Les Suédois et l'immigration, fin du consensus ? (2)
Introduction*
Banlieues en feu : lâeffrayant cas français
La nouvelle pauvretĂ© et lâexclusion sociale
Immigration et criminalité
Nouvelles formes de criminalité dans les banlieues
Comportements antisociaux
Conclusion
Résumé
ConsidĂ©rĂ©e comme la grande rĂ©fĂ©rence du modĂšle social-dĂ©mocrate europĂ©en, la SuĂšde a longtemps bĂ©nĂ©ficiĂ© dâune solide rĂ©putation de pays consensuel.
Cependant, ce pays semble dĂ©sormais confrontĂ© Ă des dĂ©fis inĂ©dits. Il faut noter en particulier lâapparition de nouvelles formes de criminalitĂ© favorisĂ©es par le dĂ©veloppement de zones dâexclusion sociale rĂ©sultant de problĂšmes liĂ©s Ă lâimmigration et Ă lâintĂ©gration des immigrĂ©s. Or, le dĂ©bat sur ces questions est singuliĂšrement difficile dans un pays qui rĂ©pugne Ă reconnaĂźtre des rĂ©alitĂ©s susceptibles de menacer lâimage dâune sociĂ©tĂ© apaisĂ©e.
Une version anglaise de cette Ă©tude est Ă©galement disponible sur le site de la Fondation pour lâinnovation politique.
La premiĂšre partie de cette note est simultanĂ©ment publiĂ©e sous le titre : Les SuĂ©dois et lâimmigration, Fin de lâhomogĂ©nĂ©itĂ© ?. L’auteur y montre le caractĂšre unique de l’histoire de l’immigration en SuĂšde. En effet, ce pays est longtemps restĂ© une sociĂ©tĂ© homogĂšne jusquâĂ ce quâune immigration rĂ©cente mais massive modifie sensiblement sa composition dĂ©mographique. Ces vingt derniĂšres annĂ©es, la SuĂšde a vu la part de sa population non occidentale passer de 2% Ă 15% de la population totale, soit une progression sans prĂ©cĂ©dent dans lâhistoire de ce pays.
Une version anglaise de cette Ă©tude est Ă©galement disponible sur le site de la Fondation pour lâinnovation politique.
Tino Sanandaji,
Chercheur en histoire Ă©conomique et commerciale Ă l'Institut de recherche de la Stockholm School of Economics.
Auteur de quatre ouvrages et de plusieurs rapports d’Ătat sur la politique ïŹscale et entrepreneuriale suĂ©doise,contributeur rĂ©gulier au National Review.
Introduction*
Ce texte a Ă©tĂ© Ă©crit en anglais pour la Fondation pour lâinnovation politique. Il est disponible sur notre site. La prĂ©sente version en est une traduction. Elle a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e par Christophe de Voogd, ancien Ă©lĂšve de lâĂcole normale supĂ©rieure, agrĂ©gĂ© dâhistoire, docteur en histoire et professeur Ă Sciences Po. Christophe de Voogd est le prĂ©sident du Conseil scientifique et dâĂ©valuation de la Fondation pour lâinnovation politique.
La premiĂšre partie de cet ensemble de deux notes, Les SuĂ©dois et lâimmigration, fin de lâhomogĂ©nĂ©itĂ©? (1), revenait sur lâhistoire de lâimmigration en SuĂšde et son accĂ©lĂ©ration au cours de ces derniĂšres annĂ©es. Alors que la SuĂšde est longtemps restĂ©e homogĂšne, le pays a Ă©tĂ© gagnĂ© par une vague migratoire forte. MalgrĂ© lâambition morale dâaccueillir les plus nĂ©cessiteux de notre monde, le modĂšle social suĂ©dois ne peut pas supporter Ă©conomiquement un taux dâimmigration aussi Ă©levĂ©. Mais, au-delĂ de la question Ă©conomique, se pose le problĂšme de lâintĂ©gration des nouveaux venus dans le tissu social suĂ©dois.
La SuĂšde a observĂ© les Ă©meutes qui ont touchĂ© la France en 2005, pour souligner dâabord les diffĂ©rences entre le modĂšle dâintĂ©gration français, qui aurait Ă©chouĂ©, et le modĂšle suĂ©dois, symbole de rĂ©ussite. Il est intĂ©ressant de noter que la situation des banlieues françaises Ă©tait alors perçue comme totalement diffĂ©rente du contexte suĂ©dois. Cependant, Ă cette Ă©poque, quelques-uns sâinquiĂ©taient dĂ©jĂ que la SuĂšde nâaille dans la mĂȘme direction.
De fait, entre 2006 et 2012, la SuĂšde a connu une augmentation des zones dâexclusion sociale. En 2006, 156 aires rĂ©sidentielles Ă©taient confrontĂ©es Ă des problĂšmes socio-Ă©conomiques si aigus quâelles Ă©taient dĂ©finies comme «zones dâexclusion sociale». En 2012, leur nombre Ă©tait passĂ© Ă 186. Seulement un quart des habitants de ces zones Ă©taient dâorigine suĂ©doise, câest-Ă -dire nĂ©s en SuĂšde de deux parents nĂ©s en SuĂšde (26% en 2006 et 25% en 2012).
Cette sĂ©grĂ©gation sociale est directement liĂ©e Ă la constante surreprĂ©sentation des immigrĂ©s aussi bien dans la criminalitĂ© que dans les problĂšmes socio- Ă©conomiques. La surreprĂ©sentation a mĂȘme augmentĂ© au cours des derniĂšres dĂ©cennies. Ainsi, les trois-quarts (76%) des membres des sept gangs de rue les plus importants en SuĂšde sont des immigrĂ©s ou des enfants dâimmigrĂ©s.
Par ailleurs, de nouvelles formes de criminalitĂ© se sont dĂ©veloppĂ©es dans ces zones, augmentant lâinquiĂ©tude des SuĂ©dois Ă propos de lâimmigration. Si la SuĂšde est un pays rĂ©putĂ© libĂ©ral et tolĂ©rant, en rĂ©alitĂ© ses habitants se soumettent Ă de nombreuses rĂšgles de savoir-vivre qui sont durement sanctionnĂ©es par le groupe si elles ne sont pas respectĂ©es. Dans les faits, on constate que les difficultĂ©s liĂ©es Ă lâexclusion sociale des immigrĂ©s sont renforcĂ©es par une tolĂ©rance de façade qui ne se traduit pas par de la mixitĂ© sociale mais au contraire par un renforcement de lâentre-soi. Ces phĂ©nomĂšnes mettent en cause lâidĂ©e dâun modĂšle dâintĂ©gration rĂ©ussie en SuĂšde.
Banlieues en feu : lâeffrayant cas français
« VÀrsta kravallerna i Frankrike sedan 1968 » [« Les pires émeutes en France depuis 1968 »], Aftonbladet, 5 novembre 2005.
Torun Börtz, « Rinkeby â föredöme for Frankrike » [« Rinkeby : le modĂšle français »], Svenska Dagbladet, 13 novembre 2005
Jenny Sköld, « Franska medier: Det Ă€r som Parisupploppen » [« Les mĂ©dias français : câest comme les Ă©meutes parisennes »] , Metro, 23 mai 2013
Bruce Crumley, « Franceâs New Yearâs Tradition: Car-Burning » [« Tradition française du Nouvel An : brĂ»ler des voitures »], Time Magazine, 2 janvier 2009
En 2005, la France a Ă©tĂ© secouĂ©e par de violentes Ă©meutes. Le fait dĂ©clencheur a Ă©tĂ© la mort tragique de deux jeunes au cours dâune poursuite policiĂšre dans une banlieue de Paris. Affrontements et incendies de voiture se sont rĂ©pandus dans dâautres banlieues du pays et ont continuĂ© pendant des semaines. Les Ă©meutes parisiennes ont attirĂ© lâattention du monde entier, y compris de la SuĂšde. Les Ă©meutes des banlieues ont depuis perdu leur caractĂšre de nouveautĂ©, mais si nous revenons Ă lâannĂ©e 2005, ces Ă©vĂ©nements Ă©taient alors dĂ©crits comme un phĂ©nomĂšne inĂ©dit. En SuĂšde, incendier des voitures Ă grande Ă©chelle Ă©tait perçu comme un comportement effrayant que lâon pouvait trouver dans des pays lointains. Dans un article intitulĂ© «Les pires Ă©meutes en France depuis 1968», le tabloĂŻd suĂ©dois Aftonbladet dĂ©crit ainsi les Ă©vĂ©nements : «Voitures et bĂątiments en feu ont illuminĂ© samedi la nuit autour de Paris, alors que des milliers de policiers ont tentĂ© sans succĂšs de maĂźtriser les pires Ă©meutes que la France ait connues depuis la rĂ©volte Ă©tudiante de 1968. Une centaine de personnes ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©es de deux immeubles, quand au moins 20 voitures ont brĂ»lĂ© dans un garage souterrain dans une banlieue du nord de Paris [âŠ]. Des scĂšnes similaires ont Ă©tĂ© signalĂ©es dans les villes de Lille, dans le nord de la France, de Rennes, Ă lâouest, et de Toulouse, dans le sud-ouest. Au moins 200 personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es durant la nuit, parmi lesquelles un groupe de mineurs avec des engins incendiaires. Selon la police, plus de 750 vĂ©hicules ont Ă©tĂ© incendiĂ©s pendant la nuit : pour un quart dâentre eux, en dehors de la rĂ©gion parisienne1.» L’analyse des mĂ©dias nâĂ©voquait pas le risque de voir de tels problĂšmes atteindre la SuĂšde et mettait au contraire en avant le modĂšle positif pour la France que pouvait reprĂ©senter lâintĂ©gration suĂ©doise. Ainsi, le quotidien suĂ©dois Svenska Dagbladet, soulignant la façon dont les mĂ©dias français avaient prĂ©sentĂ© les banlieues suĂ©doises comme un exemple enviable, Ă©voquait avec fiertĂ© : «âRinkeby : un modĂšle suĂ©dois pour les banlieues.âVoilĂ ce que le journal français de droite Le Figaro a Ă©crit hier. Dans lâombre portĂ©e des Ă©meutes urbaines françaises, le correspondant du journal est allĂ© voir le modĂšle dâintĂ©gration suĂ©dois pour faire un reportage sur des quartiers oĂč les immeubles ne dĂ©passent jamais cinq Ă©tages, oĂč des livres en quarante langues sont disponibles Ă la bibliothĂšque, et oĂč des femmes policiĂšres empathiques prennent leur temps pour comprendre de vieux Africains qui ne maĂźtrisent pas le suĂ©dois. Rinkeby est dĂ©crite comme un quartier peuplĂ© dâimmigrĂ©s oĂč lâordre prĂ©vaut et oĂč la vie est agrĂ©able2.»
Avec un regard rĂ©trospectif, il est intĂ©ressant de noter que la situation des banlieues françaises Ă©tait perçue, en 2005 encore, comme totalement diffĂ©rente du contexte suĂ©dois. Cependant, dĂ©jĂ Ă cette Ă©poque, certains â souvent ceux qui Ă©taient familiers des Ă©volutions en cours dans les banlieues suĂ©doises â mettaient en garde : la SuĂšde Ă©tait en train dâaller dans la mĂȘme direction. Ils se heurtĂšrent Ă des critiques virulentes. Il est aujourdâhui facile dâoublier quâĂ cette Ă©poque lâimmigration nâĂ©tait pas considĂ©rĂ©e comme pouvant conduire Ă des problĂšmes dâintĂ©gration. Ătablir un lien entre politique migratoire et problĂšmes dâintĂ©gration Ă©tait considĂ©rĂ© comme tabou et de nature Ă favoriser les partis populistes.
La SuĂšde allait pourtant bientĂŽt connaĂźtre des incendies de voitures similaires Ă ceux des banlieues françaises, comme Ă RosengĂ„rd (Malmö) en 2009 et Ă Husby (Stockholm) en 2013. Ăcornant, dĂšs lors, lâimage dâune SuĂšde havre dâune paix utopique. Quand les mĂ©dias français ont rĂ©alisĂ© des reportages sur les banlieues suĂ©doises, ce nâĂ©tait plus en tant quâexemple Ă suivre mais pour relever une situation comparable aux Ă©vĂ©nements parisiens. En 2013, le quotidien suĂ©dois Metro a ainsi publiĂ© un article oĂč lâon pouvait lire : «Cette semaine, les Ă©meutes de Husby et de nombreux autres quartiers pĂ©riphĂ©riques de Stockholm ont dominĂ© les mĂ©dias suĂ©dois. Mais ces Ă©vĂ©nements ont aussi attirĂ© lâattention des mĂ©dias Ă©trangers. En France, un parallĂšle est fait avec les Ă©meutes de banlieues parisiennes en 2005. France 24 a parlĂ© avec Jenny Anderson, chercheuse au Centre de recherches internationales (Sciences Po), qui dĂ©clare que lâimage du systĂšme social suĂ©dois parfait et Ă©galitaire a Ă©tĂ© sĂ©vĂšrement Ă©rodĂ©e3.»
Les zones dâexclusion sociale françaises sont connues sous le nom de «banlieues». Au dĂ©part, ce mot dĂ©signait simplement la pĂ©riphĂ©rie dâune grande ville, mais a pris avec le temps une double connotation de pauvretĂ© et de ghetto. Lâimmigration extra-occidentale Ă grande Ă©chelle a commencĂ© par la France bien avant la SuĂšde, et le contexte social en question a Ă©mergĂ© aussi quelques dĂ©cennies plus tĂŽt. Les manuels scolaires suĂ©dois des annĂ©es 1990 prĂ©sentaient les difficultĂ©s sociales et les conflits ethniques dans les banlieues françaises comme un problĂšme lointain qui Ă©pargnait la SuĂšde, mais que les Ă©lĂšves pouvaient Ă©tudier dans le cadre des cours de gĂ©ographie et de sciences sociales.
En ampleur et en profondeur, les problĂšmes sociaux dans les zones dâexclusion sociale en SuĂšde nâont pas encore atteint le niveau que lâon trouve dans les banlieues françaises. NĂ©anmoins, la diffĂ©rence est devenue une question de degrĂ© et non de nature. Bien des phĂ©nomĂšnes qui ont dâabord Ă©tĂ© observĂ©s en France ont dĂ©sormais atteint la SuĂšde. Dans certains cas, ils ont mĂȘme constituĂ© une importation culturelle venue de la France et des ghettos amĂ©ricains. En ce qui concerne la couverture mĂ©diatique des Ă©vĂ©nements, une hypothĂšse a Ă©tĂ© faite Ă plusieurs reprises selon laquelle lâaugmentation des incendies de voitures en SuĂšde a Ă©tĂ© provoquĂ©e en partie par les reportages sur les incidents parisiens de 2005. Lâincendie volontaire de voitures nâest pas quâune forme spontanĂ©e de vandalisme : câest aussi une action rituelle et apprise, dotĂ©e dâune forte valeur symbolique. Aussi bien en France quâen SuĂšde, il est usuel que le phĂ©nomĂšne devienne « contagieux » : lâincendie dans un quartier inspire les mĂȘmes actes dans dâautres parties du pays. DĂ©jĂ , Ă la fin des annĂ©es 1970, câĂ©tait devenu un acte de protestation symbolique dans les banlieues françaises. Ces derniĂšres, de mĂȘme, ont pu ĂȘtre influencĂ©es par les incendies de voitures survenues dans un contexte politique, tels que la contestation de 1968 en opposition Ă la guerre du Vietnam et dans le cadre du mouvement contestataire des Ă©tudiants.
Bien que les premiers incendies de voitures dans les banlieues aient Ă©tĂ© des actes spontanĂ©s de vandalisme contre des cibles faciles, le concept a ensuite Ă©voluĂ© vers une sorte de cĂ©rĂ©monial. Il sâagit dĂ©sormais dâune action par dĂ©faut, une protestation contre la police ou une caractĂ©ristique du Nouvel An en France. Il est habituel que des milliers de voitures soient brĂ»lĂ©es Ă chaque nuit de la Saint-Sylvestre. En 2009, on pouvait ainsi lire dans un article du magazine Time : «Pour nombre dâobservateurs de par le monde, elles sont devenues les symboles des pires maux sociaux français, ces carcasses de milliers de voitures incendiĂ©es durant prĂšs de trois semaines dâĂ©meutes Ă travers tout le pays en 2005. Mais comme une nouvelle orgie dâincendies automobiles lâa dĂ©montrĂ© ce mercredi, la mise Ă feu des voitures nâest pas seulement devenue un Ă©vĂ©nement quotidien ; câest aussi dĂ©sormais une forme dâexpression pour des jeunes des banlieues, voulant sâassurer que le reste du pays nâoublie pas leur existence. Et leur prĂ©sence enflammĂ©e nâest jamais autant ressentie que durant les nuits de la Saint-Sylvestre, jour du festival officieux de la voiture brĂ»lĂ©e en France4.»
En SuĂšde, le service des pompiers a gardĂ© des donnĂ©es complĂštes sur les incendies criminels de vĂ©hicules depuis 1998, compilĂ©es par lâAgence de la protection civile suĂ©doise. Ces statistiques indiquent le nombre de fois oĂč les pompiers sont intervenus sur des feux. Un appel peut correspondre Ă plusieurs vĂ©hicules dĂ©truits. Pendant les Ă©meutes, il est courant que plusieurs vĂ©hicules soient incendiĂ©s en mĂȘme temps et au mĂȘme endroit. Comme chaque appel peut concerner plusieurs vĂ©hicules, le nombre de voitures brĂ»lĂ©es est donc bien plus grand que le nombre dâappels. Entre 1998 et 2015, le nombre dâappels dâurgence en relation avec des incendies volontaires de vĂ©hicules est ainsi passĂ© de 434 Ă 1.609, câest-Ă -dire quâil a quasiment quadruplĂ©. Pour les seules voitures, le chiffre correspondant est passĂ© de 380 Ă 1 428. Pendant la mĂȘme pĂ©riode la population a augmentĂ© dâenviron 10%. Les chiffres de 2016 indiquent que le record de lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente a Ă©tĂ© battu dâune bonne longueur.
Le graphique 1 compare les situations en SuĂšde, en Finlande et en NorvĂšge Ă partir de 1998. Il montre le nombre dâincendies volontaires de vĂ©hicules pour 100.000 habitants dâaprĂšs le service des pompiers de chaque pays. Au dĂ©but des annĂ©es 2000, la SuĂšde et la Finlande Ă©taient Ă des niveaux assez proches mais, depuis lors, leur nombre a baissĂ© lĂ©gĂšrement en Finlande, tandis que le phĂ©nomĂšne sâest fortement accentuĂ© en SuĂšde. Les donnĂ©es pour le Danemark ne sont disponibles que pour les derniĂšres annĂ©es et ne permettent pas une comparaison Ă travers le temps, mais ce pays a aussi un problĂšme significatif avec les incendies de voitures dans les zones Ă forte concentration dâimmigrĂ©s et en relation avec des troubles sociaux. En 2014, le taux dâincendies de vĂ©hicules sâĂ©tablissait Ă 9,1 pour 100.000 habitants, câest-Ă -dire en dessous de la SuĂšde, mais nettement au-dessus des niveaux norvĂ©giens et finlandais.
Graphique 1 : Incendies volontaires de véhicules en SuÚde, Finlande et NorvÚge.
Source :
Statistiska centralbyrÄn.
Kenan Habul, « KvĂ€llen nĂ€r stenarna slutade att falla över Husby » [« Le soir oĂč les pierres ont cessĂ© de tomber sur Husby »], Aftonbladet, 25 mai, 2013
L’un des Ă©vĂ©nements majeurs dans les troubles de ces derniĂšres annĂ©es, et qui peut servir dâexemple, est celui des Ă©meutes de plusieurs semaines qui ont Ă©clatĂ© dans la pĂ©riphĂ©rie de Stockholm le 13 mai 2013. La police a reçu des appels en provenance du quartier de Husby, Ă forte densitĂ© dâimmigrĂ©s. Les rĂ©sidents Ă©taient effrayĂ©s par un homme de 69 ans qui agitait une machette. Cet immigrĂ© portugais fut tuĂ© par la police. Une semaine plus tard, la police Ă©tait de nouveau appelĂ©e Ă Husby. Cette fois, les rĂ©sidents Ă©voquaient des hommes masquĂ©s brĂ»lant des voitures avec de lâessence et des cocktails Molotov. Quand les policiers et les pompiers arrivĂšrent, ils furent accueillis par de nombreux jets de pierre.
Tous les matins de la semaine suivante, les SuĂ©dois se rĂ©veillĂšrent au rythme de nouvelles images dâincendies et dâĂ©meutes. Les rumeurs de racisme et de brutalitĂ© policiĂšres furent lâĂ©tincelle qui dĂ©clencha les Ă©meutes, y compris dans dâautres quartiers dâimmigrĂ©s oĂč le ressentiment contre la sociĂ©tĂ© suĂ©doise Ă©tait rampant. La police ne parvint Ă maĂźtriser lâĂ©meute quâaprĂšs avoir demandĂ© des renforts en provenance dâautres villes suĂ©doises. Le bilan des dommages matĂ©riels fut dâenviron 200 voitures incendiĂ©es, en sus dâĂ©coles et de centres culturels rĂ©duits en cendres.
Le chĂŽmage parmi les immigrĂ©s est depuis longtemps Ă©levĂ©, mais les troubles du printemps 2013 peuvent difficilement sâexpliquer par des coupes budgĂ©taires. Husby est un quartier qui bĂ©nĂ©ficie depuis longtemps dâinvestissements publics, de programmes de rĂ©novation, de projets dâintĂ©gration, de centres de loisirs pour les jeunes et de plans pour lâemploi. LâannĂ©e prĂ©cĂ©dant les Ă©meutes, tous les Ă©lĂšves de collĂšge dans les Ă©tablissements municipaux de Husby avaient ainsi reçu un iPad neuf. La cause des Ă©meutes est sans doute Ă chercher dans des sentiments dâamertume et dâaliĂ©nation. Il est clair quâil ne sâagit pas de troubles dâinspiration islamiste radicale ou dâun acte de rĂ©bellion politique bien rĂ©flĂ©chi, mais dâune rĂ©action juvĂ©nile spontanĂ©e, illustrĂ©e par la façon dont ces Ă©meutes ont pris fin : Ă lâinitiative de la communautĂ© locale, un barbecue gĂ©ant a Ă©tĂ© organisĂ© sur la place centrale de Husby, sur le principe « Une saucisse pour une pierre ». Le tabloĂŻd Aftonbladet Ă©crivait : «Hier les pierres ont cessĂ© de pleuvoir sur Husby. Et le dernier feu fut celui des barbecues Ă hot- dogs. âNous faisons cela pour rĂ©pandre lâamourâ, dĂ©clare Zakaria, rĂ©sident de Husby. Ă minuit, les braises se sont Ă©teintes sur le barbecue prĂšs du magasin Tempo, dans le centre de Husby. Il nây avait pas dâorganisation derriĂšre le gril des hot-dogs, juste les gens de Husby, affirme Zakaria. âOn a dâabord achetĂ© les hot-dogs et les petits pains, mais ensuite les magasins nous ont donnĂ© gratuitement ce dont on avait besoinâ, dit-il. Ă cĂŽtĂ© des barbecues se trouvait une pancarte : âArrĂȘte avec les pierres, prends donc un hot-dog.â5 »
La nouvelle pauvretĂ© et lâexclusion sociale
En SuĂšde ce quâon appelle « Ă©ducation primaire » inclut notre collĂšge et sâachĂšve Ă 16 ans ; pour pouvoir poursuivre au lycĂ©e, les Ă©lĂšves doivent obtenir des notes minimales en mathĂ©matiques, anglais et suĂ©dois. [NdT]
Câest dans ce contexte que jâai actualisĂ© en 2014 la carte de lâexclusion sociale jusquâĂ 2012, derniĂšre annĂ©e pour laquelle on disposait de statistiques. Voir Tino Sanandaji, « Utanförskapets karta â en uppföljning av Folkpartiets rapportserie » [« La carte de lâexclusion sociale â une suite des rapports du Parti libĂ©ral »], Författaren & Stiftelsen Den Nya VĂ€lfĂ€rden, 2014
Traditionnellement, câest le mot «pauvreté» que lâon aurait dĂ» utiliser en SuĂšde pour ce que lâon nomme aujourdâhui «exclusion sociale». Mais cette Ă©volution nâest probablement pas une coĂŻncidence. La pauvretĂ© se rĂ©fĂšre originellement Ă un manque de ressources matĂ©rielles. Il peut sâagir de misĂšre absolue ou de pauvretĂ© relative qui dĂ©signe une situation oĂč lâon a de faibles revenus par rapport Ă dâautres membres de la mĂȘme sociĂ©tĂ©. Mais, dans la SuĂšde actuelle, ce que lâon associe fondamentalement Ă lâexclusion sociale nâest ni la misĂšre matĂ©rielle ni la pauvretĂ© relative. La plupart des personnes qui sont considĂ©rĂ©es et se considĂšrent elles-mĂȘmes comme socialement exclues auraient Ă©tĂ© comptabilisĂ©es parmi les hauts revenus si elles avaient vĂ©cu en SuĂšde il y a cent ans ou si elles vivaient aujourdâhui en dehors du monde occidental. GrĂące Ă la combinaison dâune forte croissance Ă©conomique et de faibles inĂ©galitĂ©s, la SuĂšde a le taux de pauvretĂ© le plus faible dâEurope.
Les Ă©conomistes ayant une conception matĂ©rielle de la pauvretĂ© prĂ©disaient au dĂ©but du siĂšcle dernier quâelle disparaĂźtrait avec lâaugmentation des revenus. Ceci ne sâest pas produit malgrĂ© la hausse du niveau de vie. Une perspective alternative sur la pauvretĂ© a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e par Robert Fogel, prix Nobel dâĂ©conomie en 1993, pour qui la pauvretĂ© possĂšde une dimension dĂ©passant les seules considĂ©rations matĂ©rielles. La pauvretĂ© «psychologique» peut ĂȘtre vue comme un manque de capital humain en matiĂšre de connaissances et de compĂ©tences, de critĂšres de comportements, de dĂ©veloppement psychologique, de confiance et de rĂ©seaux sociaux. Le manque de capital humain et de capital social conduit Ă des revenus infĂ©rieurs, tout en augmentant le risque de comportements nĂ©gatifs tels que les addictions, la criminalitĂ©, des conditions de vie chaotiques et des familles Ă©clatĂ©es. Ceci expliquerait pourquoi la dimension sociale de la pauvretĂ© ne disparaĂźt pas malgrĂ© la hausse des revenus. En SuĂšde, la pauvretĂ© a aussi une composante matĂ©rielle. Par exemple, il y a de nombreux retraitĂ©s avec de faibles revenus et des mĂ©nages qui vivent de lâassistance sociale et dont le niveau de vie est relativement mĂ©diocre. Selon Statistiska centralbyrĂ„n, en 1991, les mĂ©nages ayant un emploi disposaient dâun revenu supĂ©rieur de 25% Ă ceux qui ne travaillaient pas, un Ă©cart qui sâest creusĂ© jusquâĂ 80% en 2013. Par ailleurs, Ă mesure que le revenu du travail et du capital augmentait pour les personnes employĂ©es, de nombreux programmes gouvernementaux dâaide sociale devenaient sensiblement moins gĂ©nĂ©reux.
Des phĂ©nomĂšnes comme la criminalitĂ© ou les addictions ont une connexion bien plus forte avec la pauvretĂ© psychologique ou sociale. Une façon dâillustrer ce phĂ©nomĂšne est de considĂ©rer les Ă©tudiants qui vivent de prĂȘts et de bourses. Les Ă©tudiants ont souvent de faibles revenus et vivent dans des logements exigus mais ils prĂ©sentent une faible incidence de criminalitĂ©, de comportements antisociaux, dâaddictions et autres attitudes frĂ©quentes chez les plus pauvres. La raison est que les Ă©tudiants bĂ©nĂ©ficient dâatouts immatĂ©riels sous la forme dâun fort capital humain et social que les Ă©tudes renforcent. Ceux qui ont de faibles revenus Ă cause de la pauvretĂ© sociale sont souvent surreprĂ©sentĂ©s dans les conduites nĂ©gatives, non parce que ces attitudes sont causĂ©es par de faibles revenus mais parce que la pauvretĂ© sociale est la cause de ces faibles revenus et de ces comportements nĂ©gatifs.
De fait, ce que signifie lâexclusion sociale est rarement prĂ©cisĂ©. Lâusage abondant de ce terme pourrait sâexpliquer par sa flexibilitĂ© sĂ©mantique et la possibilitĂ© de lâinterprĂ©ter diffĂ©remment par des gens diffĂ©rents. De plus, dans un pays comme la SuĂšde la pauvretĂ© matĂ©rielle, en tant que problĂšme social essentiel, a Ă©tĂ© remplacĂ©e par le thĂšme des inĂ©galitĂ©s sociales. Le manque dâune dĂ©finition thĂ©orique exacte a Ă©galement conduit Ă lâutilisation dâautres mesures de lâexclusion sociale. La dĂ©finition empirique dĂ©veloppĂ©e par Mauricio Rojas, ancien porte-parole du Parti libĂ©ral pour la politique dâasile et dâimmigration, Ă©tait la mieux fondĂ©e scientifiquement : elle se concentrait sur les zones rĂ©sidentielles plutĂŽt que sur les individus. LâĂ©valuation incluait, en plus de la proportion de gens ayant un travail, les rĂ©sultats scolaires et la participation Ă©lectorale comme autant de critĂšres dâapproximation pour mesurer le capital social, et Ă©tait, de ce fait, plus Ă©laborĂ©e dâun point de vue sociologique.
L’Ă©tude des zones rĂ©sidentielles prĂ©sente quelques avantages. Lâun est que la proportion des individus ayant un emploi ne reflĂšte pas nĂ©cessairement lâexclusion sociale subie, dans la mesure oĂč elle comprend le congĂ© parental, le congĂ© maladie et les Ă©tudes. Il y a donc un niveau de personnes sans emploi qui est normal et qui nâa rien Ă voir avec lâexclusion sociale. Une façon de mesurer celle-ci est dâĂ©tudier les aires rĂ©sidentielles qui sont au-dessus de ce niveau dâinactivitĂ©. LâĂ©tude des aires rĂ©sidentielles prĂ©sente un autre avantage pour lâanalyse en raison du fait que lâexclusion sociale est liĂ©e Ă la sĂ©grĂ©gation par lâhabitat.
Le Parti libĂ©ral a continuĂ© sur ce chemin dans la perspective des Ă©lections de 2002 et, en 2004, il a publiĂ© un rapport trĂšs remarquĂ©, Ă bien des Ă©gards innovant, intitulĂ© «La carte de lâexclusion sociale». Le rapport a utilisĂ© les Ă©valuations gĂ©ographiques du Statistiska centralbyrĂ„n pour rĂ©partir le pays en 5.000 aires rĂ©sidentielles et en observant combien nombre dâentre elles Ă©taient affectĂ©es par de profonds problĂšmes sociaux. Les deux critĂšres de la dĂ©finition dâune zone dâexclusion sociale Ă©taient les suivants : que 60% ou moins de rĂ©sidents en Ăąge de travailler aient un emploi et que moins de 70% aient achevĂ© le collĂšge avec succĂšs6 ou que moins de 70% aient votĂ© Ă la derniĂšre Ă©lection municipale. Le rapport du Parti libĂ©ral a rĂ©vĂ©lĂ© que le nombre de zones concernĂ©es est passĂ© de 3 en 1990 Ă 128 en 2002. Par la suite, ce rapport a Ă©tĂ© actualisĂ© plusieurs fois. La derniĂšre Ă©dition a montrĂ© que le nombre de zones dâexclusion sociale a continuĂ© dâaugmenter pour atteindre 156 en 2006. Le rapport a rencontrĂ© un large Ă©cho mĂ©diatique, peut-ĂȘtre en partie en raison de sa rigueur mĂ©thodologique peu commune.
Le nombre de zones dâexclusion sociale a continuĂ© dâaugmenter entre 2006 et 20127. En 2006, 156 aires rĂ©sidentielles avaient des problĂšmes socio- Ă©conomiques si aigus quâelles Ă©taient dĂ©finies comme zones dâexclusion sociale ; en 2012, le nombre Ă©tait passĂ© Ă 186. Une proportion significative de leurs rĂ©sidents est constituĂ©e dâimmigrĂ©s de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration, câest-Ă -dire nĂ©s en SuĂšde de parents Ă©trangers. Seuls 26% des habitants de ces zones en 2006 et 25% en 2012 Ă©taient dâorigine suĂ©doise, câest-Ă -dire des individus nĂ©s en SuĂšde de deux parents nĂ©s en SuĂšde. Le tableau 1 rĂ©sume les rĂ©sultats, fondĂ©s sur les calculs du Statistiska centralbyrĂ„n qui, en plus des zones dâexclusion sociale, montrent les revenus moyens pour toutes ces zones comparĂ©es au reste du pays.
Tableau 1 : Lâexclusion sociale entre 2006 et 2012.
Source :
Statistiska centralbyrÄn.
Immigration et criminalité
Voir Maria Kaspersson, « Dödligt vÄld i Stockholm pÄ 1500-, 1700- och 1900-talet » [« La violence meurtriÚre à Stockholm au XVIe, XVIIIe et XIXe siÚcles »], Stockholms Universitet, Kriminologiska Institutionen, Avhandlingsserie, 4, 2000.
Jan Ahlberg, Invandrare och invandrares barns brottslighet â en statistisk analys [La criminalitĂ© des immigrĂ©s et des enfants dâimmigrĂ©s : une analyse statistique], Brottsförebyggande rĂ„det (BRA), 1996 et Brottsförebyggande rĂ„det (BRA), Brottslighet bland personer födda i Sverige och i utlandet [La criminalitĂ© chez les jeunes nĂ©s en SuĂšde et Ă lâĂ©tranger], Brottsförebyggande rĂ„det (BRA), 2005
Lâun des effets les plus importants de lâexclusion sociale sur la sociĂ©tĂ© se produit Ă travers le sujet sensible et complexe de la criminalitĂ©. Celle-ci va au-delĂ de lâenjeu Ă©conomique ; elle possĂšde aussi une dimension morale oĂč sâinscrivent les notions de culpabilitĂ©, de justice et de vengeance. La crainte des crimes de lâ«Autre» a souvent Ă©tĂ© utilisĂ©e pour blĂąmer collectivement des groupes et crĂ©er de la haine. Tout au long de lâhistoire, il y a eu plusieurs exemples de crimes rĂ©els ou prĂ©tendus qui ont provoquĂ© des reprĂ©sailles sous forme de violence xĂ©nophobe, souvent contre des innocents. Une rhĂ©torique dĂ©nonçant la menace et la violence dont est victime son propre groupe risque dâattiser des instincts primaires.
La question de la criminalitĂ© chez les immigrĂ©s a Ă©tĂ© largement dĂ©battue ces derniĂšres annĂ©es. Ce phĂ©nomĂšne suscite des opinions et des Ă©motions fortes, et des affirmations contradictoires ont Ă©tĂ© avancĂ©es dans le dĂ©bat. Cela a accrĂ©ditĂ© lâidĂ©e que le sujet Ă©tait trĂšs compliquĂ© et opaque. Il existe en fait des recherches et des enquĂȘtes publiques abondantes sur la surreprĂ©sentation des immigrĂ©s dans la criminalitĂ©. Certes, comme lâimmigration en SuĂšde est longtemps restĂ©e faible, il y a peu dâĂ©tudes historiques sur la question. Les sources sont aussi limitĂ©es. Ă partir des donnĂ©es existantes, quelques Ă©tudes ont mesurĂ© le degrĂ© dâimplication des immigrĂ©s dans divers types de crimes, tels que les homicides Ă Stockholm8. Dans les annĂ©es 1970, des Ă©tudes ambitieuses ont Ă©galement Ă©tĂ© menĂ©es.
Le Brottsförebyggande rĂ„det (BRA, Conseil national suĂ©dois pour la prĂ©vention de la dĂ©linquance) a Ă©tĂ© Ă lâorigine de deux rapports trĂšs remarquĂ©s sur la criminalitĂ© des immigrĂ©s en SuĂšde9. Ces rapports comparent la criminalitĂ© enregistrĂ©e selon le pays de naissance et lâorigine des parents pour les annĂ©es 1985-1989 et 1997-2001, et mettent en Ă©vidence que le taux de criminalitĂ© parmi les Ă©trangers est plus fort que le taux de criminalitĂ© parmi les personnes dâorigine suĂ©doise. Les rĂ©sultats sont rĂ©sumĂ©s dans le tableau 2.
Tableau 2 : Lâorigine des auteurs de crimes et dĂ©lits signalĂ©s Ă la police (Ă rapporter Ă l’ensemble de la population)
Source : Brottsförebyggande rÄdet (BRA).
Pour interprĂ©ter correctement les donnĂ©es de ce tableau, il faut rapporter le nombre de crimes commis par une catĂ©gorie de personnes au poids de cette mĂȘme catĂ©gorie dans l’ensemble de la population. Par exemple, Ă ces dates, la population suĂ©doise dont les deux parents sont nĂ©s en SuĂšde reprĂ©sente plus de 80% de la population totale. [N.D.Ă.]
De type régression logistique.
Dans ce cas, le risque relatif dâune personne suĂ©doise nĂ©e de deux parents suĂ©dois =1 [N.D.Ă.].
BRA, op cit., p. 10.
Ibid., p. 21.
David Johansson, Mats Dernevik et Peter Johansson, LÄngtidsdömda mÀn och kvinnor i Sverige. KriminalvÄrdens riksmottagningar 1997-2009 [Hommes et femmes condamnés à de longues peines en SuÚde. Les centres nationaux de détention du Service National des Prisons et de Probation 1997-2009], KriminalvÄrdens Utvecklingsenhet, 2010, p. 56
Amir Rostami, Fredrik Leinfelt et Stefan Holgersson, « An Exploratory Analysis of Swedish Street Applying the Maxson and Klein Typology to a Swedish Gang Dataset », Journal of Contemporary Criminal Justice, vol. 28, n° 4, novembre 2012, p. 426-445.
Notons que les personnes non enregistrĂ©es dans le pays au moment de leur crime Ă©taient estimĂ©es Ă 3% des crimes commis en 1985-1989 et Ă 7% en 1997-2001. Ces groupes comprennent notamment les «individus en attente dâune dĂ©cision concernant leur demande dâun permis de sĂ©jour ; les individus restant temporairement en SuĂšde dans cette pĂ©riode comme touristes ou Ă©tudiants, et les individus venus dĂ©libĂ©rĂ©ment en SuĂšde avec des intentions criminelles».
Le groupe des personnes nĂ©es Ă lâĂ©tranger prĂ©sente gĂ©nĂ©ralement un risque criminel significativement plus Ă©levĂ©, ce qui est vĂ©rifiĂ© mĂȘme aprĂšs avoir neutralisĂ© les facteurs socio-Ă©conomiques. Le BRA Ă©crit : «Les Ă©tudes antĂ©rieures nous apprennent que certains facteurs comme lâĂąge et le sexe font varier la probabilitĂ© de commettre un crime. Câest pourquoi le Conseil a effectuĂ© ce que lâon appelle une standardisation des donnĂ©es pour les variables de sexe, dâĂąge, dâĂ©ducation et de revenus. Cette standardisation conduit, par le truchement de calculs statistiques10, Ă âĂ©galiserââ les diffĂ©rents groupes au regard de ces facteurs. Ainsi, le groupe des personnes nĂ©es Ă lâĂ©tranger reçoit le mĂȘme nombre dâhommes, la mĂȘme proportion de jeunes, et ainsi de suite. Il apparaĂźt alors que le risque relatif11 chez les personnes nĂ©es Ă lâĂ©tranger passe de 2,5 Ă 2,1. Le risque relatif chez les personnes nĂ©es en SuĂšde de deux parents Ă©trangers dĂ©croĂźt lui aussi de 2 Ă 1,5. Lâune des raisons explicatives de ce rĂ©sultat est que ces groupes sont composĂ©s dâune plus grande proportion dâhommes jeunes ayant un faible niveau dâĂ©ducation et de revenu, par comparaison avec ceux nĂ©s en SuĂšde de deux parents suĂ©dois12.»
La proportion des personnes enregistrĂ©es pour des crimes et dĂ©lits diffĂšre selon les pays dâorigine. Le Conseil note que « ceux qui viennent dâAfrique du Nord et du Moyen-Orient ont les plus forts taux de criminalitĂ©13». Cette proportion est en revanche plus faible chez les immigrĂ©s dâAsie du Sud-Est. Les personnes nĂ©es Ă lâĂ©tranger prĂ©sentent un risque relatif particuliĂšrement Ă©levĂ© en matiĂšre dâactes de violence aggravĂ©e : 3 pour les agressions, 4,1 pour le vol et 5 pour le viol.
Le rapport du KriminalvĂ„rdens Utvecklingsenhet (Service des prisons et de probation) donne des informations dĂ©taillĂ©es sur le parcours des personnes incarcĂ©rĂ©es pour de longues peines, câest-Ă -dire Ă quatre ans ou plus pour les hommes et deux ans ou plus pour les femmes. Le rapport relĂšve quâune «majoritĂ© (52,9%) de ceux-ci sont originaires dâautres pays que la SuĂšde14». Cela inclut les personnes nĂ©es Ă lâĂ©tranger ayant la nationalitĂ© suĂ©doise, les demandeurs dâasile, les individus ayant un titre de sĂ©jour et les visiteurs de passage. On manque dâinformations claires sur la proportion des quelque 47% de prisonniers nĂ©s en SuĂšde appartenant Ă la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration dâimmigrĂ©s. Les crimes les plus courants, aussi bien pour les natifs du pays que pour les individus nĂ©s Ă lâĂ©tranger, sont, selon le rapport, liĂ©s au trafic de drogue. Pour ceux nĂ©s Ă lâĂ©tranger, beaucoup viennent dâEurope de lâEst et du Moyen-Orient : la nationalitĂ© la plus reprĂ©sentĂ©e aprĂšs la SuĂšde est la Pologne, suivie de prĂšs par lâIran et la Finlande. Compte tenu du fait quâils excluent ceux qui ont Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©s dans leur pays dâorigine pour y accomplir leur peine, ces chiffres sous-estiment la proportion des crimes et dĂ©lits commis par des Ă©trangers.
Enfin, Amir Rostami et ses collĂšgues ont Ă©tudiĂ© la structure sociale des gangs de rue en SuĂšde en utilisant les rapports de police : 239 membres des sept gangs classĂ©s par la police comme les plus importants ont Ă©tĂ© examinĂ©s dans cette Ă©tude ; tous sont des hommes et 76% dâentre eux sont de la premiĂšre ou de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration dâimmigrĂ©s15. MalgrĂ© la surreprĂ©sentation significative des immigrĂ©s dans la criminalitĂ©, on a massivement niĂ© le fait que lâimmigration entraĂźne une augmentation de la criminalitĂ©, en invoquant souvent des facteurs socio-Ă©conomiques. Isoler statistiquement le rĂŽle des facteurs socio-Ă©conomiques contribue assurĂ©ment Ă une meilleure comprĂ©hension mais ne supprime pas, comme par enchantement, la surreprĂ©sentation des immigrĂ©s dans la criminalitĂ©. Un tel traitement des facteurs socio-Ă©conomiques est un exemple Ă©lĂ©mentaire de lâerreur statistique communĂ©ment appelĂ©e « surpondĂ©ration ». Les conclusions ne sont en rien affectĂ©es par le degrĂ© dâexplication de la criminalitĂ© par ces facteurs. Cette pondĂ©ration ne fait que rallonger le raisonnement : on passe de lâimmigration comme cause dâaugmentation de la criminalitĂ© Ă lâimmigration comme cause dâaugmentation du nombre de personnes ayant des problĂšmes socio- Ă©conomiques, cause Ă son tour dâune augmentation de la criminalitĂ©.
L’argument des facteurs socio-Ă©conomiques aurait Ă©tĂ© plus pertinent si la SuĂšde disposait dâoutils pour rĂ©soudre facilement lesdits problĂšmes. Il sera peut-ĂȘtre un jour possible de les rĂ©soudre mais, en attendant, ils font partie de la rĂ©alitĂ© et ne doivent pas ĂȘtre neutralisĂ©s dans lâanalyse. Ils ne sont pas davantage des phĂ©nomĂšnes temporaires qui disparaitront dâeux-mĂȘmes. La surreprĂ©sentation des immigrĂ©s aussi bien dans la criminalitĂ© que dans les problĂšmes socio-Ă©conomiques est constante. On observe mĂȘme une lĂ©gĂšre augmentation au cours des derniĂšres dĂ©cennies.
Posons comme hypothĂšse, pour les besoins de lâargumentation, quâune culture patriarcale augmente le risque de violences contre les femmes et la probabilitĂ© que celles-ci ne travaillent pas. Mettre de cĂŽtĂ© le fait dâavoir Ă©tĂ© Ă©levĂ© dans une famille oĂč la mĂšre ne travaille pas rĂ©duirait la surreprĂ©sentation de tels cas dans la criminalitĂ©, dans la mesure oĂč les rapports familiaux sont une mesure indirecte des diffĂ©rences culturelles. La pondĂ©ration des facteurs explicatifs peut prĂ©senter un intĂ©rĂȘt rĂ©el mais lâinterprĂ©tation correcte des rĂ©sultats exige une comprĂ©hension de la vĂ©ritable signification de lâanalyse. Les problĂšmes socio- Ă©conomiques, tels quâune faible formation, peuvent ĂȘtre eux-mĂȘmes causĂ©s par des facteurs plus profonds comme les diffĂ©rences culturelles ou le capital social, et ne peuvent donc pas ĂȘtre interprĂ©tĂ©s comme une variable autonome dâexplication. Peu importe la cause des problĂšmes socio-Ă©conomiques : ils ne peuvent pas ĂȘtre Ă©liminĂ©s tant quâils existent dans la rĂ©alitĂ©.
MalgrĂ© dâintenses efforts, la SuĂšde nâa pas rĂ©solu ces difficultĂ©s et tant quâelles existent il est impĂ©ratif de les prendre en compte. Les problĂšmes socio-Ă©conomiques des immigrĂ©s ne peuvent ĂȘtre sĂ©parĂ©s de la problĂ©matique de lâimmigration. Il y a une confusion rĂ©pandue qui consiste Ă penser que lâon peut, en neutralisant le rĂŽle des facteurs contextuels, conjurer les effets indĂ©sirables de lâimmigration. Cette erreur provient dâune incomprĂ©hension fondamentale des mĂ©thodes statistiques de base, comme de ce que veut vraiment dire la pondĂ©ration des variables.
Si lâon neutralise leur teneur en lipides et en sucre, les biscuits contiennent le mĂȘme nombre de calories que les pommes. Ce qui ne saurait signifier que vous pouvez remplacer les pommes par les biscuits sans prendre du poids. Leur plus haute teneur en lipides et en sucre explique en effet que ceux-ci contiennent plus de calories que celles-lĂ . Une analyse statistique portant sur la valeur nutritive peut ĂȘtre utilisĂ©e pour diffĂ©rencier ces aliments, mais non pour nier le plus grand nombre de calories prĂ©sent dans les biscuits. De la mĂȘme façon, une analyse statistique qui rĂ©partit en Ă©lĂ©ments distincts la surreprĂ©sentation des immigrĂ©s dans la criminalitĂ©, en neutralisant les facteurs contextuels, ne saurait ĂȘtre utilisĂ©e pour nier le lien causal entre immigration et criminalitĂ©.
Nouvelles formes de criminalité dans les banlieues
CitĂ© in Emma Ekström, Annika Eriksson, Lars Korsell et Daniel Vesterhav, Brottslighet och trygghet i Malmö, Stockholm och Göteborg. En kartlĂ€ggning [Violence et sĂ©curitĂ© Ă Malmö, Stockholm et Une enquĂȘte], Brottsförebyggande rĂ„det (BRA), 2012, p. 136
En nationell översikt av kriminella nÀtverk med stor pÄverkan i lokalsamhÀllet [Une étude nationale des réseaux criminels ayant un impact majeur sur les communautés locales], Sekretessprövad version, Rikskriminalpolisen, UnderrÀttelsesektionen, octobre 2014, p. 8
Il sâagit dâun mĂ©lange de produit de synthĂšse contenant une grande majoritĂ© de produits Ă base de THC (le delta 9 tetra hydro cannabinol est le principal alcaloĂŻde contenu dans le cannabis) [N.D.Ă.].
Ibid., p. 11.
Ibid., p. 14.
Progressivement, des structures criminelles sont apparues dans les quartiers pĂ©riphĂ©riques des villes suĂ©doises. Contrairement Ă ce que beaucoup avaient prĂ©dit, la sociĂ©tĂ© multiculturelle nâa pas donnĂ© le jour Ă une sociĂ©tĂ© dâinnovation sur le mode de la Silicon Valley, mais Ă une sociĂ©tĂ© parallĂšle oĂč prospĂšrent la fraude fiscale et le travail au noir. La consĂ©quence en est que les «entreprises honnĂȘtes» sont mises hors circuit par la multiplication des activitĂ©s clandestines. Une enquĂȘte publiĂ©e par le BRA peut ainsi citer ce tĂ©moignage : «Si une entreprise Ă©crase les prix parce quâelle ne paie pas dâimpĂŽts ou parce quâelle utilise de lâargent sale, alors les entreprises qui tentent de rester dans la lĂ©galitĂ© doivent suivre le mouvement pour rester compĂ©titives. DĂšs lors, elles vont peut-ĂȘtre enregistrer une transaction sur deux au lieu de la totalitĂ©16.» Outre lâĂ©vasion fiscale, le modĂšle du marchĂ© du travail suĂ©dois est minĂ© par le travail illĂ©gal payĂ© Ă des salaires bien infĂ©rieurs aux normes conventionnelles. Cela se produit souvent en combinaison avec lâĂ©vasion fiscale et, parfois, avec la fraude aux prestations sociales.
Ce nâest quâĂ la fin des annĂ©es 1990 que la police a commencĂ© Ă voir lâĂ©mergence dâun nouveau phĂ©nomĂšne dans les pĂ©riphĂ©ries urbaines. Selon la police, voici ce qui sâest produit : «Des dĂ©linquants locaux ont combinĂ© leurs forces et ont dĂ©veloppĂ© leurs pratiques criminelles. Utilisant lâarme de la menace et de la violence, ces individus ont crĂ©Ă© un climat de peur et dâinsĂ©curitĂ© dans les communautĂ©s locales, renforçant encore le pouvoir des organisations criminelles. Depuis les annĂ©es 2000, les rĂ©seaux criminels locaux enracinĂ©s dans certaines zones gĂ©ographiques sont devenus un problĂšme croissant en SuĂšde17.»
En 2014 et 2015, la direction de la police suĂ©doise a rendu public deux rapports nationaux sur 53 zones exposĂ©es Ă la criminalitĂ© parmi lesquelles quinze le sont Ă un degrĂ© critique. Ces 53 zones se caractĂ©risent par le fait que «les rĂ©seaux criminels locaux sont considĂ©rĂ©s comme ayant un impact nĂ©gatif sur la communauté». Les crimes qui sây produisent trĂšs rĂ©guliĂšrement incluent la violence, les Ă©meutes, les jets de pierres, le trafic de drogue, etc.
Le trafic de stupĂ©fiants est la composante la plus importante de lâactivitĂ© criminelle et se dĂ©roule plus ou moins Ă la vue de tous. La substance la plus courante est le cannabis, mĂȘme sâil existe aussi des drogues plus dures comme la cocaĂŻne, la mĂ©thamphĂ©tamine et le spice 18. La division nationale des enquĂȘtes criminelles affirme que «les jeunes dĂ©linquants dans ce type de zones financent leur addiction de deux façons principales : la vente ou le vol. De sorte que lâusage de drogues est une porte dâentrĂ©e dans la criminalité». Le trafic de drogue mĂšne souvent Ă des conflits internes comme externes. La suite du rapport explique : «La forte valeur monĂ©taire des drogues signifie quâil y a toujours un gros risque financier, aussi bien pour les vendeurs que pour les clients, tout au long de la chaĂźne de distribution. Ceci est Ă lâorigine de situations dâendettement. Les diffĂ©rends liĂ©s Ă ce genre de situations ont conduit dans divers endroits Ă des actions punitives ou ont dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en conflits19.»
Pour protĂ©ger une entreprise de trafic criminel, il existe des mĂ©thodes variĂ©es, incluant la surveillance des vĂ©hicules de passage, les «arnaques», les caches dâarmes ou les transports internes par scooters. Une «arnaque» est une forme dâextorsion ou de vol oĂč lâon simule lâexistence dâune dette : une somme doit ĂȘtre payĂ©e pour compenser une injustice perçue ou fictive. Les armes sont dissimulĂ©es Ă la police en confiant aux individus les plus jeunes du groupe la tĂąche de les stocker et de les transporter vers les membres plus ĂągĂ©s. Les scooters sont des outils importants de ce business pour assurer le transport des armes et de la drogue mais aussi pour surveiller les vĂ©hicules qui traversent le territoire.
Dans certains cas, lâimpact de la criminalitĂ© sur la communautĂ© locale est si profond que lâon entre dans la problĂ©matique de ce quâon appelle les sociĂ©tĂ©s parallĂšles. Celles-ci incluent des pratiques comme le racket et un systĂšme judiciaire Ă part, oĂč les conflits sont rĂ©glĂ©s directement au sein du milieu criminel en dehors du systĂšme lĂ©gal officiel. Le mĂ©canisme fait quâavec le temps se produit une normalisation de lâexception : un incendie de voitures Ă Rinkeby a cessĂ© de faire Ă©vĂ©nement, alors que le mĂȘme fait accĂšderait aux faveurs des gros titres de la presse sâil se produisait dans le centre de Stockholm. Les sociĂ©tĂ©s parallĂšles aboutissent Ă lâĂ©mergence de normes et dâinstitutions nouvelles. On trouve des exemples de rĂ©seaux criminels qui placent de lâargent dans un « fonds de sĂ©curitĂ© » dont peuvent profiter les parents des criminels incarcĂ©rĂ©s pour recevoir une aide matĂ©rielle pendant la durĂ©e de lâincarcĂ©ration. Au travers dâinstitutions comme ce fonds de sĂ©curitĂ©, la criminalitĂ© risque dâaugmenter encore, puisque la carriĂšre criminelle devient une sorte de profession possĂ©dant son propre systĂšme dâassurance sociale.
Un systĂšme indĂ©pendant assurant que force reste Ă la loi est une composante clĂ© du bon fonctionnement dâune sociĂ©tĂ©. Un signe clair de lâĂ©mergence dâune sociĂ©tĂ© parallĂšle est la difficultĂ© Ă appliquer la loi dans un endroit. Les rĂ©sidents sont de moins en moins susceptibles de tĂ©moigner ou bien choisissent de retirer leurs tĂ©moignages, phĂ©nomĂšne qui sâest produit dans plusieurs affaires dans les zones les plus critiques. La rĂ©ticence Ă coopĂ©rer avec le systĂšme judiciaire nâest pas seulement due aux attitudes des rĂ©sidents locaux mais est souvent le rĂ©sultat direct de menaces ou de violences. Quand une sociĂ©tĂ© parallĂšle est instaurĂ©e, il ne devient pas seulement difficile pour la police dâintervenir dans cet endroit ; la police dresse la description suivante de la situation : «Toutefois, un constat fait lors des visites dâĂ©tudes auprĂšs des autoritĂ©s policiĂšres est que les fonctionnaires traitant les dossiers dâaide financiĂšre comme lâAgence de SĂ©curitĂ© sociale et les services sociaux sont sujets aux pressions les plus fortes du milieu criminel. Il y a des cas de pression illĂ©gale directe, et dâautres oĂč il sâagit plutĂŽt dâautocensure, câest-Ă -dire oĂč les agents sont influencĂ©s dans lâaccomplissement de leur mission sans ĂȘtre directement menacĂ©s. La peur dâĂȘtre victime de conduites criminelles peut entraĂźner une modification de la conduite des fonctionnaires. Cela ne signifie pas nĂ©cessairement que les agents ont Ă©tĂ© directement victimes dâun agissement illĂ©gal. Il sâagit plutĂŽt dâune passivitĂ© ou dâune modification du comportement professionnel dans le but dâĂ©viter un Ă©vĂ©nement indĂ©sirable comme le harcĂšlement, les menaces ou la violence. Les surveillants de parkings forment une autre catĂ©gorie professionnelle qui Ă©prouve des difficultĂ©s Ă opĂ©rer dans plusieurs de ces zones parce quâils se sentent menacĂ©s. Il y a aussi des cas de journalistes qui ont fait lâobjet de menaces ou de pressions20.»
Câest pourquoi la police sâest vue contrainte de dĂ©velopper des mĂ©thodes et des mesures spĂ©cifiques pour ĂȘtre capable dâopĂ©rer dans ces zones. Par exemple, elle y travaille toujours en Ă©quipes dĂ©doublĂ©es pour sâassurer que le vĂ©hicule de police ne soit pas vandalisĂ© pendant que lâunitĂ© dâintervention effectue sa mission. Les vĂ©hicules sont aussi dotĂ©s de vitres renforcĂ©es pour se protĂ©ger des pierres et autres objets lancĂ©s contre eux. Dans le mĂȘme but, les policiers portent des gilets pare-balles, des casques et des boucliers. Les lunettes de protection sont aussi un important Ă©quipement dĂ©fensif contre les lasers verts, avec lesquels la police est de plus en plus attaquĂ©e.
Comportements antisociaux
Paulina Neuding, « LĂ„t inte detta normaliseras » [« Nâacceptons pas la normalisation de ces faits »], Svenska Dagbladet, 7 juin 2015
Ibid.
Mikael Brandt, « UngdomsgĂ€ng hĂ€rjade pĂ„ Karlslundsbadet â polisen kom inte » [« Raid dâune bande de jeunes au Karlslundsbadet : la police nâest pas intervenue »], Helsingborgs Dagblad, 2 septembre 2016
Oskar Ahlqvist, « Akutsjuksköterskan blev attackerad pĂ„ jobbet: âHan bara fortsatte slĂ„â » [« LâinfirmiĂšre des urgences attaquĂ©e au travail : âIl nâarrĂȘtait pas de frapperâ »], Sydsvenskan, 28 aoĂ»t 2016
« Parkarbetare hotas och utsÀtts för stenkastning » [« Les employés des parcs publics sont menacés et exposés aux jets de pierres »], sverigesradio.se, 24 août 2016
Citée in « Stenkastning allt vanligare mot poliser i Rinkeby » [« Le jet de pierres : un phénomÚne de plus en plus courant contre la police à Rinkeby »], Dagens Nyheter, 11 mai, 2016
Frida Svensson, « âUnikâ ökning av handgranater â Sverige sticker ut i Europa » « [Essor sans prĂ©cĂ©dent des grenades Ă main : la SuĂšde se distingue en Europe »], Svenska Dagbladet, 25 aoĂ»t 2016
Ibid.
La SuĂšde a beau ĂȘtre en apparence une sociĂ©tĂ© libĂ©rale, dans la pratique toutes les situations dâinteraction humaine sont soumises Ă des rĂšgles sociales minutieuses. La moindre dĂ©viation est punie par lâexclusion sociale silencieuse sâappliquant aux autochtones comme aux personnes nĂ©es Ă lâĂ©tranger.
Les mĂ©dias ont dĂ©crit de nombreux exemples de conduite antisociale Ă travers la SuĂšde. On en Ă©voquera quelques-uns ci-aprĂšs. Les dĂ©sordres vont de transgressions dites mineures, comme le saccage de bibliothĂšques, Ă des attaques Ă la grenade provoquant la mort dâenfants, en passant par des menaces ou des agressions sexuelles. Le comportement antisocial inclut la violation des normes formelles et informelles qui rĂ©gissent lâinteraction sociale et oĂč se manifestent des heurts et des Ă©lĂ©ments dâhostilitĂ©.
Les comportements antisociaux constituent des actes conscients qui expriment un antagonisme. Une autre catĂ©gorie comme le jet de dĂ©tritus ou les Ă©clats de voix en public peut aussi bien relever dâune dĂ©monstration de force que dâun laisser-aller personnel combinĂ© Ă une indiffĂ©rence au bien-ĂȘtre commun. Ne pas montrer de considĂ©ration pour son entourage en brisant les rĂšgles que les autres respectent peut aussi ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une premiĂšre forme de comportement antisocial.
Ce type dâagissement se produit souvent dans lâenvironnement local, affectant donc surtout les voisins, les camarades de classe et ceux qui vivent dans le mĂȘme quartier. Il est prĂ©sent Ă des degrĂ©s divers chez les natifs du pays et ceux nĂ©s Ă lâĂ©tranger. Dans la mesure oĂč il est davantage frĂ©quent dans les zones dâexclusion sociale, on doit garder Ă lâesprit que les principales victimes en sont les personnes dâorigine Ă©trangĂšre.
Nombre de ces problĂšmes sont trĂšs courants dans les endroits Ă forte concentration de jeunes. Cela peut sâappliquer aux Ă©coles, aux centres de loisirs, aux lieux de spectacles et aux centres commerciaux. Les dĂ©sordres et les bagarres sâĂ©tendent aussi Ă des lieux vouĂ©s Ă lâordre et au calme : hĂŽpitaux, bains publics et bibliothĂšques. Le quotidien suĂ©dois Svenska Dagbladet a ainsi relatĂ© des incidents survenus dans des bibliothĂšques de la rĂ©gion de Stockholm en 2013-2015 : «Dans les rapports sont dĂ©crits prĂšs de 500 cas de violences, vols et bagarres dans les bibliothĂšques de la rĂ©gion de Stockholm durant les deux derniĂšres annĂ©es et demie, et le simple nombre dâincidents tĂ©moigne de sĂ©rieux problĂšmes. Les bibliothĂšques sont des espaces ouverts et non protĂ©gĂ©s, elles sont bien situĂ©es et les sections pour les enfants sont souvent joliment Ă©quipĂ©es de sofas et de coins repos. Ce sont des lieux attirants pour lire, mais aussi pour traĂźner, dominer et provoquer21.» Plusieurs membres du personnel dĂ©crivent les bandes de jeunes qui sĂšment le dĂ©sordre en hurlant, en harcelant le personnel et les visiteurs, en regardant du porno sur Internet et en utilisant les bibliothĂšques comme centres de loisirs : «âJe vois des jeunes jeter des graines de tournesol dans la section des enfants et, Ă mon passage suivant, jâen vois plusieurs assis fumant une pipe. La fumĂ©e a une odeur Ă©trange !â [âŠ] On appelle la sĂ©curitĂ©, elle est incapable de ramener lâordre et demande donc des renforts. La bande de jeunes ignore aussi bien le personnel que les gardiens et finit par provoquer un incident avec lâun de nos patrons. Ils lâattaquent physiquementâ [âŠ] Les quatre forment un cercle menaçant autour de la bibliothĂ©caire Ă temps partiel et les garçons disent des choses insultantes et dĂ©placĂ©es tels que : âJe vais te buter, je vais te montrer ma biteâ, et ainsi de suiteâ22.»
De la mĂȘme façon, il existe de nombreux cas attestĂ©s de troubles dans les piscines. Le journal local Helsingborg Dagblad Ă©crit Ă propos des incidents survenus Ă Landskrona : «Jeudi soir, une bande de jeunes a soudainement commencĂ© Ă jeter des tables, des chaises et dâautres objets dans la piscine et Ă sâen prendre au personnel. TĂŽt dans la soirĂ©e, une quinzaine de jeunes ĂągĂ©s de 12 ans environ et plus, et des adultes se sont subitement mis Ă mal se comporter. Ils Ă©taient grossiers et agressifs, et jetaient des tables, raconte un membre du personnel qui Ă©tait prĂ©sent. Les jeunes Ă©taient Ă la piscine depuis un moment : ils y ont mangĂ©, puis certains dâentre eux ont eu lâidĂ©e de fumer prĂšs de la piscine extĂ©rieure, oĂč cela est interdit. Mais ils nâont pas acceptĂ© quâon leur en fasse lâobservation. Au contraire, ils ont commencĂ© Ă protester23.» Les menaces et les attaques se produisent aussi dans dâautres secteurs comme la santĂ©. Un article du journal local Sydsvenskan a ainsi publiĂ© une enquĂȘte sur la violence exercĂ©e contre les professionnels de santĂ© Ă Malmö : «Sydsvenskan a lu des centaines de rapports de gardes de sĂ©curitĂ© du secteur hospitalier de Malmö entre 2014 et 2016 et a pris connaissance dâun monde oĂč les menaces et la violence font presque partie de la vie quotidienne. [âŠ] Un autre rapport dĂ©crit comment une infirmiĂšre a Ă©tĂ© menacĂ©e par un homme qui lui a dit quâil allait lui âplanter un couteauâ24.»
Les mĂ©tiers exposĂ©s comprennent aussi ceux des employĂ©s des parcs publics. DĂ©sherber dans les quartiers pĂ©riphĂ©riques est trĂšs compliquĂ©. La Radio suĂ©doise relate ces incidents et la façon dont la police a Ă©tĂ© plusieurs fois appelĂ©e Ă la rescousse de ces employĂ©s : «On a eu affaire Ă des situations menaçantes, des jets de pierres et ils ont sautĂ© sur les voitures. Lâambiance nâĂ©tait pas trĂšs agrĂ©able, pour tout dire25», dĂ©clare Tony Gahm, directeur du dĂ©partement de lâaide sociale, des loisirs et de la construction de VĂ€steras.
Le journal suĂ©dois Dagens Nyheter a fait le compte des cas de jets de pierres contre la police durant les quatre premiers mois de 2016 et est arrivĂ© au chiffre de 30 pour le seul quartier de Rinkeby. La pression pour les intervenants confrontĂ©s Ă un tel contexte pose un problĂšme sĂ©rieux de conditions de travail qui peut aussi affecter leur temps libre. Le stress est un facteur qui contribue aux trĂšs nombreuses dĂ©missions de policiers ces derniers temps. Lâarticle fait aussi part des inquiĂ©tudes de la prĂ©sidente du syndicat de la police suĂ©doise, Lena Nitz, suscitĂ©es par ce phĂ©nomĂšne. Elle considĂšre quâil ne sâagit que dâune question de temps avant que quelquâun soit sĂ©rieusement blessĂ©. Pour elle, lâenjeu de ces dĂ©rives est fondamental : «Tenter de faire obstruction Ă lâaction de la police en recourant Ă la violence aggravĂ©e est dĂ©sormais devenu un enjeu dĂ©mocratique26.» Elle pense quâil est grave que le jet de pierres soit considĂ©rĂ© comme normal aussi bien par lâauteur de lâacte que par les hommes politiques ou les autoritĂ©s.
Une autre forme plus brutale encore de comportement antisocial est lâusage dâarmes trĂšs destructrices, telles les grenades Ă main. Le quotidien Svenska Dagbladet dĂ©crit ainsi le phĂ©nomĂšne : «Lâafflux des grenades Ă main sâest intensifiĂ© en SuĂšde ces deux derniĂšres annĂ©es et ne semble pas ralentir. La SuĂšde est lâun des pays europĂ©ens oĂč lâutilisation des grenades Ă main a le plus augmentĂ© [âŠ]. Le petit garçon de 8 ans qui est mort lors de lâexplosion dâune grenade dans un appartement de Biskopgarden, Ă Gothenburg, est la premiĂšre victime de ce type dâengin depuis vingt ans, dâaprĂšs les chercheurs du Brottsförebyggande rĂ„det. Selon la police, lâexplosion pourrait ĂȘtre un acte de vengeance en rĂ©ponse Ă des meurtres brutaux commis dans un restaurant lâannĂ©e derniĂšre. Cette mort est vue aussi comme une consĂ©quence de lâutilisation criminelle mais croissante des explosifs, parmi lesquels les grenades Ă main27.» De son cĂŽtĂ©, Linda Staaf, chef de lâunitĂ© de renseignement de la Polisens nationella operativa avdelning (NOA, Division nationale des opĂ©rations de la police), estime que «le nombre des grenades saisies a augmentĂ© mais aussi celui des explosions : une nouvelle mode. La SuĂšde se signale par la plus forte augmentation de ces incidents en Europe28».
Le quotidien local Sysvenkan dĂ©crit une vague dâattaques menĂ©es avec ces armes dans divers endroits du centre de Malmö et mĂšne un entretien auprĂšs du chef de lâĂ©quipe nationale de lutte contre les explosifs : «âLes grenades Ă main sont dĂ©sormais responsables de la moitiĂ© des explosions. Tel nâĂ©tait pas le cas auparavant. Câest effrayant et extrĂȘmement graveâ, dit-il, en soulignant les risques pour la population. âUne grenade Ă main nâest plus contrĂŽlable quand elle a Ă©tĂ© lancĂ©eâ, dĂ©clare-t-il encore, en faisant une comparaison avec le risque posĂ© par une arme Ă feu : âCelle-ci a un tir plus ciblĂ© ; le danger est donc plus faible pour les personnes prĂ©sentes alentours.â Selon le NBS, un code dâhonneur existait auparavant chez les utilisateurs dâexplosifs limitant leur usage aux lieux isolĂ©s. Mais ce temps est rĂ©volu, dit-il. Le risque pour la population est ainsi devenu plus grand dĂšs lors que les explosions ont lieu dans les zones rĂ©sidentielles et les lieux publics.»
Les informations de la tĂ©lĂ©vision publique suĂ©doise ont rapportĂ© le fait sidĂ©rant quâune grenade Ă main peut ĂȘtre meilleur marchĂ© quâune glace ou un falafel : «Les grenades Ă main coĂ»tent moins cher quâune glace», câest ce quâaffirme lâinspecteur en chef Gunnar Appelgren, qui sâoccupe des infractions Ă la lĂ©gislation sur les armes et qui a pris part Ă des opĂ©rations pour saisir les grenades Ă main en SuĂšde et dans les Balkans ces derniĂšres annĂ©es. En coopĂ©ration avec les polices balkaniques, il a participĂ© Ă la saisie de plus dâune centaine de grenades et dâune dizaine dâarmes automatiques qui allaient ĂȘtre envoyĂ©es en SuĂšde cette annĂ©e : «Lâan dernier nous avons vu une cargaison de 64 grenades et 16 armes automatiques au prix dâenviron 1.000 euros sur le marchĂ© des Balkans, dĂ©clare Appelgren Ă la TĂ©lĂ©vision publique suĂ©doise. Mais, pour les acheteurs, seules les armes reprĂ©sentent un coĂ»t ; les grenades Ă main sont gratuites ou ne coĂ»tent que 1 ou 2 euros lâunitĂ©, entre 10 et 20 couronnes suĂ©doises. »
Conclusion
Orlando Mella, « MĂ„ngfaldsbarometern. Sju Ă„r av attitydmĂ€tningar » [« Le BaromĂštre de la diversitĂ©. Sept ans dâenquĂȘtes sur les comportements »], Sociologisk Forskning, 48, n° 4, 2011, p. 45-53.
Emma Löfgren, « âUnfriendlyâ Swedes give expats the cold shoulder », The Local, 29 aoĂ»t 2016
Special Eurobarometer 469 : Integration of Immigrants in the European Union, Union européenne , avril 2018, p. 109
De nombreux immigrĂ©s ne se perçoivent pas comme faisant partie de la communautĂ© suĂ©doise, y compris parmi ceux qui ont de faibles liens avec leur pays dâorigine ou celui de leurs parents. Une identitĂ© alternative commune sâest dĂ©veloppĂ©e parmi les personnes dâorigine non occidentale venues du Moyen-Orient, dâAmĂ©rique latine, dâAfrique, dâAsie centrale et, dans certains cas, des Balkans : celle dâ« immigrĂ©s permanents ». Exclusions sociale et Ă©conomique sont souvent liĂ©es et se renforcent lâune et lâautre. En plus des rĂ©formes politiques, la solution Ă lâexclusion sociale serait facilitĂ©e par une meilleure intĂ©gration culturelle des personnes issues de lâimmigration, de sorte que celles-ci, comme les SuĂ©dois dâorigine, se sentent membres de la mĂȘme communautĂ©, avec une plus forte attitude de rĂ©ciprocitĂ© les uns vis-Ă -vis des autres. Ceci, Ă la diffĂ©rence de la politique Ă©conomique, ne relĂšve pas de lâĂtat et ne peut ĂȘtre imposĂ©. RĂ©ussir une plus grande intĂ©gration culturelle est une question de discours, de production de normes et dâun ordre spontanĂ© orientĂ© vers la constitution dâune communautĂ© nationale.
En SuĂšde, le multiculturalisme est Ă©noncĂ© comme un idĂ©al, bien que lâon ait rarement des idĂ©es claires sur sa signification dans la pratique. Certains sont allĂ©s plus loin et ont niĂ© la moindre existence dâune culture suĂ©doise ou de valeurs suĂ©doises. Dans le mĂȘme temps, lâintĂ©gration sâeffectue moins bien que ne le souhaitent la plupart des gens. Une enquĂȘte de Sifo en 2016, a montrĂ© que, pour les trois quarts de la population, lâintĂ©gration en SuĂšde ne fonctionnait pas bien.
Autre paradoxe : le fait que beaucoup professent un idĂ©al multiculturel mais ne lâappliquent pas dans leur vie personnelle. Orlando Mella a dĂ©crit les rĂ©sultats dâune Ă©tude globale sur les attitudes Ă lâĂ©gard de la diversitĂ© : «Notre Ă©tude montre que la proportion des SuĂ©dois qui interagissent avec des immigrĂ©s autrement que dans les situations de travail nâest pas grande et quâil sâagit plutĂŽt dâune minoritĂ©. Lâimage qui ressort du BaromĂštre de la diversitĂ© rĂ©vĂšle que la majoritĂ© a trĂšs peu dâinteractions avec les immigrĂ©s, sauf nĂ©cessitĂ©, comme Ă lâĂ©cole ou au travail. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les SuĂ©dois ne socialisent pas avec des immigrĂ©s non europĂ©ens. 40,9% nâen frĂ©quentent jamais et 42,1%, rarement29.»
La SuĂšde obtient souvent le premier rang dans le monde dans les enquĂȘtes internationales pour ce qui est de la tolĂ©rance dĂ©clarĂ©e par les habitants Ă lâĂ©gard de leurs voisins dâautres groupes ethniques. Mais, ironiquement, la SuĂšde est aussi lâun des pays oĂč les Ă©trangers ont le plus de difficultĂ©s Ă se faire de nouveaux amis. LâintĂ©gration est un processus dâaccueil, mais la SuĂšde nâest pas perçue comme un pays particuliĂšrement accueillant. Expat Insider Ă©tablit ainsi un classement dâattractivitĂ© des diffĂ©rents pays Ă travers des enquĂȘtes menĂ©es parmi les personnes nĂ©es Ă lâĂ©tranger (immigrĂ©s et travailleurs temporaires). La SuĂšde fait bonne figure sous beaucoup dâaspects mais obtient parmi les plus mauvais scores pour la difficultĂ© des Ă©trangers Ă sây faire des amis. Dans lâenquĂȘte de 2016, la SuĂšde Ă©tait Ă la quatriĂšme plus mauvaise place parmi 67 nations, seulement devant le Danemark, la NorvĂšge et le KoweĂŻt. Environ 60% des personnes interrogĂ©es indiquaient quâelles avaient du mal Ă trouver des amis en SuĂšde. Avec les autres pays nordiques, la SuĂšde Ă©tait Ă©galement en bas du classement quant au sentiment dâĂȘtre bien accueilli quand on est Ă©tranger. Le journal The Local a interrogĂ© le fondateur dâExpat Insider : « La fameuse rĂ©serve suĂ©doise fait de la SuĂšde lâun des pays oĂč il est le plus difficile pour les Ă©trangers de se sentir chez soi, selon un classement de la qualitĂ© de vie des expatriĂ©s Ă travers le monde [âŠ]. Les âexpatsâ ont du mal Ă se sentir bienvenus dans le pays ; ils perçoivent la population locale comme inamicale et distante, et ils ont du mal Ă se faire de nouveaux amis, surtout suĂ©dois30.»
Dans une Ă©tude similaire menĂ©e par la banque HSBC, la SuĂšde Ă©tait au dernier rang (45e sur 45) pour la facilitĂ© ressentie par les expatriĂ©s Ă se faire des amis. Cela ne signifie pas cependant que les SuĂ©dois soient dĂ©libĂ©rĂ©ment malhonnĂȘtes dans leurs rĂ©ponses aux enquĂȘtes sur la tolĂ©rance. La gĂ©nĂ©rositĂ© des contribuables suĂ©dois montre Ă elle seule quâune majoritĂ© Ă©crasante est effectivement de bonne volontĂ© Ă lâĂ©gard des immigrĂ©s. Lâexplication de ce paradoxe se situe sans doute Ă un niveau plus profond. Le capital social exceptionnel de la SuĂšde en matiĂšre de critĂšres et de rĂšgles de comportement explique Ă la fois le bon fonctionnement et la tolĂ©rance du pays. Cela signifie aussi que devenir membre du groupe dans la sphĂšre privĂ©e, par exemple au travail et dans les relations amicales, requiert le respect de ces normes. De nombreux immigrĂ©s ne sont pas acceptĂ©s dans le groupe sâils ne satisfont pas Ă ces exigences implicites. SimultanĂ©ment, lâidĂ©ologie du multiculturalisme implique que les SuĂ©dois se sentent mal Ă lâaise Ă lâidĂ©e de demander la mĂȘme conformitĂ© comportementale de la part des immigrĂ©s. Vouloir imposer leurs rĂšgles aux autres reprĂ©sente un coĂ»t social pour les SuĂ©dois. Il apparaĂźt aux SuĂ©dois plus facile de sâisoler des immigrĂ©s qui ne se conforment pas aux rĂšgles de conduite dans lesquelles les autochtones ont Ă©tĂ© Ă©levĂ©s depuis leur naissance.
Des rĂ©sultats semblables peuvent ĂȘtre tirĂ©s du dernier EurobaromĂštre de 2017 Ă propos de lâimmigration et des immigrĂ©s en Europe : la SuĂšde se distingue comme le pays ayant lâattitude la plus tolĂ©rante envers les immigrĂ©s. En mĂȘme temps, elle est le pays europĂ©en avec la plus grande proportion de ceux qui considĂšrent lâintĂ©gration comme un Ă©chec : jusquâĂ 73% des rĂ©pondants. Avec 63%, la France vient en seconde position pour cette opinion. En comparaison, des pays comme lâIrlande ou le Portugal ont moins de 20% de rĂ©ponses dans ce sens. La SuĂšde est aussi le pays le plus susceptible dâaffirmer que favoriser lâintĂ©gration des immigrĂ©s est un investissement nĂ©cessaire dans le long terme, affirmation partagĂ©e par 91% des rĂ©pondants31. De façon peu surprenante, les enjeux de lâimmigration et de lâintĂ©gration sont aujourdâhui prĂ©dominants dans le dĂ©bat public et vont probablement le demeurer pour de nombreuses annĂ©es.
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