Résumé

Liste des abréviations des partis ou mouvements politiques utilisées dans cette note

Introduction

I.

La dynamique frontiste et le plafond de verre

1.

Le FN a continué de progresser en duel mais moins fortement que par le passé

2.

En triangulaire, l’Ă©volution dru score du fin entre les deux tours a dĂ©fendu de son ordre d’arrivĂ©e au premier tour

3.

Un enracinement dans les milieux populaires

II.

Un effet domino

1.

A la suite des municipales, un effet domino favorable Ă  la droite

2.

Les gauches ont Ă©galement bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un effet d’entraĂ®nement dans certaines villes

3.

Le FN a poursuivi son implantation locale

III.

L’effet sortant

1.

Un taux de réélection élevé

2.

De l’importance de la composition des binĂ´mes

Annexe

Voir le sommaire complet Replier le sommaire

Résumé

À l’occasion du second tour des élections départementales qui s’est tenu le 29 mars 2015, cette note décrypte les résultats du vote pour endéterminer les principaux enseignements. Elle revient ainsi sur la fissuration du « plafond de verre » limitant les résultats du Front national eten précise les ressorts sociaux et politiques.

Les auteurs mettent ensuite au jour un « effet domino » dans le vote des électeurs entre les résultats des dernières élections municipales etce vote départemental, et ils détaillent les contours géographiques de l’influence de l’ancrage territorial des candidats, dimension clé de ce scrutin. Dans ce cadre, ils analysent le phénomène qualifié d’« effet sortant », c’est-à-dire l’avantage détenu par les candidats sortants par rapport à leurs concurrents, dont l’ampleur est plus large que ce que l’on pourrait croire.

JĂ©rĂ´me Fourquet,

Directeur du département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop.

Sylvain Manternach,

Géographe-carthographe, formé à l’Institut français de géopolitique.

Liste des abréviations des partis ou mouvements politiques utilisées dans cette note

CPNT : Chasse, pĂŞche, nature et traditions

DVD : divers droite

DVG : divers gauche

EELV : Europe Écologie-Les Verts

EXD : ExtrĂŞme droite

EXG : ExtrĂŞme gauche

FdG : Front de gauche

FN : Front national

Modem : Mouvement démocrate

PCF : Parti communiste français

PG : Parti de gauche

PRG : Parti radical de gauche

PS : Parti socialiste

UD : Union de la droite

UDI : Union des démocrates et indépendants

UG : Union de la gauche

UMP : Union pour un mouvement populaire. Depuis le 30 mai 2015, l’UMP a changé de nom et s’appelle désormais Les Républicains.

Les 22 et 29 mars 2015, les Français ont été appelés aux urnes pour élire leurs conseillers départementaux. Suite à la loi du 17 mai 2013, ces derniers remplacent les conseillers généraux, tandis que les conseils généraux deviennent des conseils départementaux. En cette année 2015, l’ensemble des assemblées départementales ont été renouvelées et, dorénavant, elles le seront intégralement tous les six ans. La nouveauté réside dans ce renouvellement intégral (les conseils généraux étaient jusqu’ici renouvelés par moitié, ce qui avait pour conséquence d’atténuer les effets de bascule), mais aussi et surtout dans l’instauration d’un scrutin binominal et paritaire, puisqu’à partir de cette élection les électeurs devront désigner un binôme homme-femme au suffrage majoritaire à deux tours. Ce passage au scrutin binominal a imposé le redécoupage des cantons afin de diviser leur nombre par deux et de permettre un rééquilibrage démographique des cantons. Paris, la métropole de Lyon, la Guyane et la Martinique n’étaient pas concernés par ce scrutin.

Ce scrutin intermédiaire était très attendu après les revers enregistrés par la gauche aux élections municipales et européennes de 2014 et du fait de la dynamique du Front national observée depuis 2012. La présence de candidats du FN dans presque tous les cantons laissait augurer d’un résultat historique pour ce parti, mais le grand vainqueur de cette élection est finalement et incontestablement la droite. La stratégie de rassemblement de cette dernière a très bien fonctionné puisque, au lendemain de ces élections, elle a conquis 27 départements et n’en a perdu qu’un seul. À l’inverse, le grand perdant est la gauche qui perd 27 départements et n’en dirige plus que 30, victime d’une véritable vague bleue. Le FN, quant à lui, réalise un bon score et se maintient à unniveau élevé mais il ne poursuit pas sa dynamique et s’avère incapable, car trop isolé, de remporter un seul département.

La présente analyse se propose d’éclairer les principaux résultats de cette élection à partir de données d’enquêtes et d’une analyse de géographie électorale menée à différentes échelles.

I Partie

La dynamique frontiste et le plafond de verre

Notes

1.

Dont 4 dès le premier tour.

+ -

2.

La liste de ces cantons figure en annexe.

+ -

Présent dans 1.105 cantons au second tour, le Front national ne l’a emporté que dans 31 cantons1, ce qui est assez peu, mais il convient de souligner que le parti lepéniste ne disposait pas d’alliés et qu’il devait de surcroît faire face au «front républicain», pratique qui ne s’applique que contre lui. Dans  ces conditions, il était très difficile au FN de franchir le fameux «plafond de verre» et de l’emporter largement. Même si la moisson est modeste avec ces 31 cantons conquis, le FN a marqué des points et poursuivi son implantation locale. On notera par ailleurs que ses candidats atteignent entre 45 et 49,9% dans 99 autres cantons, dont 28 où leur score se situe entre 48 et 49,99% 2. Il s’en est donc fallu de peu pour que FN l’emporte dans près de 60 cantons et qu’il double ainsi son nombre de cantons remportés. Rappelons qu’aux cantonales de 2011, scrutin qui avait signé le retour du FN après les échecs enregistrés au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, la formation lepéniste n’avait remporté que 2 cantons sur les 400 où elle était qualifiée au second tour. Le FN se heurte donc encore à un plafond de verre, mais ce scrutin départemental marque néanmoins une nouvelle étape dans l’enracinement du parti et dans l’élargissement de son assise électorale.

1

Le FN a continué de progresser en duel mais moins fortement que par le passé

Si, à l’aune du critère du nombre de cantons remportés au second tour, le succès du FN apparaît en demi-teinte, on constate à la lecture du tableau 1 qu’en configuration de duels, les candidats frontistes progressent dans l’entre- deux-tours alors même qu’ils partent d’un niveau déjà élevé au premier tour (plus de 30%). Cela renseigne sur leur capacité à fidéliser leur électorat de premier tour, à mobiliser des abstentionnistes et à capter une partie des voix s’étant portées sur d’autres candidats au premier tour.

Comme lors d’autres scrutins, le score se tasse en revanche quelque peu dans les triangulaires, sous l’effet du vote utile, et nous aborderons ce point un peu plus loin.

Tableau 1 : Évolution entre les deux tours du score du FN aux départementales de 2015 dans les cantons où il pouvait se maintenir

 

Ces chiffres montrent également une progression nettement plus importante dans les duels face à la gauche (+ 9,5 points) que dans ceux l’opposant à   la droite (+ 5,4 points seulement). Ceci peut s’expliquer tout d’abord par l’ampleur du « front républicain » grâce auquel les candidats de droite ont bénéficié d’importants reports de la gauche, ce qui a freiné d’autant la dynamique frontiste dans les duels droite-FN. Ainsi, dans toute une série de cantons où avaient lieu des duels droite-FN, les candidats frontistes ont été soumis à un véritable « tir de barrage » au second tour.Ayant enregistré des scores flatteurs au premier tour et bien placés pour l’emporter, ils n’ont quasiment pas progressé au second tour quand, sous l’effet d’un puissant report des voix de gauche, les candidats de droite, pourtant souvent distancés au premier tour, voyaient eux leur score littéralement décoller, ce qui leur a permis de terrasser nettement leurs adversaires comme le montrent les quelques exemples du tableau 2.

Tableau 2 : Évolution entre les deux tours du score du FN et de la droite aux départementales de 2015 dans certains cantons soumis à des duels droite-FN

Notes

3.

Les reports de l’électorat de droite sur le FN avaient été beaucoup plus élevés dans le cadre del’élection législative partielle dans la 4e circonscription du Doubs qui avait eu lieu quelques semainesauparavant et qui avait été abondamment commentée du fait de la très forte progression du FN entreles deux D’après les calculs de l’Ifop, un tiers des électeurs de droite du premier tour de cettecirconscription avaient basculé sur le FN au second tour, soit un taux de report de 20 points supérieur àce que nous avons mesuré en moyenne pour les départementales. Ce décalage explique sans doute enpartie une dynamique frontiste moins forte qu’attendue face à la gauche au second tour. Les prises deposition très hostiles au FN de différents leaders de l’UMP, dont Nicolas Sarkozy, dans la dernière lignedroite de la campagne ont vraisemblablement eu comme effet de limiter l’ampleur de ces reports.

+ -

La meilleure fortune des représentants frontistes dans les duels gauche-FN s’explique par des reports sur le FN plus significatifs en provenance de la droite, qui a moins pratiqué le « front républicain ». Les données d’enquête de l’Ifop donnent en effet les taux de reports suivants : en cas de duels gauche-FN, les électeurs UMP-UDI du premier tour ont voté à 34% pour la gauche et à 13% pour le FN, tandis que 53% ont opté pour l’abstention ou le vote blanc3, alors que dans le cas de duels droite-FN, les électeurs PS du premier tour ont voté à 49% pour la droite (soit un taux de « report républicain » de 15 points supérieur à celui  constaté  chez  les électeurs  de droite) et 4% pour le FN (soit 9 points de moins que les reports en provenance de la droite dans la configuration de duels gauche-FN), et 56% se sont abstenus ou ont voté blanc. Dans ce contexte, assez logiquement, les 27 victoires acquises par le FN au second tour l’ont été quasiment toutes dans des situations de duels face à la gauche (20) et beaucoup plus marginalement face à la droite (3 cas : Villers-Cotterêts, Béziers-2 et Saint- Dizier-1 4) ou en triangulaire (4 cas : Berre-l’Étang, Vitry-le-François, Saint- Mihiel et Lillers 5).Le cas du Var est à ce propos des plus éloquents : sur les 22 cantons encore en jeu pour le second tour dans ce département, le FN a perdu ses 20 duels avec la droite mais a, en revanche, gagné dans les deux seuls cantons où il affrontait la gauche, à La Seyne-1 et à Garéoult.

Dans les deux configurations de duels, on observe par ailleurs que la capacité du FN à progresser entre les deux tours s’inscrit en nette baisse par rapport aux scrutins antérieurs. (voir tableau 3) Ainsi, face à la droite, le FN gagnait en général autour de 10 points, et même 16 points lors des dernières législatives, contre seulement 5 pointscette année. La chute est en revanche quasi nulle dans les duels face à la gauche si onprend comme base de comparaison les cantonales de 2004 et celles de 2011, mais néanmoins réelle si l’on se réfère aux législatives de 2012.

Tableau 3 : La progression du FN entre les deux tours en cas de duel lors desdifférents scrutins

Notes

6.

Selon le sondage Jour du vote, réalisé par l’Ifop et Fiducial pour iTélé, Paris-Match et Sud Radio, à l’occasion du premier tour, 59% des électeurs de Marine Le Pen de la présidentielle auraient participé au premier tour, contre « seulement » 50% de l’ensemble des inscrits.

+ -

Cette moindre progression dans l’entre-deux-tours s’explique-t-elle par l’existence de moindres réserves ? Cette hypothèse semble assez vraisemblable dans la mesure où, comme le montre le tableau 3, le niveau atteint par le FN cette année au premier tour est sensiblement supérieur à ce qu’il était historiquement. L’électorat frontiste se serait particulièrement mobilisé dès le premier tour, réduisant d’autant les réserves disponibles pour le second tour6.

Dans le cas des duels face à la droite, on peut penser par ailleurs que, sous l’effet de la montée largement médiatisée du FN ces derniers mois et du discours très offensif duPremier ministre appelant à y faire barrage, le « front républicain » a été plus pratiqué par l’électorat de gauche cette année.

 

2

En triangulaire, l’Ă©volution dru score du fin entre les deux tours a dĂ©fendu de son ordre d’arrivĂ©e au premier tour

Comme on l’a vu précédemment, la configuration en triangulaire est la moins favorable au FN, qui voit son score se tasser entre les deux tours en moyenne de 2,1 points dans les 254 cantons concernés. On observait déjà une tendance similaire lors des élections cantonales de 2004 (voir tableau 4, nous n’avons pas pu comparer avec d’autres scrutins plus récents car le nombre de triangulaires était trop réduit).

Tableau 4 : Évolution du score du FN aux cantonales de 2004 et 2015 dans les cantons où il pouvait se maintenir en triangulaire au second tour

En 2004, le recul au second tour était également proche de 2 points, mais le niveau moyen atteint au premier tour était, comme pour les duels, beaucoup moins élevé (20,4%) qu’aujourd’hui (29,3%). Sous  l’effet  du vote utile, le FN voit donc toujours son score s’éroder dans les triangulaires, mais sa capacité de fidélisation devient plus importante puisqu’il perd en moyenne 2,1 points sur un score de 29,3% au premier tour contre 1,7 point de perdu sur 20,4% en 2004.

L’érosion du score du FN dans les triangulaires varie également selon la configuration issue du premier tour, et principalement selon sa position. Dans les 37 cantons où leparti frontiste est arrivé en tête des trois candidats qualifiés, il a vu son score rester stableau second tour (– 0,2 point). La baisse est un peu plus sensible dans les 96 cantons où le FN était arrivé second  (–1,5 point) et atteint 3,3 points en moyenne dans les 121 cantons où le FN n’était que troisième à l’issue du premier tour. Une partie de l’électorat frontiste adopte donc un comportement stratège et arbitre au second tour entre maintenir son vote au FN si « cela vaut le coup » (c’est-à-dire si le FN est bien placé et a des chances de l’emporter) ou voter utile si le FN, arrivé troisième, a peu de probabilités de gagner. Cette attitude stratégique d’une frange de l’électorat frontiste s’illustre aussi dans le fait que dans les cantons où le FN s’est classé en seconde position, le recul entre les deux tours atteint 2 points dans le cas où c’est la droite qui est arrivée en tête au premier tour et seulement 0,8 point lorsque c’est la gauche.

Si l’évolution du score du FN varie en fonction des configurations de second tour, constate-t-on des disparités territoriales ? La comparaison de la variation du résultat du FN entre les deux tours entre ses bastions du quart nord-est et du littoral méditerranéenne fait ressortir quasiment aucun écart (voir tableau 5). Tout se passe comme si les mouvements avaient été très homogènes sur l’ensemble du territoire.

Tableau 5 : Évolution du score du FN entre les deux tours des départementales selon les régions et les configurations

On constate juste une progression un peu plus forte du FN face à la gauche dans le Sud que dans le Nord (+ 9,5 points contre + 8,6 points), ce qui semblerait indiquer de meilleurs reports de la droite sur le FN dans les départements méditerranéens, signe d’une porosité entre droite et FN un peu plus forte au Sud qu’au Nord. Cette porosité se manifeste également plus fortement dans le Bassin parisien (Île-de-France, Eure-et-Loir, Yonne, Loiret, Aube et Marne) et dans le Sud-Ouest, mais moins dans le Grand Ouest. Et, signe que l’implantation du FN demeure plus récente et plus fragile dans ses terres de mission, on observe que c’est sur la façade ouest et dans le Bassin parisien que le tassement au second tour dans le cadre de triangulaires est le plus marqué.

3

Un enracinement dans les milieux populaires

Notes

7.

Tous ces territoires sont caractérisés par la présence actuelle ou passée d’activités de constructions navales civiles ou militaires.

 

+ -

8.

Armand Colin, 1913.

+ -

Les données d’enquête concernant le premier tour des élections départementales ont confirmé l’emprise frontiste sur les milieux populaires, avec 49% parmi les ouvriers (parmi ceux étant allés voter) et 38% auprès des employés, soit une moyenne de 43% dans les catégories populaires, contre seulement 30 % pour l’ensemble des gauches et 24% pour la droite et le centre. Cette progression dans ces milieux s’est manifestée de façon spectaculaire sur le plan géographique au second tour. Dans le Nord-Est, le FN atteint des niveaux sans précédent dans les terres industrielles, comme en Moselle, avec des scores de 45,3% dans le canton de Hayange, 43% dans celui de Freyming-Merlebach ou bien encore de 42 % dans celui de Stiring- Wendel. La poussée est encore plus forte dans le Pas-de-Calais, puisque le FN est parvenu à conquérir 6 cantons sur la gauche dans le cœur du bassin minier, avec notamment les deux cantons d’Hénin-Beaumont, celui de Harnes, bastion communiste, et celui de Lens, symbole de la culture et de l’histoire ouvrières de cette région s’il en est. Nous reviendrons unpeu plus loin plus en détail sur la situation dans le bassin minier du Pas-de-Calais.

Mais, parallèlement à cette conquête des terres industrielles du Nord-Est, processus déjà bien engagé depuis plusieurs années, les élections départementales ont été marquées par une poussée sans précédent du FN dans les communes ouvrières de l’Ouest, notamment en Bretagne, jusqu’ici assez peu concernée. Des candidats frontistes ont ainsi atteint au second tour 27,1% dans le canton de Lanester, 29,4% dans  celui  de  Brest -4, 31,7% dans celui de Saint-Nazaire-2 ou 33 % dans celui de Lorient-17. On retrouve le même phénomène dans le Massif central, autre région jusqu’alors peu exposée, avec des scores impressionnants dans les quartiers ouvriers de Clermont-Ferrand (34,5% dans le canton de Clermont-1) et de Limoges (39,9% dans celui de Limoges-4) ou bien encore dans d’autres villes de    la façade Ouest, comme dans les quartiers populaires du Mans (36,3% dans le canton du Mans-5) ou de Châtellerault (36,7% dans le canton de Châtellerault-2).

Mais, sur cette large moitié ouest du pays, la poussée frontiste ne concerne pas que les cités industrielles ou portuaires. On enregistre en effet des résultats également très élevés dans les campagnes modestes de la Sarthe (36,4% dans le canton d’Écommoy , 36,1% dans celui de La Suze-sur-Sarthe ou bien encore 33,7% dans celui du Lude) ou en Vendée. Dans ce dernier département, le canton de Talmont-Saint-Hilaire avait retenu l’attention d’André Siegfried. Dans son magistral Tableau politique de la France de l’Ouest8, il avait montré, en s’appuyant sur l’exemple de ce canton, en quoi la géologie, très contrastée sur ce petit territoire, avait conditionné le mode de culture mais aussi de peuplement (habitat groupé ou dispersé) et comment in fine ces conditions socio-économiques et culturelles avaient débouché sur des comportements électoraux très tranchés à quelques kilomètres d’écart. Le canton de Talmont-Saint-Hilaire est resté pendant des décennies coupé en deux avec, au nord, des communes au sol granitique acquises à la droite et, au sud, des communes au sol calcaire  votant  à gauche. La sociologie  de cescommunes, à l’époque essentiellement agricoles, a bien évidemment considérablement changé depuis, mais cette opposition gauche-droite a longtemps perduré. Or il est intéressant de constater que le vote frontiste au second tour (le FN s’étant qualifié dans ce canton) a fait fi de cette frontière historique, ce qui démontre la puissance de sa dynamique et son caractère tout terrain (voir carte 1).

Carte 1 : Score du binôme Front national au 2e tour de l’élection départementale2015 dans l’ancien canton de Talmont-Saint-Hilaire (en % des exprimés)

Notes

9.

Les scores du FN au second tour sont également impressionnants dans d’autres fiefs historiques de On citera par exemple les 42,2% obtenus dans le canton de Trévières (zone correspondant à la baie d’Isigny, dans le Calvados) ou bien encore dans la baie de Somme, avec 41,3% dans le canton de Friville-Escarbotin et 43,7% dans celui de Rue.

+ -

10.

Voir Jérôme Fourquet et Alain Mergier, Janvier 2015 : le catalyseur, Fondation Jean-Jaurès, mai 2015.

+ -

11.

Enquête Ifop pour Sud-Ouest Dimanche, réalisée du 11 au 13 mars 2015 auprès d’un échantillon national représentatif de 1.206 personnes.

+ -

Un autre exemple de la forte plasticité du vote FN est donné par les scores de ce parti dans les territoires marqués par l’empreinte de la chasse et des chasseurs. Ainsi, sur le pourtour de l’estuaire de la Gironde, le FN a obtenu 41,6% dans le canton de Marennes, situé en Charente-Maritime, et en Gironde il a atteint pas moins  de 45% dans le canton  de Nord-Gironde  et a surtout remporté le canton voisin, celui deNord-Médoc, avec 50,5% des voix. En dépit du fort ancrage local du binôme socialiste, composé de Bernard Guiraud, maire de Lesparre-Médoc, et de Michelle Saintout, maire de Saint-Estèphe (avec comme suppléant Alain Bouchon, maire de Grayan-et-l’Hôpital), le FN s’est imposé dans ce bastion du CPNT – Francis Magenties, conseiller général du canton de Lesparre (canton ayant été intégré dans ce nouveau canton) et qui ne se représentait pas cette année, était apparenté PS, après avoir été élu sous l’étiquette CPNT et avoir été l’un des seuls conseillers généraux de ce mouvement9. Au total, même dans la partie ouest de la France, c’est désormaisl’ensemble des mondes populaires dans leur diversité qui penche progressivement vers le FN.

Cet ancrage dans les milieux populaires s’explique principalement par l’emprise idéologique et culturelle qu’y exerce le FN, mais aussi par une  certaine proximité. Cela passe par ce qu’on a appelé  avec Alain  Mergier  l’«empathie de point de vue10», et cette dimension est très importante puisque le fait que « le FN soit le seul parti qui se soucie des gens comme vous» est, avec 30% de citations, la quatrième motivation la plus évoquée, à égalité avec l’adhésion aux solutions sur l’immigration et l’intégration (33%), par les électeurs frontistes pour les élections départementales. Mais cette proximité passe aussi par la capacité du FN à présenter des candidats issus des catégories populaires, ce que ne parviennent plus à faire les autres formations politiques, comme nous l’avons vu précédemment.

Une part très importante des milieux populaires se tourne désormais vers le FN qui a su, de surcroît, cultiver dans le discours et dans  le choix de ses candidats une empathie de point de vue avec ces catégories. C’est assurément une force, car les ouvriers et employés représentent encore 45% des actifs. Ce socle ainsi constitué s’est affermi idéologiquement et s’exprime électoralement avec plus ou moins d’intensité selon la nature des scrutins. Il y a en effet, selon nous, une distinction à opérer entre le score obtenu dans les urnes et l’audience acquise dans la société. Cette influence est certes réelle, mais elle constitue un potentiel électoral qui ne se traduit pas toujours pleinement dans le scrutin, comme on l’a vraisemblablement vu lors des élections départementales du fait de l’abstention d’une partie de l’électorat frontiste. Toute une frange des milieux populaires est aujourd’hui proche du FN mais oscille entre la résignation (et donc l’abstention) et le vote pour le FN qui, pour reprendre l’expression de Céline Braconnier, « redonne du sens au vote » mais parvient à le faire surtout lors d’élections à forts enjeux, comme lors de l’élection présidentielle. Ainsi, selon une enquête menée à l’occasion des départementales11 , on constatait que l’item « parce que ces élections ne changeront rien à votre situation », qui arrivait en tête des raisons invoquées par les personnes comptant s’abstenir, était encore bien plus cité par les électeurs de Marine Le Pen de 2012 comptant s’abstenir : 54% de citations, contre 38% pour la moyenne des abstentionnistes.

II Partie

Un effet domino

Bien qu’il s’agisse d’un scrutin local, la large victoire de la droite et du centre aux élections départementales a été analysée comme la résultante d’un puissant vote sanction contre la politique menée par François Hollande. La dimension nationale de ce scrutin a certes été déterminante, comme dans toute élection intermédiaire, mais on peut aussi se demander si, localement, la défaite de la gauche n’a pas été encore amplifiée par un effet domino consécutif à la perte de nombreuses mairies il y a un an.

1

A la suite des municipales, un effet domino favorable Ă  la droite

Quand on analyse les résultats commune par commune, on constate, d’une manière générale, que la gauche est parvenue à conserver une majorité de cantons dans les villes qu’elle avait gardées aux dernières élections municipales et, inversement, que les victoires de la droite obtenues dans certaines villes en mars 2014 ont été suivies par d’autres victoires aux départementales. Ce double phénomène se retrouve notamment dans le Grand Ouest où la gauche avait bien résisté aux municipales. Comme le montre le tableau 6, le bilan de la droite est extrêmement maigre avec, au mieux, un canton gagné dans les bastions de gauche que restent Le Mans, Nantes, Rennes, Brest ou Poitiers.

 

Tableau 6 : Grand Ouest : nombre de cantons remportés par la droite dans différentes villes

Notes

12.

Et le troisième canton, celui d’Angoulême-2, n’a été sauvé par la gauche qu’avec 70 voix d’avance.

+ -

À Nantes et au Mans, où 7 cantons étaient en jeu, la droite n’en remporte qu’un seul, au Mans. La très bonne résistance de Nantes, et plus largement de son agglomération, a d’ailleurs permis à la gauche de sauver de justesse le conseil général de Loire-Atlantique (à un canton près), quand la droite raflait quasiment tous les cantons ruraux et périurbains. Mais, toujours dans cette région, la droite a à l’inverse poussé son avantage et remporté de nombreux cantons dans les villes conquises l’an dernier : 3 sur 3 à Évreux, 3 sur 4 à Tours, 2 sur 3 à Laval (Guillaume Garot, l’ancien maire, s’imposant à Laval-3 avec 55,9  des voix) et, avec un ratio un peu moins bon, à Angers, 3 sur 7.

On retrouve le même phénomène dans le Grand Sud-Ouest (voir tableau 7), avec une moisson très consistante pour la droite et le centre à Pau, conquise par François Bayrou l’an dernier (3 cantons sur 4), à Angoulême (2 sur 3)12 ou bien encore à Niort, qui avait basculé à droite dès le premier tour  à la surprise générale  et qui confirme ce basculement  un an après  avec  2 cantons sur 3 pour l’alliance Modem-UDI-UMP. À l’inverse, Poitiers, qui était demeurée fidèle à la gauche aux municipales, résiste de nouveau à la vague bleue avec seulement 1 cantonsur 5 à droite. Toulouse, quant à elle, se trouve dans une situation intermédiaire avec seulement 3 cantons sur 11 à droite.

Tableau 7 : Grand Sud-Ouest : nombre de cantons remportés par la droite dans différentes villes

On observe un phénomène similaire à Amiens qui, bien qu’ayant basculé à droite, n’a offert que 2 de ses 7 cantons à la droite et au centre. Mais  Amiens fait figure d’exception dans le Grand Nord-Est (voir tableau 8), car on constate dans toutes les autres grandes villes une correspondance très nette entre le résultat des municipales etle ratio de cantons remportés par la droite cette année.

Tableau 8 : Grand Nord-Est : nombre de cantons remportés par la droite dansdifférentes villes

Le cas du département du Nord, où la droite avait conquis de nombreuses villes moyennes ou petites, est également intéressant à analyser dans le détail et valide aussi à cette échelle l’effet domino. Les deux cantons de Tourcoing ainsi que celui de Bailleul et d’Hazebrouck sont à droite. C’est le cas également de celui de Maubeuge,où le nouveau maire, Arnaud Decagny, était candidat aux départementales, et dans celui de Fourmies, où le maire Mickaël Hiraux était aussi candidat, et d’un des deux cantons de Roubaix. L’existence d’un effet domino consécutif aux municipales semble seconfirmer également lorsque l’on observe le vaste agrégat Bourgogne-Auvergne-Rhône- Alpes (voir tableau 9). Certes, Clermont-Ferrand maintient sa fidélité à la gauche, comme aux municipales, en ne concédant aucun de ses 6 cantons à la droite, mais cette dernière a continué sur sa lancée de l’année dernière en remportant une majorité de cantons (ou la quasi-majorité dans le cas Limoges) dans les autres villes qu’elle avait conquises aux municipales.

Tableau 9 : Bourgogne, Auvergne, Limousin, Rhône-Alpes : nombre de cantonsremportés par la droite dans différentes villes

Notes

13.

Et plus au sud, à Ajaccio, conquise en 2014, scrutin confirmé ensuite par une élection partielle, la droite remporte les cinq cantons.

+ -

À Valence, la droite remporte 3 cantons sur 4, et Nicolas Daragon, le nouveau maire UMP, s’impose avec 73% des voix dans le canton de Valence-3. À Chambéry, ladroite rate de peu le grand chelem, puisque Thierry Repentin, figure locale du PS, ne sauve le canton de Chambéry-1 qu’avec 9 voix d’avance, les deux autres cantons étant gagnés par la droite13.

 

 

2

Les gauches ont Ă©galement bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un effet d’entraĂ®nement dans certaines villes

Mécaniquement, l’effet domino a essentiellement profité à la droite aux départementales, puisque c’est elle qui avait remporté haut la main les municipales de l’année précédente. Mais il est intéressant de constater que les gauches en ont aussibénéficié dans les villes qu’elles avaient conquises ou dans lesquelles des listes dissidentes avaient évincé le PS.

Ainsi, à Avignon, quasiment seule grande ville ayant basculé de droite à gauche au printemps dernier, les gauches rassemblées remportent les trois cantons de la ville. Il s’agit certes de victoires en duel face au FN, sans doute obtenues grâce à l’apport d’une frange des voix de droite, mais force est de constater que la gauche avignonnaise, dans un contexte national très difficile, a su devancer la droite au premier tour et ainsi pu confirmer la dynamique enclenchée aux municipales. La large union pratiquée dès le premier tour (PS, FdG et EELV partant ensemble dans les trois cantons) face à une droite très divisée a manifestement contribué à cette victoire d’une gauche arc-en- ciel. Le PS a gagné le canton d’Avignon-1, EELV celui d’Avignon-2 et le FdG celui d’Avignon-3.

Si le PS a perdu de très nombreuses communes au profit de la droite en mars 2014, deux grandes villes, Montpellier et Grenoble, lui ont été aussi ravies par des listes de gauche concurrentes. Le divers gauche Philippe Saurel s’est ainsi emparé de la capitale languedocienne sur fond de rivalités post frêchistes et, à Grenoble, Éric Piolle, à la tête d’une coalition mêlant écologistes, membres du  Parti  de  gauche,  associatifs  et  représentants de collectifs citoyens, s’est imposé face au PS. Or, dans ces deux cas, ces tremblements de terre locaux ont connu une réplique un an après, lors des élections départementales.

À Montpellier, soucieux d’affirmer son emprise sur son territoire et de peser au conseil général, Philippe Saurel a présenté face à la gauche « officielle » des binômes dans 5 des 6 cantons (voir tableau 10). Fort de la dynamique enclenchée lors des municipales et des faiblesses d’un appareil socialiste ayant du mal à se renouveler après l’ère Frêche, 4 de ces 5 binômes sont parvenus au premier tour à coiffer au poteau lesbinômes socialistes dans les cantons de Montpellier-1, Montpellier-3 et Montpellier-4,ou à arriver en tête de la gauche à Montpellier-5, où le PS, le FdG et EELV partaient chacun sous leurs couleurs. Et dans le canton de Montpellier-2, le binôme saurélien a raté de peu la qualification, avec 20% contre 23,4% pour le PS.

 

 

 

Tableau 10 : Score des binĂ´mes soutenus par Philippe Saurel Ă  Montpellier

Notes

14.

Le Rassemblement a fait en revanche l’impasse sur toute la partie nord du département (Bourgoin-Jallieu, La Tour-du-Pin), où le vote FN est très élevé.

+ -

Cette pole position au sein de la gauche dans 4 cantons sur 5 au premier tour a permisaux candidats soutenus par le maire d’accéder au second tour où, comme à Avignon, la gauche qu’ils représentaient l’a ensuite largement emporté contre le FN.

À Grenoble, la victoire de la coalition rouge-verte aux municipales avait nourri de nombreux espoirs à la « gauche de la gauche », qui entendait renouveler cet exploit aux départementales et l’amplifier à l’échelle du département. À cette fin, le Rassemblement (regroupant les mêmes forces qu’aux municipales) présenta des binômes dans pas moins de 23 cantons isériens sur 29 et, bien évidemment, dans les 4 cantons grenoblois14 (voir tableau 11). Et, ici aussi, l’effet domino a en partie fonctionné dans la mesure où le Rassemblement a devancé l’Union de la gauche (PS +PCF) au premier tour dans les cantons de Grenoble-1 et Grenoble-3 (il en va de même dans la partie grenobloise du canton de Grenoble-2, le Rassemblement y obtenant 33,3% contre 25,3% pour l’Union de la gauche, cette dernière reprenant l’ascendant dans les autres communes intégrées dans ce canton) et s’est qualifié pour le second tour face à la gauche dans le canton de Grenoble-4.

Tableau 11 : Score des binĂ´mes du Rassemblement Ă  Grenoble

Notes

15.

De la même façon, alors que certains responsables écologistes et du FdG avaient fait de Lille un autre laboratoire qui devait prouver que l’alliance rouge-verte pouvait devancer le PS, ce scénario ne s’est pas produit : à Lille-5, le PS a obtenu 37,6%, contre 19,2 % aux rouges-verts ; à Lille-4, le rapport de force s’est établi à 37,2% contre 9,6% ; à Lille-3, à 32,8% contre 21,5% ; et à Lille-1, à 20,1% contre 13%.

+ -

Au second tour, le Rassemblement l’a emporté face à la gauche « officielle » dans les cantons de Grenoble-1 et Grenoble-3, et a échoué de peu dans celui de Grenoble-4. L’effet domino a donc partiellement fonctionné à Grenoble et la gauche « alternative » y a consolidé ses positions. En revanche, il est intéressant de constater que cette dynamique a vu ses effets s’arrêter aux portes de la ville puisque, sur les 23 cantons où le Rassemblement était engagé, il n’a devancé la gauche « officielle » que dans 2 cantons (tous situés à Grenoble15). Ce mouvement  ne s’est donc  pas propagé comme le souhaitaient ses promoteurs, même si des scores significatifs ont été enregistrés dans l’agglomération grenobloise et dans le sud du département : 16% à Matheysine-Trièves, 15,7% à Échirolles-Eybens ou bien encore 15,5% et 15,3% dans les 2 cantons du Moyen- et du Haut-Grésivaudan. À Marseille, le PS ne faisait pas face à une alliance rouge-verte, mais à la dissidence de Jean-Noël Guérini, président du conseil général, sur fond d’affaires judiciaires et de luttes intestines. Les socialistes marseillais étaient profondément divisés, et Jean-Noël Guérini avait décidé de jouer sa propre carte pour se maintenir au pouvoir. Lors des municipales, il avait, dans son fief du 2e secteur de Marseille, orchestré le ralliement d’une de ses proches, Lisette Narducci, aux listes Gaudin dans l’entre-deux-tours, ce qui avait contribué à parachever la lourde défaite de la liste officielle du PS emmenée par Patrick Mennucci. Aux élections sénatoriales, en septembre 2014, du fait de l’appui de nombreux élus locaux sensibles aux confortables subventions que le conseil général distribue dans de nombreuses communes, Jean-Noël Guérini était parvenu, à la surprise générale, à faire élire 3 sénateurs sous ses propres couleurs en prenant des voix à la droite mais aussi et d’abord au PS. Six mois après, à l’occasion des élections départementales, Jean-Noël Guérini a tenté de rééditer cet exploit en présentant des binômes est ampillés La Force du 13, formation qu’il venait de créer. Or, contrairement  à  ce que nous avons observé pour d’autres communes, l’effet domino n’a pas fonctionné. Il s’est certes qualifié pour le second tour (qu’il a remporté) en battant au premier tour le binôme socialiste dans son fief de Marseille-2, canton dans lequel il se présentait en binôme avec Lisette Narducci, mais, comme le montre le tableau 12, dans tous les autres cas ses candidats ont été sévèrement distancés par les binômes socialistes.

 

Tableau 12 : Les scores des binĂ´mes de La Force du 13 et du PS Ă  Marseille

Contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres villes, ce fameux effet domino n’a pas fonctionné ici, car Jean-Noël Guérini n’avait pas remporté les élections municipales mais seulement obtenu un très bon résultat aux sénatoriales, où seuls les grands électeurs votaient. Et si son statut de  président du conseil général lui permettait d’avoir une vraie influence sur ce corps électoral particulier, son assise politique dans l’ensemble du corps électoral était bien moindre, hormis dans son fiefhistorique que constitue le 2e secteur de Marseille.

 

3

Le FN a poursuivi son implantation locale

Lors des municipales, le FN était parvenu à conquérir 10 villes importantes (dont Béziers, remporté par Robert Ménard, soutenu par le FN). Ces conquêtes marquaient la volonté d’implantation locale manifestée par Marine Le Pen. Les élections départementales constituaient donc pour le parti frontiste une nouvelle occasion de consolider et de développer son maillage territorial. Dans ce contexte, il est intéressant d’observer les performances des candidats frontistes dans les villes que ce parti avait conquises un an plus tôt. Même si le bilan est contrasté, on constate, comme le montre le tableau 13, que dans 6 cas sur 10 le FN a fait basculer à son profit le ou les cantons qui englobaient les communes conquises.

Tableau 13 : Les performances du FN dans les cantons où le FN a gagné unecommune lors des municipales

 

Dans les quatre autres  cas, le FN ne remporte pas le canton, mais  il est  en tête au second tour dans la commune, à Hayange, à Cogolin  et  au Luc. Il n’y a qu’à Mantes-la-Ville, ville conquise de justesse et à la faveur d’une quadrangulaire aux municipales, que le binôme frontiste, composé notamment du maire Cyril Nauth, est battu.

L’effet domino a donc également fonctionné pour  le  FN  qui,  à  l’instar des autres partis, peut capitaliser sur la « notabilisation » de ses élus et la dynamique créée par une victoire pour asseoir sa domination sur des villes, voire sur des territoires plus vastes. On constate en effet que le FN arrive non seulement en tête dans le chef-lieu de canton mais aussi dans de nombreuses communes voisines. Hormis le chef-lieu de canton, il est ainsi en tête au second tour dans 6 communes  sur 6 du canton de Beaucaire, dans 4 sur 4 de celui du Pontet, dans 14 sur 15 des cantons de Béziers et dans 35 des 75 petites communes que compte le canton de Villers-Cotterêts.

À partir d’Hénin-Beaumont, dont la mairie a été remportée au premier tour en mars 2014, le FN a poursuivi sa stratégie de conquête de l’ensemble du bassin minier. Dans le département du Pas-de-Calais, ce ne sont pas moins de 6 cantons qui ont été gagnés : les 2 cantons d’Hénin, mais aussi celui de Wingles, de Harnes, de Lens, tous limitrophes des cantons héninois, et celui, un peu plus excentré, de Lillers. L’effet domino a donc fonctionné à plein ici, et il s’est même agi d’une véritable contagion àpartir de l’épicentre héninois puisqu’à ces cantons tombés dans l’escarcelle frontiste sesont ajoutés d’autres cantons miniers où les candidats lepénistes, ici aussi en duel face àla gauche (socialiste ou communiste), ont atteint des résultats impressionnants et, parfois, frôlé la victoire.

Carte 2 : Score des binômes de gauche et du Front national au 2e tour de l’élection départementale 2015 dans le bassin minier du Pas-de-Calais (en % des exprimés)

Comme le montre la carte 2, la gauche a mieux résisté dans la partie sud- ouest du bassin minier, même si le FN approche les 50% dans de nombreuses communes. L’autre élément qui frappe à la lecture de cette carte, c’est que les communes dont le maire n’était pas candidat aux départementales ont pour une bonne partie d’entre elles accordé la majorité de leurs suffrages au FN. À l’inverse, les villes dont le premier édile figurait dans un binôme de gauche ont quasiment toujours enregistré les moins bonnes performances pour le FN. Autrement dit, dans le bassin minier du Pas-de-Calais, la puissante dynamique frontiste n’a pu, pour l’essentiel, être contrée que par l’ancrage local d’élus candidats aux départementales qui ont capté sur leur nom une part de l’électorat qui, sinon, aurait voté pour le FN. Sans doute conscients que la pression serait très forte, le PS et le PCF avaient choisi d’accorder la part belle aux élus locaux (maires et adjoints) lors de la composition des binômes. Après recension des mandats des candidats de gauche dans les 10 cantons du bassin minier du Pas-de-Calais 16, il apparaît que cette stratégie a été payante puisqu’en moyenne le FN franchit très nettement la barre des 50% dans les communes dont les élus n’étaient pas candidats, alors qu’il se situe en dessous dans les communes dont les élus se présentaient. Mais il ressort également de ces calculs que la puissance de la vague frontiste a été telle qu’elle n’a pu être véritablement endiguée que lorsque c’est le maire en personne qui est monté en première ligne, la présence d’adjoints contenant certes un peu le vote FN qui atteint cependant en moyenne presque 50% dans les communes concernées.

Graphique 1 : Score du FN au second tour face Ă  la gauche dans les communes dubassin minier du Pas-de-Calais selon le profil de la commune

Cette « prime au maire » a non seulement permis de faire baisser le score du FN dans les communes concernées, mais elle a également parfois fourni au binôme de gauchele matelas de voix nécessaire pour gagner le canton. Il en est ainsi par exemple ducanton de Carvin. Au second tour, le FN se retrouve en tête dans 2 des 3 communes du canton (51,6% à Carvin et 50,05% à Courrières), mais il est très nettement distancé à Libercourt, où il n’atteint que 39,8%, cette commune optant pour son  maire,  Daniel Maciejasz,  qui, en tant que conseiller général sortant, se représentait. Distancé de 183 voix sur l’ensemble des deux autres communes, il inversera la vapeur en engrangeant dans sa ville une avance de 580 voix qui lui offrirent la victoire par 397 voix d’avance dans ce canton. Dans le département voisin du Nord, mais toujours dans le bassin minier, la « prime au maire » aussi a été décisive pour barrer la route au FN dans le canton de Denain. Ce parti arrive en tête dans 12 communes sur les 18 que compte le canton mais, comme le montre le graphique 2, les 3 communes où le FN est le plus bas sont précisément les communes dont les élus municipaux seprésentaient aux élections départementales.

Graphique 2 : Score du FN au second tour dans les différentes communes du cantonde Denain

Michel Lefebvre, maire de Douchy-les-Mines, était candidat, et son collègue, Pascal Jean, maire de Neuville-sur-Escaut, son suppléant. Sur l’ensemble du canton, le binôme du FdG ne bénéficie que de 558 voix d’avance sur le FN (voir tableau 14). Or ces deux communes, qui ne pèsent que 20% de l’ensemble des inscrits du canton, ontfourni 545 voix d’avance, soit la quasi- totalité de l’avance. Sans cet ancrage et le choixde présenter des maires aux départementales, le canton aurait sans doute été remporté par le FN.

Tableau 14 : Canton de Denain : l’avance du Front de gauche s’est construite dansles deux fiefs du binôme

III Partie

L’effet sortant

Nous avons vu que les élections départementales avaient été marquées par l’effet domino postmunicipales. Un autre phénomène s’observe dans des proportions encore plus importantes : c’est l’effet « sortant ». Bien  que l’on soit passé d’un système uninominal à un système binominal et que le périmètre des cantons a souvent été largement modifié, on constate en effet que les sortants ont apparemment bénéficié d’un avantage certain dans la mesure où leur taux de victoire a été élevé.

 

1

Un taux de réélection élevé

Notes

17.

Ce taux est encore plus élevé et atteint 85% parmi les 72 binômes comptant un président sortant deconseil général. Quasiment tous les présidents sortants de droite ont été réélus (96,5%), leurs homologues de gauche étant un peu plus bousculés avec 77% de réélus, 10 d’entre eux seront défaits.Cela sera le cas par exemple dans l’Eure pour Jean-Louis Destans, battu dès le premier tour dans son canton de Brionne, d’Alain Cottalorda dans l’Isère, également battu dès le premier tour dans le canton de Bourgoin-Jallieu ou bien de Rémi Chaintron, président sortant du conseil général de Saône-et-Loire, sévèrement battu au second tour dans le canton de Louhans avec 33,7% contre 66,3% pour le binôme UMP.

+ -

Si l’on considère les 1.353 cantons où se présentait un binôme composé d’un ou de deux sortants, 115 de ces binômes ont été élus dès le premier tour. Au second tour, dans les 881 cantons où un binôme avec au moins un sortant était présent en configuration de duel « classique » (gauche-droite, droite-FN, gauche-FN), 742 cantons ont vu le binôme sortant l’emporter, soit un taux de victoire au second tour de 84%. Ce score impressionnant s’explique certes en partie par le nombre élevé de duels face au FN, configuration qui s’est, la plupart du temps, soldée par la défaite du FN et la victoire du sortant qu’il soit de droite ou de gauche, mais ce taux élevé manifeste bien aussi l’existence d’une prime aux sortants qui les a favorisés. On précisera, au regard du contexte national dans lequel s’inscrivait cette élection, que les sortants de droite en ont davantage profité que ceux de gauche, qui représentent 129 des 139 binômes sortants battus en duel au second tour.

Si l’on observe toujours les 1.353 cantons où se présentait un binôme avec un ou deux sortants, dans 159 cas le second tour a pris la forme d’une triangulaire gauche-droite-FN. Dans 116 de ces cantons, le sortant l’a emporté, soit un taux de victoire au second tour de 73%. Et, à nouveau, cette prime aux sortants a moins bénéficié à la gauche, qui s’est retrouvée avec 40 des 43 binômes sortants battus au second tour deces triangulaires. Au total, parmi les 1.353 cantons où un binôme avec au moins un sortant se présentait, 1.019 ont réélu un sortant, soit 75% de sortants victorieux17.

Le taux de victoire est nettement moins élevé quand deux binômes avec au moins un sortant se présentaient au premier tour, puisque dans ce cadre-là la prime au sortant de l’un était partiellement ou fortement contrebattue par l’ancrage de l’autre sortant. Parmi les 596 binômes de sortants qui en affrontaient un autre (configuration ayant prévalu dans 298 cantons), la probabilité de l’emporter pour un sortant face à un autre sortant n’est plus que de 45% contre 75% quand il n’avait pas de sortants face à lui. Ce différentiel est élevé, mais il ne doit pas masquer une autre réalité : la présence de deux binômes sortants a certes mécaniquement fait chuter leurs chances respectives de l’emporter mais elle a aussi très massivement bloqué le jeu. Dans 91% de ces 298 cantons, c’est un sortant qui s’est imposé. Autrement dit, parmi les 596 binômes sortant se présentant dans ces cantons, 45% l’ont emporté, alors que la victoire n’a concerné que 4% des 1.327 binômes non sortants qui se présentaient face à eux.

Du fait du redécoupage des cantons et, la plupart du temps, de leur regroupement, lescrutin départemental de 2015 a donc parfois opposé deux sortants sur une mêmecirconscription électorale, ce qui est exceptionnel. Si en tant que sortants, ils avaient, on l’a vu, une plus forte probabilité d’être élus, ils affrontaient d’autres sortants aussi potentiellement bien placés qu’eux pour l’emporter. Au travers des quelques exemples qui vont suivre, on constatera que la capacité à maximiser son avance dans son fief et à trouver des points d’appui dans les autres anciens cantons nouvellement agrégés dans le nouveau périmètre en prenant comme binôme ou suppléant tel ou tel maire s’est révélée décisive pour l’emporter sur le sortant adverse.

2

De l’importance de la composition des binĂ´mes

Notes

18.

Commune appartenant à l’ancien canton de Pléneuf-Val-André.

+ -

Dans les Côtes-d’Armor, dans le canton de Pléneuf-Val-André (composé  des anciens cantons de Pléneuf et de Matignon), Yannick Morin, conseiller général sortant UMP, a très nettement devancé dans son ancien canton de Pléneuf-Val-André la conseillère générale socialiste sortante du canton de Matignon, Marie-Reine Tillon, avec un score au second tour de 58,2% contre 41,8% (voir carte 3). Cette avance de plus de 1.100 voix s’explique sans doute en partie par le fait que la droite a « bétonné » ses positions en alignant, en plus de Yannick Morin, sortant et adjoint au maire d’Erquy18, Jean-Yves Le Bas, maire de Pléneuf-Val-André et suppléant du binôme. Dans l’ancien canton de Matignon, Marie-Reine Tillon, conseillère en place depuis 1992, s’est certes appuyée sur son mandat de maire de Matignon, mais elle ne comptait pas d’autres maires dans son binôme et parmi ses suppléants.Elle arrive certes en tête dans le périmètre de son ancien canton (50,9% contre 49,1%), mais avec une avance de 110 voix seulement, ce qui est totalement insuffisant pour combler le retard enregistré dans l’ex- canton de Pléneuf-Val-André.

Carte 3 : Score des binômes de gauche et de droite au 2e tour de l’électiondépartementale 2015 dans le canton de Pléneuf-Val-André (en % des exprimés)

Notes

19.

Sur la seule commune de Machecoul, la droite est en tĂŞte avec 53,1% des voix, mais elle est seconde dans les cinq autres communes du canton.

+ -

Un peu plus au sud, en Loire-Atlantique, le nouveau canton de Machecoul (reprenant l’ancien canton de Machecoul plus ceux de Bourgneuf-en-Retz et du Pellerin) voyait s’opposer Jean-Raymond Audion, conseiller sortant UMP de Bourgneuf, et Jean Charrier, conseiller DVG sortant du canton de Machecoul (voir carte 4). Ce dernier, également maire de Saint-Mars-de- Coutais, a engrangé une large avance dans son ancien canton de Machecoul avec un score de 56,4% contre 43,6%, soit 640 voix d’avance. Le binôme de droite avait certes choisi comme suppléant, Didier Favreau, maire de Machecoul, mais cet appui n’a pas permis d’inverser la tendance dans l’ancien canton de Machecoul19. Parallèlement à cet échec, le binôme de droite ne l’emporte que d’une courte tête (50,6% contre 49,4%) dans l’ancien canton de Bourgneuf, ce faible score associé à l’amputation de l’ancien canton de Bourgneuf de deux  communes  rattachées  au canton  de Pornic (commune de La Bernerie et des Moutiers-en-Retz) aboutissant à réduire l’avance de la droite à seulement 32 voix dans  l’ancien  canton de son sortant. Enfin, dans la troisième partie du canton, correspondant à l’ancien canton du Pellerin, la gauche en s’appuyant sur la présence,en tant que suppléant, de Bernard Morilleau, maire de Sainte-Pazanne, l’emporte largement par un score de 56,4% contre 43,6% pour la droite, qui ne bénéficiait pas de relais sur ce territoire. Au total, la gauche a enregistré 667 voix d’avance dans cetancien canton, auxquelles s’ajoutent les 640 voix de l’ancien canton de Machecoul, fief du candidat sortant de gauche, quand la droite ne parvenait à surclasser la gauche que de 32 voix dans l’ancien canton de Bourgneuf-en-Retz, terre d’élection de Jean-Raymond Audion. Ce dernier accuse ainsi au total 1.275 voix de retard sur son rival sur l’ensemble du nouveau canton de Machecoul. Le « basculement » à gauche du canton de Machecoul a contribué, avec la victoire à l’arraché de la gauche dans le canton de Blain (regroupant tout ou partie des anciens cantons de Saint- Étienne-de-Montluc et de Savenay) avec 51,6% et 501 voix d’avance, au maintien à gauche de la Loire-Atlantique, la majorité sortante ne bénéficiant au soir du second tour que d’un canton d’avance sur les 31 que compte ce département.

 

Carte 4 : Score des binômes de gauche et de droite au 2e tour de l’électiondépartementale 2015 dans le canton de Machecoul (en % des exprimés)

Notes

20.

Gérard Dériot était également adjoint au maire de Cérilly et tête de liste départementale pour la droite et le centre.

+ -

21.

Soit un total de 45 voix (on rappelle que la droite a remporté le canton avec 48 voix d’avance).

+ -

Inversement, le basculement à droite du conseil général de l’Allier, précédemment dirigé par les communistes, a été abondamment commenté et érigé en symbole de la vague bleue et des difficultés rencontrées par la gauche et le PCF à maintenir leurs positions. Pour spectaculaire qu’il soit, ce basculement n’a pas pour autant été engendrépar un mouvement massif. Le changement de majorité s’est joué à un canton près, et lecanton qui a permis la bascule, celui de Bourbon-l’Archambault, n’a été conquis par ladroite sur le PCF qu’avec 48 voix d’avance (voir tableau 15). Dans ce nouveau canton issu du regroupement des anciens cantons de Bourbon-l’Archambault, Lurcy- Lévis etCérilly, on assistait également, comme dans les exemples précédents à un affrontemententre deux sortants. La droite était représentée par Gérard Dériot, sénateur, ancien conseiller général du canton de Cérilly20 ayant récemment démissionné de son mandat au profit de Corinne Trebosc, qui n’était autre que son binôme pour cette élection. Face à eux, le PCF alignait dans ces campagnes rouges du Bourbonnais, Nicolas Thollet, conseiller général sortant du canton de Lurcy-Lévis et maire de la commune dePouzy- Mésangy. Mais ni son binôme ni ses suppléants n’avaient de mandats locaux significatifs, et son collègue, Gilles Mazuel, conseiller général communiste sortant ducanton de Bourbon-l’Archambault, ne se représentait pas. Face à ce dispositif assez parcellaire, le binôme de droite disposait, quant à lui, d’un relais à l’extérieur de son fief de Cérilly, en la personne de Claude Vanneau, suppléant du binôme et maire de Lurcy-Lévis, commune située dans l’ancien canton du candidat communiste être présentant le quart du corps électoral du canton. Au second tour, dans cettecommune, la droite a viré en tête avec 51,7%, soit une avance de 27 voix, auxquelles on peut ajouter les 18 voix d’avance fournies par la petite commune voisine de Neure21. Ces points d’appui de la droite dans le canton de l’adversaire ont contribué àminimiser l’avance prise par le PCF dans le fief de son candidat, qui y obtient 53,2% des voix, soit seulement 132 voix d’avance.

Carte 5 : Score des binômes de gauche et de droite au 2e tour de l’élection départementale 2015 dans le canton de Bourbon-l’Archambault (en % des exprimés)

Le binôme de droite, à l’inverse, a, comme on peut le voir dans le tableau 15, maximiséson avance dans son fief de Cérilly. Les 566 voix d’avance acquises ici ont permis decompenser le retard de 386 voix enregistrées dans l’ancien canton de Bourbon-l’Archambault, bastion du communisme rural, et le moindre retard qu’attendu dans l’ancien canton de Lurcy-Lévis. Cette combinaison d’un fort rendement électoral dans son fief et de la capacité à trouver des relais dans le bastion adverse a permis à ladroite de l’emporter d’une courte tête dans ce nouveau canton de Bourbon-l’Archambault, victoire provoquant ensuite le basculement du conseil général del’Allier.

 

Tableau 15 : Nombre de voix obtenues par la droite et le PCF au second tour dansles trois anciens cantons du canton de Bourbon-l’Archambault

Le canton de Sin-le-Noble dans le Nord est, lui aussi, une nouvelle création qui regroupe 12 communes sur 13 de l’ancien canton de Marchiennes et 3 communes de l’ancien canton de Douai Nord. Il constitue lui aussi  un  cas intéressant à étudier car, alors que les deux anciens cantons étaient solidement détenus  par le PCF 22, le PS y a devancé le Front  de gauche  au premier tour. L’avance était certes limitée (25% contre 22,1%), mais suffisante pour permettre au PS d’accéder au second tour qu’il gagnera face au FN et, surtout, exceptionnelle dans la mesure où dans tous les autres bastions communistes du Nord, le Front de gauche est parvenu à l’emporter sur le PS au premier tour comme le montre le graphique 3.

 

Graphique 3 : Le Front de gauche parvient généralement à devancer le PS dans ses bastions historiques du département du Nord

On peut dès lors se demander si cette exception n’est  pas due à un effet du redécoupage, mais l’analyse des résultats commune par commune ne semble pasvraiment valider cette hypothèse. Cette inversion du rapport de force interne à lagauche paraît en revanche résulter des choix stratégiques effectués par les deux partis. Le PS a investi Frédéric Delannoy, maire de Hornaing et président de la communauté de communes Cœur d’Ostrevent. L’effet notable a joué à plein, puisqu’il a obtenu 63,6% au premier tour dans sa commune, soit 970 voix, contre 4,7% et 72 voix pour le PCF, c’est- à-dire 898 voix d’avance. À cet atout s’est ajouté le fait que son binôme était Josyane Bridoux, figure communiste bien connue sur le territoire et conseillère municipale à Sin-Le-Noble. Dans cette commune, l’une des plus importantes du canton, ce ticket ainsi constitué arrive également en tête avec 24,6% contre 16,8%pour le PCF et 324 voix d’avance.

En face, le dispositif communiste était très fragilisé, car les deux conseillers généraux sortants, Jean-Claude Quennesson, conseiller général sortant du canton de Marchiennes (dont il est maire de la commune depuis 1977), et Jacques Michon, conseiller sortant du canton de Douai Nord et maire de Waziers, ne se représentaient pas. Pour pallier l’absence de ces deux piliers très importants, le PCF avait fait le choix, rétrospectivement hasardeux, de présenter Alain Brunel, lui aussi figure implantée mais hors du canton. Il est en effet maire de Lewarde et conseiller général sortant du canton d’Aniche, limitrophe du canton de Sin-le-Noble, mais son ancrage local et sa « prime personnelle » (c’est-à-dire les voix qu’il pouvait drainer sur son nom propre au-delà de son électorat idéologiquement proche) n’ont pas pu être mobilisés dans cette bataille. Néanmoins, sa colistière, MichelleBlanquet, maire adjointe de Somain, et leurs suppléants, Jacky Notot, premier adjoint à Marchiennes, et Claudine Parnetzki, maire adjointe à Waziers, ont pu «tirer» le score du PCF dans leurs communes respectives. Le binôme communiste a ainsi obtenu 30,9% à Somain (contre 17,2% pour le PS), 23% à Marchiennes (contre 16,5%) et 38,2% à Waziers (contre 13,6%), mais dans ces deux dernières communes, le fait que les deux maires (conseillers généraux sortants) ne se représentent pas et que le PCF aligne pour les remplacer des adjoints a sans doute été moins efficace électoralement. La « prime personnelle » des adjoints a vraisemblablement été moins élevée que celles des maires dans ces deux communes et dans les communes limitrophes. Au total, le PS est en tête de la gauche dans 10 communes, le PCF ne le surclassant que dans 5, la perte du poids de deux maires conseillers généraux sortants n’ayant pas pu être compensée par le fait d’aligner un sortant extérieur au canton, même flanqué de trois adjoints au maire. Si l’on compare les résultats du FdG avec ceux des candidatscommunistes lors des cantonales de 2008 (voir tableau 16), on s’aperçoit en effet que l’effondrement est généralisé, mais que les pertes sont particulièrement sévères à Somain (– 39,2 points) et à Waziers (– 21,4 points), où les deux maires ne se sont pas représentés aux départementales cette année.

Tableau 16 : Score comparé du PCF en 2008 et du Front de gauche en 2015 aupremier tour dans les communes du nouveau canton de Sin-le-Noble

Cantons où le FN a été battu, mais où il a réalisé plus de 48% des voix

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