « La Rhénanie-du-Nord-Westphalie ne construit pas assez de logements, mais pas partout », WDR, Kommunalwahlen 2025 [en ligne].
La question économique a été déterminante pour 56% des électeurs FDP, 51% de ceux de la CDU et pour 36% des électeurs de l’AfD17. Les électeurs AfD sont avant tout motivés par la question migratoire, alors qu’elle ne joue qu’un rôle secondaire pour le reste des votants, à l’exception de Die Linke qui défend une politique d’ouverture des frontières. 39% des électeurs de l’AfD déclarent que l’affirmation « la sécurité et l’ordre public ont été déterminants dans mon choix électoral » était « vraie », alors que 28% seulement des électeurs de la CDU, 8% de ceux de Die Linke et 5% des électeurs des Verts sont de cet avis18.
Ce sont surtout 33% des électeurs de Die Linke qui ont été sensibles à la politique scolaire et éducative. Ce thème était important pour 28% des électeurs du SPD, 25% des électeurs des Verts et 22% du FDP19. Derrière ces chiffres, on peut penser à une corrélation avec le niveau éducatif élevé des sympathisants de ces partis, alors que l’AfD est surtout présente dans les catégories les moins diplômées20.
Comme attendu, pour 75% des électeurs des Verts, la politique environnementale et climatique a été déterminante dans leurs préférences électorales. Précisons que l’AfD ne s’intéresse que très peu à la politique environnementale et climatique du pays. Ces chiffres témoignent également du recul de ces thèmes en capacité de mobilisation électorale.
Pour 37% des électeurs de Die Linke, la construction de logements et le coût des loyers ont été essentiels dans leur choix électoral21. Il s’agit d’une des principales campagnes actuelles du parti en Allemagne. Loin derrière, on trouve les électeurs du SPD avec 17%, des Verts avec 14%, de l’AfD avec 12%, de la CDU avec 10% et du FDP avec 8%. La faiblesse relative de ces chiffres s’explique par la taille du Land et son équilibre entre zones urbaines très denses et ses vastes espaces ruraux, ceci permettant d’atténuer la crise du logement22. 21% des électeurs de Die Linke ont déclaré que la politique familiale et la garde d’enfants avaient été déterminantes dans leur choix électoral. Ce chiffre renvoi à la politique de ce parti sur l’immigration et l’intégration des familles de migrants en Allemagne.
En conclusion, cette élection devrait intensifier les conflits internes de tous les partis démocratiques. L’unidimensionnalité écologique des Verts devient une faiblesse idéologique, que vient renforcer sa ligne « militariste » de soutien à l’Ukraine. Pour se stabiliser, le parti devra abandonner son style de la coalition Ampel (regroupe le SPD, le FDP et les Verts) et admettre qu’il n’est plus au gouvernement. Tout comme le SPD, il devra répondre à la montée en puissance de Die Linke, parti qui érode peu à peu son potentiel électoral. Le BSW, réduit à ses maigres bastions électoraux des nouveaux Bundesländer, est lui aussi menacé par Die Linke et peine à se faire entendre au-delà de sa campagne pacifiste mais excessivement pro-russe. Pour tenter de regagner son électorat traditionnel, le SPD devra vraisemblablement aller « vers la gauche », ce qui conduira à des tensions de plus en plus fortes avec la CSU, mais également avec la base CDU qui reproche au chancelier Merz d’être prisonnier de sa coalition avec le SPD. La tentative d’interdiction de l’AfD que souhaite la majorité des partis représentés au Bundestag reste une inconnue juridique, qui a en outre l’inconvénient de radicaliser les électeurs des nouveaux Bundesländer ainsi que la masse grandissante des citoyens mécontents de la situation politique, sécuritaire, migratoire et économique23.
2026 risque d’être l’année critique pour la coalition au pouvoir en Allemagne.