Retraites : leçons des réformes suédoises
Introduction
L’évolution du système de retraite suédois
L’apparition des premiers régimes professionnels de retraite à la fin du XVIIIe siècle
Le XIXe siècle : la rupture
De 1900 à 1930, mise en place de pensions universelles et chemin vers la démocratie
De 1930 à 1950, la naissance du corporatisme suédois et les accords de Saltsjöbaden
Les années 1950 : l’avènement du système ATP (Allmän Tilläggs Pension)
Les réformes des années 1960-1970
La crise des années 1990 et la réforme du régime des retraites
Les raisons du succès de la réforme
Le rôle de la culture politique suédoise
L’organisation du travail de réforme
Conclusion
Annexes
Le régime des retraites suédois
Pensions liées aux revenus
Premium pension
Pensions minimales indépendantes des revenues et garanties de base
Retraites professionnelles
Impôts
Résumé
Qu’importe le pays, le moment ou le gouvernement en place, peu de choses en politique sont aussi vivement contestées que les questions liées à la réforme des retraites. Cette étude vise à décrire la manière dont le système de retraite suédois a évolué. Les politiques sociales et, plus particulièrement, les réformes des retraites, sont le fruit d’une situation à une époque donnée.
Kristoffer Lundberg,
Ministère de la Santé et des Affaires sociales, Suède.
Par conséquent, il s’agit aussi d’observer comment ce pays scandinave, agité et affaibli par la guerre, s’est réformé pour devenir un État démocratique prospère et moderne.
Introduction
Voir l’indice sur l’égalité des sexes, 2017. Le taux de risque persistant de pauvreté est utilisé comme indicateur de la mobilité sociale (« Income Mobility Statistics in Sweden », 2018).
Voir Bo Könberg, Edward Palmer et Annika Sundén, « The NDC Reform in Sweden: The 1994 Legislation to the Present », in Robert Holzmann et Edward Palmer (dir.), Pension Reform. Issues and Prospects for Non-Financial Defined Contribution (NDC) Schemes, The Word Bank, 2006, p. 449-466.
Sur le plan international, la Suède moderne et les autres pays nordiques sont considérés comme prospères de par la répartition équitable de leurs ressources. La Suède cumule également un niveau élevé de liberté individuelle et de mobilité sociale1, qui s’explique en grande partie par un modèle économique et social conçu et pensé pour une croissance inclusive. Le modèle suédois repose sur trois
piliers fondamentaux : un marché du travail flexible, une politique de protection sociale universelle et une politique économique qui favorise l’ouverture sur le monde et la stabilité macroéconomique2.
La politique suédoise en matière d’aide sociale repose sur des principes universels selon lesquels tous les citoyens ont accès à une protection sociale garantie sous la forme de services sociaux financés par l’État ainsi qu’une sécurité sociale. Les services sociaux peuvent être assurés à la fois par des prestataires privés et/ou publics. Ces systèmes couvrent chaque citoyen tout au long de sa vie. Le régime public de retraite est de loin le système le plus important en matière de sécurité sociale. En 2017, selon la Swedish Pensions Agency, des prestations de retraite ont été accordées à 1.036.311 hommes et à 1.167.073 femmes, soit environ 22% de la population globale. De plus, la même année, 2.917.171 hommes et 2.816.981 femmes en âge de travailler ont cotisé au régime public de retraite, soit près de 60% de la population. Au total, 82% des Suédois ont cotisé ou bénéficié de prestations du système national de retraite.
En juin 1994, le Parlement suédois approuvait un nouveau régime de retraite, introduisant un système notionnel par répartition en cotisations définies (NDC), avec un système secondaire de cotisations financières définies (FDC)3. L’histoire des réformes suédoises en matière de retraite peut être assimilée à l’histoire de la protection sociale. Celle-ci est bien plus complexe et a été l’objet de combats politiques bien plus difficiles que ce que l’on s’imagine en considérant la Suède moderne. On sous-évalue souvent les doutes et incertitudes qui ont rythmé les évolutions historiques passées. Ce biais temporel nous pousse à minimiser les luttes menées par les personnes impliquées dans des combats politiques et sociaux. La réforme des retraites en est un exemple. L’objectif de cette note est de décrire comment, et dans quel environnement s’est développée la réforme suédoise des retraites. Il convient d’abord de revenir sur les évolutions du système de retraite suédois, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’aux récentes évolutions adoptées en 2017. Les leçons à tirer des processus de réforme et de leurs applications seront ensuite analysées. Notons enfin que le régime des retraites aujourd’hui en place est précisément détaillé en annexe.
L’évolution du système de retraite suédois
L’apparition des premiers régimes professionnels de retraite à la fin du XVIIIe siècle
Le développement de la sécurité du revenu dans le cadre d’une réforme de l’assurance vieillesse et des retraites en Suède est lié à l’histoire moderne du pays et de sa construction. Cette histoire est celle de la transition d’un pays pauvre, affaibli par la guerre, autocratique et largement agricole au nord, vers un pays démocratique et prospère. À la fin du XVIIIe siècle, la Suède est un pays peu développé par rapport à de nombreux autres pays européens. Après une phase de prospérité durant l’« ère de la Liberté » (Frihetstiden) de 1718 à 1772, qui a apporté la paix et davantage de liberté à la société4 , le pays fut secoué par plusieurs événements : l’assassinat de Gustave III le 29 mars 1792, le coup d’État contre le roi Gustave IV Adolphe et la perte de la Finlande – soit un tiers du pays et un quart de la population – au profit de l’Empire russe en 1809, ou encore le lynchage du maréchal du royaume Axel von Fersen le 20 juin 1810. Cette époque s’achève lorsque l’un des généraux de Napoléon, le maréchal Jean Baptiste Bernadotte, devient le roi Charles XIV Jean de Suède en 1818. Cet événement pousse alors le pays nordique à se doter d’une nouvelle Constitution, qui rétablit la stabilité du royaume. En 1810, la Suède compte alors 2,3 millions d’habitants, dont la quasi-totalité travaille dans le secteur agricole. À l’exception de Stockholm, qui compte environ 75.000 habitants en 1800, la plupart des autres villes sont petites. Si la pauvreté règne, les habitants du royaume jouissent tout de même de davantage de droits que ceux de la plupart des autres pays européens. De plus, en raison des devoirs de catéchisme mis en place par le clergé dans tous les foyers, le niveau d’alphabétisation est plus élevé que dans de nombreux autres pays. À cette époque, au moins une personne par famille sait lire. Les premiers régimes de retraite en Suède, en vigueur de 1788 à 1934, sont des régimes professionnels (Allmänna Änke- et Pupillskassan). Ils offrent une portée et une couverture limitées aux niveaux supérieurs du clergé, des forces armées et des fonctionnaires5 .
Le XIXe siècle : la rupture
À partir de 1860 environ, avec la révolution industrielle, le nombre de travailleurs dans l’industrie et les services augmente tandis que la part de la population travaillant dans le secteur agricole entame un déclin qui se poursuivra sur cent cinquante ans, passant de plus de la moitié de la population à environ 2% au début de notre millénaire. Cela entraîne également une intensification de l’urbanisation : la population commence à quitter les campagnes pour trouver de nouveaux emplois et lieux de travail dans les villes à croissance rapide. Cette tendance se poursuit encore aujourd’hui.
La part des emplois par secteur économique correspond approximativement aux différentes sphères de couverture des retraites professionnelles établies par les conventions collectives qui ont émergé au cours de la première moitié du XXe siècle et qui perdurent encore. Aujourd’hui, la Suède dispose de quatre conventions différentes : pour les employés du gouvernement central, pour les employés des conseils municipaux et des comtés, pour les employés du secteur privé et pour les ouvriers du secteur privé*. Aux « Services gouvernementaux » correspondent deux accords de retraite, pour les employés du gouvernement central et pour les employés des conseils municipaux et des comtés. On peut dans une certaine mesure assimiler les employés à la catégorie « Services », au moins jusqu’à la fin du XXe siècle, et les ouvriers à la catégorie « Industrie ».
Emploi par secteur économique en pourcentage de la population âgée de 15 à 64 ans entre 1860 et 2000
Voir Gabriella Sjögren Lindquist et Eskil Wadensjö, « National Social Insurance – not the whole picture. Supplementary compensation in case of loss of income », rapport pour l’ESS, n° 5, 2006, Regeringskansliet, Ministry of Finance.
Ce graphique montre la force économique et politique relative qui explique en partie l’évolution politique des retraites et de la protection sociale en Suède au cours de la période 1860-2000. Ces dynamiques permettent également d’expliquer les opinions politiques des groupes concernés, notamment pour les personnes employées dans le secteur agricole. En vivant de la terre, celles-ci ont souvent un revenu non monétaire, ce qui peut expliquer pourquoi ces groupes sont souvent plus réticents à l’idée d’introduire des régimes de retraite liés aux revenus déclarés et aux cotisations versées. Le Parti du centre (créé en 1913 sous le nom Ligue des fermiers) défend les avantages forfaitaires universels pendant la majeure partie du XXe siècle.
Vilhelm Moberg, La Saga des émigrants [1949-1959], trad. fr. Philippe Bouquet, 5 vol. Le Livre de poche, 2002-2004.
Dans les années 1850, la Suède est frappée par une crise du secteur agricole provoquée par de mauvaises récoltes. Ceci, associé à la croissance rapide de la population et à l’urbanisation grandissante, crée une situation sociale et économique insoutenable pour de nombreux foyers et beaucoup choisissent de quitter la Suède avec la promesse d’une vie meilleure en Amérique du Nord – ce que décrit parfaitement l’écrivain Vilhelm Moberg dans La Saga des émigrants6. Au cours de cette migration de masse, entre 1850 et 1930, environ 1,4 million de personnes quittent le pays. Certaines années, jusqu’à 1% de la population suédoise émigre. Dans certaines cohortes de naissance, un homme sur cinq et une femme sur six choisissent d’émigrer7 . Le graphique ci-dessous montre la nette transition de la Suède d’un pays de départ en un pays de destination au cours des années 1950.
Immigrants et émigrants en pourcentage de la population entre 1850 et 2017
Source :
Fondation pour l’innovation politique ; données Statistics Sweden.
Voir Bengt Bergander, Försäkringsväsendet i Sverige 1814-1914, Berlingska Boktryckeriet, 1967.
Voir Mats Larsson, Mikael Lönnborg et Sven-Erik Svärd, Den svenska försäkringsmodellens uppgång och fall,
Erlanders Förlag AB, 2005.
Ibid.
Adolf Hedin (1934-1905) est un éditeur de journaux, écrivain et homme politique.
Voir Mats Larsson, Mikael Lönnborg et Sven-Erik Svärd, op. cit. Les réformes incluent la loi sur la sécurité au travail en 1889, le soutien aux caisses d’assurance maladie en 1891 et l’assurance accident en 1901 (réformée en 1916).
L’assurance vie privée et l’assurance pension se développent en Suède à partir de 1850 environ. Les principes d’assurance vie, fondés sur la probabilité mathématique mise au point par les mathématiciens français Pierre de Fermat et Blaise Pascal, et les tables de mortalité développées par le mathématicien anglais Edmond Halley autour du XVIIe siècle ont été d’une importance capitale8.
Les activités bancaires et d’assurance qui se sont développées à cette époque sont principalement influencées par ce qui se passe à Londres, c’est pourquoi le secteur de l’assurance suédois est anglophone dès le départ.
En 1866, le Riksdag des États (Ståndsriksdag) est dissous. Le parlement des quatre ordres – noblesse, clergé, bourgeoisie, paysannerie – est remplacé par une législature bicamérale. Le droit de vote reste réservé aux hommes et lié à leurs revenus. La législature bicamérale dure plus d’un siècle, jusqu’à la mise en place de l’assemblée unicamérale en 1970.
Les premières compagnies d’assurance vie en Suède opèrent sur un marché limité, orienté vers les échelons supérieurs de la société. En 1880, seul 0,3% de la population bénéficie d’une forme de couverture d’assurance pension9.
Par conséquent, les compagnies d’assurance privées tentent d’étendre leurs activités à d’autres groupes de la société 10.
Avec l’appauvrissement croissant des familles travaillant dans les milieux agricole et rural, la demande pour d’autres formes d’assurance s’accroît. La demande pour une couverture d’assurance, notamment dans le grand âge, augmente dans de nombreux groupes de la société, principalement parmi les employés et les classes moyennes du secteur privé (l’industrie et les services).
La croissance de la classe moyenne dans les villes contribue également à la demande pour des retraites professionnelles et des assurances privées. La première résolution parlementaire sur l’assurance pension obligatoire pour les employés est soumise au Parlement par le député libéral Adolf Hedin11 en 1884. Bien que la motion de Hedin n’ait pas été adoptée par le parlement, elle initie plusieurs mesures, dont une enquête sur l’assurance professionnelle et l’assurance vieillesse pour les employés. Cette motion marque le début d’un processus de changement social qui durera pendant les trente années suivantes. Ces activités ont également inclus la mise en place d’une commission gouvernementale sur les retraites (pensionsutredningen) en 1895 et 1898. Ses recommandations ne sont toutefois pas mises en œuvre par le gouvernement conservateur qui préconise plutôt des systèmes privés fondés sur l’assurance. Malgré cela, plusieurs réformes relatives à la sécurité et à l’assurance des employés sont progressivement introduites12.
De 1900 à 1930, mise en place de pensions universelles et chemin vers la démocratie
Arvid Lindman (1862-1936), officier naval et homme politique conservateur, Premier ministre de 1906 à 1911 et de 1928 à 1930.
Voir Leif Lewin, Sveriges statsministrar under 100 år : Arvid Lindman, Albert Bonniers Förlag, 2010.
Karl Staaff (1860-1915), avocat, homme politique libéral et Premier ministre de 1905 à 1906, puis de 1911 à 1914.
Voir Peter Esaiasson, Sveriges statsministrar under 100 år : Karl Staff, Albert Bonniers Förlag, 2010.
Les débuts du XXe siècle, avant la Première Guerre mondiale, sont tumultueux pour la Suède. Le pays connaît alors de vives tensions et la population se retrouve à plusieurs reprises au bord de la guerre et de la rébellion, comme lors de la dissolution de l’union avec la Norvège en 1905 ou lors de la crise de la cour en 1914, puis lors des révolutions successives en Russie et en Allemagne en 1917-1918. Cependant, pour diverses raisons, peut-être grâce à un mélange de chance, de bravoure individuelle et de modération, la Suède a su surmonter ces difficultés de façon pacifique. Les principaux problèmes touchent alors à la manière dont il convient d’avancer sur les réformes démocratiques tout en préservant l’ordre et la cohésion sociale existants. C’est à cette époque que le gouvernement conservateur du Premier ministre Arvid Lindman13 met en place un scrutin à la proportionnelle, toujours en vigueur à ce jour, mais avec le droit de vote alors exclusivement réservé aux hommes et lié aux revenus14.
En 1913, le gouvernement libéral de Karl Staaff 15 introduit une prestation de retraite universelle. Celle-ci est calculée pour moitié comme une rente capitalisée et pour l’autre moitié comme un complément par répartition, sous condition de revenus. L’âge de la retraite est fixé à 67 ans, mais les ressources accumulées peuvent être versées plus tôt en cas d’invalidité. Le niveau des prestations est faible et reste très limité jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Les premières prestations de retraite universelles sont versées à partir du 1er janvier 1914. Cette prestation de retraite universelle, probablement la première du genre, est considérée comme l’un des plus grands accomplissements du gouvernement16.
En 1918, le gouvernement de coalition libéral-social-démocrate du Premier ministre Nils Edén17 introduit le droit de vote pour tous les hommes, quels que soient leurs revenus. En raison des troubles politiques qui secouent l’Europe peu avant la fin de la guerre, le droit de vote est rapidement étendu à toutes les élections, à tous les niveaux et, surtout, à toutes les femmes. La Suède devient alors une véritable démocratie.
Les années 1920 sont une période de croissance économique, mais elles sont aussi marquées par une forte instabilité politique et des troubles sur le marché du travail. Au cours de cette décennie, le pays voit se succéder dix gouvernements, souvent issus de différents bords politiques. En parallèle, on observe une recrudescence des mouvements sociaux, comme en témoigne le nombre élevé de jours d’interruption de travail pour 1.000 employés sur la période.
Nombre de jours d’interruption de travail pour 1 000 employés en Suède, entre 1905 et 2005
Source :
Fondation pour l’innovation politique ; données www.medlingsinstitutet.se, Flemming Mikkelsen, Arbejdskonflikter i Skandinavien 1848- 1980, Odense Universitetsforlag, 1992, www.scb.se, historia.se.
Le 14 mai 1931, cinq personnes furent tuées par balles par des troupes militaires appelées en renfort par la police lors de Les coups de feu d’Ådalen constituent une série d’événements dans et autour du district de la scierie d’Ådalen, municipalité de Kramfors, Ångermanland, Suède. Les événements provoquèrent un vif débat national et une profonde division sur le plan politique.
Ivar Kreuger (1880-1932) était l’un des hommes les plus riches de son époque. Son empire s’était construit autour de l’entreprise Kreuger & Toll Il fut fortement exposé en raison de sa position de leader international et a beaucoup souffert de la crise financière de 1929. Ivar Kreuger se serait suicidé dans son appartement parisien, le 12 mars 1932.
Per Albin Hansson (1885-1946), homme politique social-démocrate et Premier ministre de 1932 à 1936 et de 1936 à Il est connu pour avoir créé le concept de protection sociale générale (Folkhemmet).
De plus, le niveau peu élevé des prestations de retraite universelle fait augmenter la demande pour des retraites professionnelles auprès de nombreux groupes de la société. Dans les années 1920, la part d’employés dans l’industrie et les services double (de 0,1 à 0,2% de la population), alors que la part des employés dans la population en âge de travailler diminue de 0,5 à 0,3%. Les débats politiques liés à la protection des ouvriers et des employés du secteur privé se poursuivent et les discussions sur le choix des retraites professionnelles facultatives ou obligatoires, administrées de façon publique ou privée, continuent d’être au centre du débat politique et au cœur des discussions entre les partenaires sociaux pendant une grande partie de l’après-guerre. Finalement, c’est en 1927 que la loi sur les retraites professionnelles volontaires des employés (1927 års lag om frivillig tjänstepensionering) est adoptée.
Mais le boom économique des années 1920 est stoppé par une série d’événements : la dépression de 1929, les coups de feu d’Ådalen en 193118 et l’effondrement de l’empire économique d’Ivar Kreuger en 193219.
Malgré cela, la Suède mûrit son projet démocratique et, contrairement à de nombreux autres États européens, elle devient un pays stable aussi bien politiquement qu’économiquement. En 1935, la rente universelle capitalisée est supprimée et des prestations de retraite universelle forfaitaires (folkpension) sont mises en place par le gouvernement social-démocrate du Premier ministre Per Albin Hansson20. Cette réforme implique également moins d’assurances traditionnelles par capitalisation privée et plus de pensions par répartition gérées par le gouvernement au sein du régime public de retraite.
De 1930 à 1950, la naissance du corporatisme suédois et les accords de Saltsjöbaden
Voir Lennart Schön, En modern svensk ekonomisk historia. Tillväxt och omvandling under två sekel, SNS Förlag, 2000.
Ibid.
Voir Assar Lindbeck, « The Swedish Experiment », Journal of Economic Literature, 35, n° 3, septembre 1997, p. 1273-1319.
Notamment le Comité des salariés du secteur privé (Kommittee angående privatanställda, 1931) et le comité Hartelius (1936). Voir aussi Allmän pensionsförsäkring, Undersökningar av och förslag av pensionsutredningen, Principbetänkande, Statens offentliga utredningar, SOU 1950:33, 1950 (https://lagen.nu/sou/1950:33?attachment=index.pdf&repo=soukb&dir=downloaded).
Durant les années 1930, le mouvement ouvrier réclame l’amélioration des conditions de travail, principalement par une hausse des salaires21. Les syndicats se mobilisent davantage sur le renforcement de l’environnement économique du secteur industriel sur le long terme, à travers des niveaux d’investissement élevés et une accélération de la croissance économique22. Cette mobilisation se traduit par une résolution des conflits d’intérêts sur le marché du travail et une transition vers plus de corporatisme et plus de stabilité macroéconomique. En 1938 sont signés les accords centralisés de Saltsjöbaden entre la Confédération des syndicats suédois (LO) et la Confédération des employeurs suédois (SAF). Ces accords ont pour objectif de régler à l’amiable les conflits sur le marché du travail et d’éviter une intervention gouvernementale. Selon l’économiste Assar Lindbeck, l’alliance entre le parti social-démocrate et les syndicats est l’une des raisons pour lesquelles cette évolution du climat social a été possible23.
Avec une croissance économique plus forte, des niveaux de vie plus élevés et des évolutions rapides dans les structures familiales en raison de l’urbanisation, la demande en faveur des retraites professionnelles augmente à nouveau pendant l’entre-deux-guerres. La question de l’organisation obligatoire ou volontaire des retraites professionnelles pour différentes catégories de travailleurs est abordée lors de sessions parlementaires en 1931, 1933, 1934, 1935, 1936 et 1938, ainsi que dans plusieurs commissions et enquêtes gouvernementales24.
Ibid.
Oskar Åkerström (1896-1964), homme politique social-démocrate et membre du Parlement.
Tage Erlander (1901-1985) est un homme politique social-démocrate et le Premier ministre ayant été le plus longtemps à la tête de la Suède, entre 1946 et 1969.
Voir Betänkande av Pensionsarbetsgruppen, Reformerat pensionssystem, Statens offentliga utredningar, SOU 1994:20, 1994 (https://lagen.nu/sou/1994:20?attachment=index.pdf&repo=soukb&dir=downloaded).
Gustav Möller (1884-1970), homme politique social-démocrate et membre du gouvernement entre 1924 et 1926, 1932 et 1936, 1936 et 1951, est reconnu pour être le père de la sécurité sociale et de l’État-providence suédois.
Voir William Beveridge, « Social Insurance and Allied Services », Parliamentary Archives, BBK/D/495, 1942.
Gunnar Sträng (1906-1992), homme politique social-démocrate et ministre des Finances entre 1955 et 1976.
En 1944, dans une enquête gouvernementale sur les retraites professionnelles obligatoires, la question est limitée aux employés25. En outre, une proposition sur les pensions obligatoires pour tous est déposée par le député Oskar Åkerström26 en 1944 (Riksdagsmotion om obligatorisk tilläggspension). Les questions relatives aux retraites continuent d’être débattues lors des sessions parlementaires de 1944, 1946, 1947 et 1950.
En 1946, la prestation de retraite universelle forfaitaire (folkpension), introduite en 1913 et améliorée en 1935, est de nouveau réformée pour devenir une pension universelle unifiée dans toutes les municipalités (enhetlig folkpension). L’indexation est introduite deux ans plus tard, en 1948. Les prestations de retraite et d’invalidité sont considérablement augmentées le 1er janvier de la même année. Par ailleurs, le gouvernement social-démocrate du Premier ministre Tage Erlander27 introduit des pensions de survie, des indemnités complémentaires pour les épouses (hustrutilägg) ainsi que des suppléments aux logements nationaux et municipaux28.
Le débat politique quant au choix à faire entre l’instauration d’un revenu de remplacement ou d’une sécurité du revenu minimum est tendu, et ce même au sein du Parti social-démocrate. Des figures de proue du mouvement ouvrier telles que le ministre des Affaires sociales Gustav Möller29 optent alors pour une politique de revenu minimum universel, à l’image de ce que proposait sir William Beveridge au Royaume-Uni en 194230. Le point de vue de Gustav Möller est fortement soutenu au sein du parti pendant les années 1940 jusqu’au début des années 1950, lorsque Gunnar Sträng devient ministre des Finances31.
Les années 1950 : l’avènement du système ATP (Allmän Tilläggs Pension)
Allmän pensionsförsäkring…, op. cit.
Selon Bo Könberg, les notions fondamentales des pensions liées aux revenus (système NDC) peuvent être imputées aux idées de la commission de A Åkessons (voir Bo Könberg, « The Swedish Model for Pension – New Wine in New Bottles », Scandinavian Insurance Quarterly, n° 2/2008, février 2008, p. 99-109, https://nft. nu/sites/default/files/2008202_0.pdf).
Dans les années 1950, la commission gouvernementale sur les retraites (créée en 1947) conclut que « le traitement des questions sur les retraites au cours des dernières décennies montre que ce sujet a toujours fait l’objet d’un intérêt de la part de la société et des groupes de citoyens individuels. Le départ à la retraite volontaire est désormais largement étendu aux employés32 ».
Les dépenses publiques et les impôts commencent à augmenter avec les expansions de l’État-providence. De 1950 à 1970, les dépenses publiques passent de 18% du PIB à 31%, tandis que la part des impôts dans le PIB progresse de 18% à 36%, jusqu’à atteindre un pic à 50% en 1990.
Impôts et dépenses publiques en pourcentage du PIB, entre 1900 et 2010
Source :
Fondation pour l’innovation politique ; données Ekonomifakta, FMI.
Voir Peter Ohlsson, Svensk politik, Historiska media, 2014.
Ibid.
Bertil Ohlin (1899-1979), économiste et responsable du parti Les Libéraux, a reçu le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en Voir Dick Harrison, Jag har ingen vilja till makt. Biografi över Tage Erlander, Ordfront, 2017.
Voir Peter Ohlsson, op. cit.
Ibid.
Voir Göran Hägg, Välfärdsåren. Svensk historia 1945-1986, Wallström & Widstrand, 2005.
Voir Peter Ohlsson, op. cit.
Voir Lennart Schön, op. cit.
Voir Urban Lundberg, Juvelen i Socialdemokraterna och den allmänna pensionen, Hjalmarson & Högberg, 2003.
Voir Dick Harrison, op. cit.
La commission dirigée par A.O. Åkesson suggère également l’introduction d’une assurance pension obligatoire publique pour tous liée à la rémunération33. Les membres de la commission choisissent de rédiger leurs propres avis (särskilda yttranden) qui correspondent aux anciennes divisions, où les membres sociaux-démocrates et les membres de la Confédération des syndicats suédois (LO) étaient favorables à l’avis de la commission, tandis que les représentants des employés et les représentants conservateurs s’y opposaient. Malgré cela, le gouvernement de coalition composé de membres du Parti social-démocrate et du Parti du centre commande une nouvelle commission indépendante au lieu de présenter la proposition de la commission au Parlement34.
Le débat politique s’intensifie encore au début des années 1950, malgré plusieurs améliorations sur le plan de la pertinence de l’outil. Les prestations de retraite universelle ont été indexées et augmentées en 1948. Cependant, avec l’augmentation rapide de la croissance économique et des niveaux de vie, il est évident que l’accroissement des prestations de la couverture des travailleurs n’est pas suffisant pour permettre aux travailleurs et aux personnes à faible revenu de vivre de leur pension35. Le combat pour les retraites devient alors une lutte de pouvoir entre le Premier ministre Tage Erlander et le principal chef de l’opposition du parti des libéraux Bertil Ohlin36.
En 1955, la nouvelle commission des retraites produit son rapport final, dans lequel elle préconise une retraite publique obligatoire et universelle pour tous. En outre, la commission propose des prestations de retraite qui refléteraient les salaires antérieurs et qui seraient liées au niveau de vie de la société37. La commission propose également de maintenir l’âge de départ à la retraite à 67 ans. Peu après l’élection de 1956, la commission des retraites dirigée par Per Eckerberg présente son rapport final. Dans cette version, le LO et les sociaux-démocrates proposent une retraite publique universelle fondée sur les revenus du travail, le système ATP (Allmän Tilläggs Pension)38. Selon cette proposition, le taux de remplacement cible serait de 65% des revenus moyens des travailleurs.
À l’automne 1957, le Parti conservateur et Les Libéraux proposent d’organiser un référendum sur la réforme des retraites39. Il se tient le 13 octobre 1957, offrant trois options. La première option, celle des sociaux-démocrates, consiste à introduire une pension universelle liée au revenu. Cette option obtient 45,8% des voix au référendum. La deuxième option, soutenue par le Parti du centre et visant l’introduction des pensions volontaires, reçoit 15% des voix. La troisième et dernière option, portée par Les Libéraux et le Parti conservateur, opte pour laisser les partenaires sociaux prendre la décision et obtient 35,3%40. Bien que le taux de participation ait été élevé (72,4%) et que l’option sociale-démocrate ait reçu le plus de voix, aucune option n’a obtenu la majorité absolue.
La lutte pour le système ATP menée par le Parti social-démocrate conduit le Parti du centre à rompre la coalition le 25 octobre 195741. Le gouvernement démissionne, mais Tage Erlander revient en tant que Premier ministre avec un gouvernement social-démocrate minoritaire le 31 octobre 1957. L’élection de 1958 renouvelle le gouvernement social-démocrate sous la direction du Premier ministre Tage Erlander. Avec la plus petite marge possible (une voix au Parlement), le gouvernement obtient sa majorité. Cependant, le président de la Chambre n’ayant pas voté au Parlement, l’élection donne lieu à un Parlement sans majorité.
Lorsque la décision sur le système ATP doit être prise en 1959, la réforme est adoptée avec la plus petite marge de voix possible. La proposition du gouvernement d’introduire une retraite publique liée à la rémunération pour tous les travailleurs est adoptée par la chambre basse. Les partis de centre droit se mettent alors rapidement d’accord sur la question42. C’est après le combat pour le système ATP dans les années 1950 que les sociaux-démocrates deviennent majoritaires au gouvernement43. Tage Erlander restera Premier ministre jusqu’en 1969.
Les réformes des années 1960-1970
Pendant vingt ans, de 1950 à 1970, la croissance moyenne en Suède, comme dans de nombreux autres pays industrialisés, est d’environ 4% par an44. Souvent qualifiée d’« âge d’or45 », cette période voit le niveau de vie des Suédois augmenter de manière presque constante. De nombreux biens, tels les voitures, les réfrigérateurs ou la télévision, deviennent alors des produits de consommation de masse. Les voyages et les vacances se multiplient grâce à l’aviation et à l’amélioration des infrastructures dans toute l’Europe.
Au début des années 1970, la Suède, comme la plupart de ses voisins occidentaux, voit sa croissance faiblir. Les raisons sont multiples : on peut ainsi citer les chocs extérieurs dus à la récession mondiale, la crise pétrolière et les changements structurels de l’économie tels que les nouvelles technologies et les services qui deviennent le secteur économique dominant au détriment du secteur industriel.
PIB par habitant et croissance économique dans les principales économies 1971-1975 et 2001-2005
Source :
Lennart Schön, En modern svensk ekonomisk historia. Tillväxt och omvandling under två sekel, SNS Förlag, 2000.
En 1969, le complément de retraite – une prestation supplémentaire à la pension universelle forfaitaire (Folkpension) – fait l’objet d’une mesure législative (Pensionstillskott)46 et restera en vigueur jusqu’en 2003.
Le 1er juillet 1976, l’âge de départ à la retraite est abaissé de 67 à 65 ans suite à un accord conclu en 1974 entre le gouvernement social-démocrate et les libéraux. Une retraite flexible à temps partiel est également introduite pour les 60-65 ans. Celle-ci est calculée de façon généreuse, ce qui permet un niveau de prestations de 65% qui comprend également des cotisations de retraite. La retraite flexible à temps partiel devient très populaire : entre 1976 et août 1980, environ 89 000 personnes optent pour ce système47. À noter que lors des élections de 1976, les sociaux-démocrates perdent la majorité. Les partis suédois non socialistes forment alors un gouvernement de coalition dirigé par Torbjörn Fälldin, du Parti du centre, et restent au pouvoir jusqu’en 1982.
Le vieillissement précoce de la population suédoise entre 1970 et 1990 (par rapport aux autres pays de l’OCDE) ainsi que les fortes hausses du taux de participation des femmes dans la population active augmentent la demande politique pour des systèmes de retraite plus généreux ainsi que des structures de garde d’enfants et de soins aux personnes âgées48. Des années 1950 à 1990, la Suède connaît une augmentation rapide du taux de dépendance des personnes âgées.
Taux de dépendance* des personnes âgées en Suède et en France de 1950 à 2015 (en %)
Source :
Nations Unies, Département des affaires économiques et sociales, Division de la population (2017) ; Perspectives de la population mondiale : révision de 2017.
Le graphique ci-contre montre le ratio emploi/population pour les hommes et les femmes. De 1963 à 1990, l’emploi des femmes augmente progressivement pour passer de 53% à 81%, alors que pour les hommes on enregistre une légère baisse, de 89% à 85%. Le taux d’emploi qui avait chuté lors de la crise économique du début des années 1990 reprend ensuite, avec une augmentation lente mais stable.
Ratios emploi/population chez les hommes et les femmes entre 1963 et 2017
Source :
Fondation pour l’innovation politique ; données OECD.stat.
Malgré les dissonances politiques entre les partis suédois, tous s’accordent petit à petit sur la nécessité d’ajuster le système de retraites. Le système ATP est perçu comme peu viable économiquement face au risque que les cotisations de retraite augmentent progressivement et soient trop élevées par rapport aux revenus49. Compte tenu des hauts niveaux d’impôts en pourcentage du PIB (environ 50% du PIB en 1990), de nouvelles augmentations destinées à financer les retraites semblent limitées.
Estimation des dépenses de retraite dans l’ancien système de retraite, part de la masse
salariale avec différentes hypothèses concernant la croissance des revenus réels
(à partir de 1995) et le maintien de l’indexation des prix
Prop. 1993/94:250.
Voir Allmän pension, Statens offentliga utredningar, SOU 1990:76, 1990 (https://lagen.nu/sou/1990:76).
Sture Korpi (1939-2017) est un homme politique social-démocrate, qui a été secrétaire d’État entre 1982 et 1991.
Voir Urban Lundberg, op. cit.
Anna Hedborg (née en 1944), femme politique sociale-démocrate, fonctionnaire et ancienne ministre de l’Assurance sociale (1994-1996).
Ingela Thalen (née en 1943), femme politique sociale-démocrate, ancienne ministre du Travail (1987-1991) et des Affaires sociales (1990-1991, 1994-1996).
Bo Könberg (né en 1945), homme politique du Parti libéral, ministre de la Santé et de l’Assurance sociale entre 1991 et 1994.
Voir Urban Lundberg, op. cit.
Voir Allmän Pension, op. cit.
En outre, l’ancien système crée peu d’incitations au travail. Trente années de vie active suffisent pour prendre sa retraite mais seulement quinze sur les trente sont prises en compte dans le calcul : la règle est de calculer la prestation de retraite sur la base des quinze meilleures années sur les trente. Le calcul des prestations est donc avantageux pour les personnes ayant une carrière courte mais avec une forte croissance des revenus, à un stade tardif de leur vie. Inversement, le système est moins avantageux pour les personnes dont la progression des revenus est lente mais constante.
Le 16 novembre 1984, le gouvernement social-démocrate, dirigé par Olof Palme, crée une commission parlementaire sur les retraites (pensionnsberedningen) dirigée par Sture Korpi50, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires sociales Sten Andersson. La commission rassemble les organisations les plus importantes de la société suédoise : tous les partis politiques, les syndicats, la confédération des entreprises suédoises, les organisations de retraités, les organisations de personnes handicapées, les organismes d’assurance sociale, etc.51 La commission parlementaire devint également le terrain de jeux de plusieurs futurs membres éminents du groupe de travail parlementaire sur les retraites, tels Anna Hedborg52, Ingela Thalen53 et Bo Könberg54.
Bien que la commission n’ait pas été mandatée pour proposer des modifications, elle peut être considérée comme une réussite puisqu’elle contribua à une analyse nécessaire du fonctionnement du système de retraite et des défis à relever55. La commission sur les retraites présenta son rapport final en 199056.
La crise des années 1990 et la réforme du régime des retraites
Ingvar Carlsson (né en 1934) est un homme politique social-démocrate, qui a occupé le poste de Premier ministre entre 1986 et 1991 et entre 1994 et 1996.
Ministry of Health and Social Affairs, The Swedish Pension Agreement and Pension Reform, anglaise du rapport Detta är pensionsöverenskommelsen (Ds 2009:53), 2010, p. 53 (www.government.se/49b757/ contentassets/3d321fd499da48928de201abe43a558b/the-swedish-pension-agreement-and-pension- reform-ds-200953).
Carl Bildt (né en 1949) est un homme politique du Parti conservateur, Premier ministre entre 1991 et 1994 et Ministre des Affaires étrangères entre 2006 et 2014.
Voir Bo Könberg, Edward Palmer et Annika Sundén, art. cit.
Ibid.
L’ECU était un panier de devises utilisées de 1979 à 1999 et avant l’euro.
Voir Lennart Schön, op. cit.
Le premier pas politique vers un nouveau régime des retraites est franchi avec le budget du gouvernement (finansplan) de 1991. Dirigé par Ingvar Carlsson57, le gouvernement social-démocrate s’oriente vers « les possibilités de financement des promesses de pension dans le cadre d’un système de contribution fiscale et sociale inchangé face à la croissance économique58 ».
En 1991, les sociaux-démocrates sont battus par une coalition de quatre partis dirigée par le chef du Parti modéré de rassemblement Carl Bildt59. Peu après la prise de fonction du nouveau gouvernement, un groupe de travail parlementaire sur les retraites est formé. Ce groupe de travail commence son activité en novembre 1991 et le ministre de la Santé et de la Sécurité sociale Bo Könberg devient responsable du groupe. En 1992, le groupe publie un « projet préliminaire » contenant la quasi-totalité des éléments de la réforme60. Le point de départ de la nouvelle réforme des retraites est la nécessité économique d’un taux d’épargne plus élevé dans l’économie, ainsi que le besoin de renforcer les incitations au travail.
Bien que la possibilité d’apporter des changements au système ATP existant fasse l’objet d’une enquête approfondie de la part de la commission sur les retraites, le groupe de travail parlementaire sur les retraites estime que « le régime des retraites doit être développé selon d’autres principes que ceux qui sous-tendent les systèmes publics de retraite et ATP aujourd’hui ». En août 1992, le groupe de travail présente la première version d’un nouveau régime qui contient la quasi-totalité des éléments principaux61.
Une violente crise économique touche la Suède à partir de 1992. Les dépenses publiques atteignent près de 76% du PIB en 1995 et le taux d’emploi baisse tout au long des années 1990. Les causes de cette crise sont nombreuses et la littérature sur ce sujet est fournie. La combinaison d’une expansion rapide du crédit, de finances publiques et d’une balance courante faibles, ainsi qu’une monnaie fixée en fonction de l’unité de compte européenne (European Currency Unit, ECU)62 réduisent la capacité de la banque centrale de Suède, la Riksbank, à défendre sa monnaie63. Afin de protéger sa devise, la Riksbank décide de rehausser son taux directeur qui atteint 500% le 16 septembre 1992. Suite à cela, les investissements et le taux d’emploi chutent. C’est la plus grave récession depuis la Grande Dépression. En novembre 1992, le taux fixe de l’ECU est abandonné, la couronne suédoise est rapidement dépréciée. Ces événements entraînent une crise immédiate sur les marchés financiers et dans le secteur bancaire, qui doit être restructuré et renfloué. Par conséquent, la dette publique en pourcentage du PIB a bondi de 40% en 1990 à 74% en 1994.
Dette publique en pourcentage du PIB, 1980-2017
Source :
Fondation pour l’innovation politique ; données Bureau de la dette nationale de la Suède.
Voir Reformering av det allmänna pensionssystemet, 1993/94:250, 1994 (https://lagen.nu/prop/1993/94:250).
Voir Bo Könberg, Edward Palmer et Annika Sundén, art. cit.
Depuis 1994, plusieurs autres pays tels que la Lettonie, l’Italie, la Pologne, la Norvège et le Kazakhstan ont mis en place des régimes de retraite très similaires au système NDC (pensions liées au revenu) suédois.
Voir Bo Könberg, Edward Palmer et Annika Sundén, art. cit.
Voir Urban Lundberg, op. cit.
Voir Inkomstgrundad ålderspension, Prop. 1997/98:151, 1998 (https://lagen.nu/prop/1997/98:151), et Garantipension, 1997/98:152, 1998 (https://lagen.nu/prop/1997/98:152).
Voir Automatisk balansering av ålderpensionssystemet, 2000/01:70, 2001 (https://lagen.nu/prop/2000/01:70).
Voir Pensions at a Glance OECD and G20 Indicators, OECD Publishing, 2013 (www.oecd.org/pensions/public-pensions/OECDPensionsAtAGlance2013.pdf).
Voir Riksförsäkringsverket (RFV), The Swedish Pension Annual Report 2001, RFV, 2002 (https://www.forsakringskassan.se/wps/wcm/connect/aa4894d6-3b64-4fe7-b549-473f6f8de7ba/orange_ rapport_2001_engelsk.pdf?MOD=AJPERES).
Fredrik Reinfeldt (né en 1965) est un homme politique du parti modéré et Premier ministre de 2006 à 2014.
Au plus fort de la crise économique, le gouvernement estime que les engagements pris dans le cadre du système de retraite risquent d’être menacés et qu’un nouveau régime modernisé est nécessaire. Début 1994, le groupe de travail parlementaire sur les retraites (penisonsarbetsgruppen) présente sa proposition64. Le 8 juin 1994, le Parlement adopte les lignes directrices et les principes du nouveau régime des retraites. Il est intéressant de noter que les représentants de l’opposition sociale-démocrate participent à l’élaboration de la proposition de principe de 1994. La réforme des retraites est votée par les cinq partis (sociaux-démocrates, libéraux, centristes, chrétiens-démocrates et modérés) à l’origine de la réforme, et sa mise en œuvre débute en 199565. Ensemble, ils constituent une large majorité (environ 85%) au Parlement66.
La décision du Parlement indique également que « les partis contractants ont la lourde responsabilité de maintenir leur soutien à l’accord sur les retraites ». Un groupe de garants de la réforme est également mis en place pour « alimenter et protéger l’accord ». Tous les accords doivent être unanimes. Le groupe est composé d’un parlementaire de chaque parti politique soutenant l’accord, sauf les sociaux démocrates qui en ont deux, le ministre responsable étant le président du groupe.
En vertu de la législation de 1994, la Suède passe d’un régime dont les prestations sont définies par répartition à un régime par cotisation comportant à la fois des éléments par répartition (les pensions liées aux revenus) et des éléments par capitalisation (la Premium pension, voir Annexes). La nouvelle réforme comprend également une séparation des régimes de survie et d’invalidité. Ces régimes sont désormais séparés du système vieillesse et passent dans le budget général.
Entre 1994 et 1998, un groupe de mise en œuvre a été chargé de résoudre d’éventuels problèmes pratiques et législatifs67. En 1997, la réforme est adoptée par le congrès du Parti social-démocrate68. Le travail de réforme peut alors se poursuivre et la décision est prise au Parlement en 199869. Le nouveau système entre en vigueur en 1999 et des règles transitoires sont appliquées pour les cohortes nées entre 1938 et 1953. Les cotisations à la Premium pension commencent en 1995 et les premières prestations de retraite pour les pensions liées aux revenus et la Premium pension sont versées en 200170.
L’équilibre automatique des pensions liées aux revenus devient une mesure législative en 2001. Ce mécanisme est déclenché si les actifs (fonds de réserve plus la valeur estimée des actifs sous forme de revenus de cotisations) deviennent inférieurs aux passifs (capital notionnel accumulé et valeur en capital des pensions à verser)71. Le solde budgétaire est calculé pour chaque année l’année suivante, et le résultat est appliqué pour l’année à venir. Le premier rapport annuel sur la situation financière des retraites publiques a été produit en 200272. Toutes les prestations des retraités de l’ancien système sont modifiées selon les nouvelles règles en 2003.
Avec la crise économique puis financière, le mécanisme d’équilibre automatique est déclenché en 2010, 2011 et 2014, ce qui entraîne une diminution du montant des retraites. À cause de ces coupes, le gouvernement de centre droit du Premier ministre Fredrik Reinfeldt73 décide de réduire l’impôt sur le revenu des pensions pour compenser la baisse des pensions brutes. Après la crise, un ajustement du mécanisme d’équilibre automatique est effectué et la valeur des fonds de réserve est pondérée sur une moyenne de trois ans afin de réduire la volatilité.
Voir Swedish Government Office-Ministry of Health and Social Affairs, The Pension Group’s agreement on long-term raised and secure pensions, 14 décembre 2017 (https://www.gose/48f80e/contentassets/38492596ca1c446d944036f9a93d048b/the-pension- groups-agreement-on-long-term-raised-and-secure-pensions.pdf).
Mis à part cela, le système fonctionne comme prévu pendant les décennies 2000 et 2010, et, hormis les modifications indiquées plus haut, aucun autre changement n’est apporté. Mais, comme les individus ne se comportent pas comme prévu par le système d’origine, on observe un consensus croissant sur la nécessité d’ajuster le système dans son ensemble. Malgré le prolongement mesuré de l’espérance de vie, les individus ne retardent pas leur départ à la retraite et leur sortie du marché du travail. Par ailleurs, les citoyens ne se montrent pas rationnels dans le régime de Premium pension et, globalement, sous-optimisent donc le système.
Le 14 décembre 2018, le groupe sur les retraites conclut un nouvel accord sur des mesures politiques visant à renforcer la pertinence et la pérennité du régime des retraites74. Le point de départ du nouvel accord est d’apporter plusieurs améliorations au régime afin de rendre les pensions plus sûres et plus élevées à l’avenir. Ces mesures, qui guideront les travaux pour les années à venir, comprennent :
- une pension de base réformée et renforcée (c’est-à-dire pension garantie, supplément au logement, etc.) ;
- une Premium pension réformée ;
- un renforcement de la viabilité économique du système de retraite à long terme en repoussant l’âge de départ à la retraite ;
- une introduction des mesures supplémentaires vers un meilleur environnement de travail et une formation renforcée pour une vie professionnelle durable ;
- une nouvelle délégation pour les travailleurs seniors afin de lutter contre l’âgisme et la discrimination ;
- un nouveau conseil consultatif avec les partenaires sociaux ;
- un examen des règles de déduction d’impôt pour les retraites professionnelles ;
- des mesures en faveur d’une plus grande égalité des sexes en matière de retraite ;
- des règles d’investissement modernisées pour les fonds de réserve de pension.
Les raisons du succès de la réforme
Le rôle de la culture politique suédoise
L’expérience de réforme suédoise est marquée par une culture politique nationale forte qui vise le consensus, par un échelonnage de la réforme sur un temps long et par une organisation particulière du travail et de la réflexion. Mais si la Suède est aujourd’hui une société fondée sur le consensus, cela n’a pas toujours été le cas. Changer la mentalité politique d’un pays est difficile, mais pas impossible. Il s’agit de trouver un accord acceptable, selon ce que l’on appelle un « processus de consensus » (förankringsprocessen). D’un point de vue extérieur, cela peut sembler naïf voire inefficace, mais un accord fondé sur un consensus, lorsqu’il est trouvé, est accepté et toléré par la plupart des personnes et devient ainsi la nouvelle norme. En suédois, il existe un mot pour exprimer cet idéal : lagom. Ce terme désigne une situation intermédiaire optimale et acceptable pour tous et vers laquelle tendre. On pourrait dire que le processus de réforme des retraites en Suède illustre bien cette notion si l’on considère le débat politique qu’il a suscité.
La question des retraites et de leur réforme a toujours occupé une place centrale dans ce pays scandinave, comme en témoigne la bataille politique acharnée menée lors de l’introduction du système ATP. Associés au contexte politique, ces débats ont traversé les générations. Par ailleurs, c’est précisément pour cette raison que les responsables politiques ont pu s’accorder sur l’importance de l’art et la manière de ne pas être d’accord. La réforme, ou plus précisément le processus de réforme, a bénéficié d’un soutien politique important de la part du gouvernement et de l’opposition au Parlement. Ce soutien a également contribué à convaincre le public. En 1994, la décision prise entre les cinq partis politiques à l’origine de la réforme a permis de parvenir à un solide accord.
L’organisation du travail de réforme
Bo Könberg, « The Swedish Model for Pension– New Wine in New Bottles », NFT 2/2008, (https://nft.nu/sites/default/files/2008202_0.pdf).
Margit Gennser (née en 1931) est une femme politique et économiste du parti modéré. Voir Margit Gennser, Pensionsreformen -ideologi och politik, Timbro förlag, 2008.
Sur la question de la méthode qui devrait régir tout type de travail d’une réforme, Bo Könberg, qui a participé à la commission sur les retraites, a fait remarquer que la création d’un petit groupe était nécessaire pour avancer rapidement et que le nombre de participants devait être limité75.
Selon Margit Gennser, membre du Groupe de travail parlementaire sur les retraites, d’autres leçons sont à tirer76 :
- il est important de tenir les partenaires sociaux à distance du processus politique ;
- une enquête visant à effectuer des changements structurels importants devrait inclure des participants qui se concentrent sur la pratique et d’autres qui se focalisent sur la L’objectif de cette stratégie est d’influencer et de susciter l’accord des membres des partis politiques ;
- une réforme radicale a besoin d’un climat social apaisé et l’importance d’une bonne dynamique de groupe ne doit pas être sous-estimée ;
- un soutien politique fort de la part des hauts responsables politiques est nécessaire.
Si ces éléments peuvent rester des sujets à débattre, ils donnent un aperçu des points de vue au sein du groupe de travail parlementaire sur les retraites. En outre, il est important de noter que, bien qu’il y ait un consensus concernant les méthodes de travail de ce groupe, certains partis politiques ne font pas partie de cet accord. De plus, la réforme et le manque de transparence du groupe de travail parlementaire font l’objet d’une critique et d’un débat de longue date.
Conclusion
Pension Agreement…, op. cit., p. 53.
Cette étude vise à décrire le processus de réforme des retraites en Suède sur le temps long. Les régimes de retraite sont des engagements sur la durée. Afin de renforcer la confiance dans un régime, les systèmes réglementaires doivent également être caractérisés par une stabilité pérenne77. Le régime des retraites suédois est conçu pour être économiquement stable et repose sur une large majorité parlementaire au sein du Riksdag.
L’expérience suédoise montre qu’il est impératif de faire appel à des individus compétents et efficaces, capables de garder la tête haute, avec des instructions claires et solides. En outre, il est très important d’établir des alliances inclusives fortes, dès le départ, avec un objectif commun : d’une part, pour rester fermes lorsque les inévitables critiques se font entendre ; d’autre part, pour protéger les réformes et ancrer le soutien d’une majorité politique. Ainsi, ce n’est pas tant la réforme que le processus de réforme qui importe.
Annexes
Le régime des retraites suédois
Voir Inspektionen för socialförsäkringen (ISF), Vem får avsättningar till tjänstepension?, rapport 2018:15, ISF, 2018 (https://inspsf.se/download/18.6e75aae16a591304896ba3/1565330431579/Vem får avsättningar till tjänstepension-ISF-Rapport 2018-15.pdf).
Le régime des retraites suédois repose sur trois piliers : le régime public de retraite, qui représente le revenu de pension le plus important pour la plupart des bénéficiaires ; les retraites professionnelles, qui sont quasiment obligatoires et couvrent environ 94% de tous les travailleurs78 ; enfin, les retraites privées individuelles facultatives, qui offrent une couverture et des prestations complémentaires.
Retraites suédoises 2016* (en milliards de SEK)
Source :
Source : Agence suédoise des retraites.
* Les versements de retraite professionnelle et de retraite privée ne concernent que les personnes âgées de 65 ans ou plus.
La Premium pension est classée comme une pension privée en termes de comptes nationaux.
En 2018, l’allocation BTP s’élevait au maximum à 5 560 couronnes par mois (556 euros) pour les personnes seules et à 2.780 couronnes (278 euros) pour les couples.
(0,07 + 0,1021)/(1 – 0,07) = 0,185.
Les pensions de vieillesse liées au revenu se composent d’un système de contribution notionnelle par répartition, la pension liée aux revenus (inkomstpension), et d’un système de contribution par capitalisation, la Premium pension (premiepension)79. Dans les deux systèmes, les prestations de retraite sont calculées sur les revenus de la vie active et sont établies sous forme de comptes individuels. En outre, il existe un complément qui s’appuie sur le logement, la pension garantie (garantipension). La pension garantie est conditionnelle et dépend des niveaux de pension publique liée au revenu. Il existe également une allocation logement supplémentaire pour les retraités (bostadstilägg till pensionärer, BTP), non imposable et proportionnelle aux revenus, qui cible les personnes âgées ayant une petite retraite et des coûts de logement élevés80. Les retraités ayant des revenus faibles et des coûts de logement élevés peuvent également bénéficier d’une allocation logement supplémentaire spéciale (särkillt bostadstillägg till pensionärer, SBTP). Enfin, il existe un programme non imposable et proportionnel aux revenus pour l’aide alimentaire aux personnes âgées (äldre försörjningsstöd), qui garantit que les retraités aux revenus très faibles – souvent des étrangers avec peu d’années de résidence en Suède – ne deviennent pas dépendants de l’aide sociale. Le montant des prestations dépend du revenu du ménage et des coûts du logement, mais est, par nature, toujours plus élevé que les prestations d’aide sociale et inférieur au niveau de base pour les personnes bénéficiant d’une pension garantie et d’un supplément au logement. Les mêmes règles s’appliquent à tous les hommes et à toutes les femmes, quel que soit le secteur économique, aux anciens salariés comme aux ex-indépendants.
Le système couvre tous les individus nés depuis 1938, avec des règles de transition pour les cohortes nées entre 1938 et 1953. Les droits à la retraite sont calculés à hauteur de 18,5% du revenu de pension annuel, jusqu’à un plafond de 496.305 couronnes suédoises (49.630 euros) en 2017. 16% sont ensuite versés à la pension liée aux revenus et 2,5% à la Premium pension. L’assuré verse une cotisation de retraite de 7% du revenu brut ouvrant droit à pension et l’employeur paie 10,21%81. Les cotisations de retraite sont également payées par le gouvernement pour couvrir les droits à la retraite crédités pour certaines prestations d’assurance sociale en cas de chômage, maladie, invalidité ou congé parental.
L’âge de départ à la retraite est flexible et les individus peuvent bénéficier de prestations de retraite à partir de 61 ans sans limite d’âge supérieure. En outre, il est possible de travailler et de toucher les prestations de retraite. En vertu de la loi sur la protection de l’emploi, un salarié a le droit de rester dans l’entreprise jusqu’à ses 67 ans. Le gouvernement prévoit une proposition visant à augmenter les limites d’âge inférieure et supérieure (61 et 67 ans) en 2020.
Pensions liées aux revenus
Les coefficients de rente des deux sexes dans le système NDC (pensions liées au revenu) entraînent une augmentation d’environ 8% des prestations de retraite pour les femmes (à 65 ans) par rapport à un régime fondé sur l’espérance de vie spécifique au sexe, compte tenu des différences réelles d’espérance de vie.
Pour de plus amples informations concernant le mécanisme d’équilibre automatique, voir Swedish Pensions Agency, Orange Report. Annual Report of the Swedish Pension System 2017 (pensionsmyndigheten.se/content/dam/pensionsmyndigheten/blanketter—broschyrer—faktablad/ publikationer/%C3%A5rsredovisningar/annual-reports-of-the-swedish-pension-system/Orange_report_2017. pdf).
L’activation du mécanisme d’équilibre est fondée sur les rapports annuels du régime des retraites publiés par l’Agence suédoise des retraites.
Le régime des pensions liées aux revenus repose sur une base actuarielle. Au moment du versement des prestations de retraite, une rente est calculée en divisant le capital total de cotisations accumulées par l’individu tout au long de sa vie active par un coefficient reflétant l’espérance de vie des deux sexes à la date précise du départ à la retraite82. L’individu peut compenser l’effet négatif de l’allongement de l’espérance de vie sur le montant de la rente en repoussant son départ à la retraite. Ce système renforce les incitations à travailler et à reporter le versement des prestations.
La pension liée aux revenus est regroupée en début de période, à 1,6%, ce qui permet à l’individu de recevoir à l’avance une part de l’augmentation réelle du salaire au moment du versement des prestations de retraite. Cela permet une distribution plus progressive des pensions, l’espérance de vie et la mortalité étant réparties de manière inégale entre les revenus et les niveaux d’éducation. Les comptes individuels de pension liée aux revenus sont indexés, selon la règle de base, par la croissance des revenus moyens par cotisant. Si l’équilibre économique du système se détériore, le mécanisme d’équilibre automatique est activé et l’indexation est réduite jusqu’à ce que la stabilité soit rétablie83. Cela permet de garantir que le système est en mesure de financer ses obligations avec un taux de cotisation fixe et des règles établies indépendamment de l’évolution démographique ou économique84.
Premium pension
Le système d’assurance sociale est également constitué d’un système privé obligatoire par capitalisation intégrale en cotisations définies, la Premium pension. Le système est géré par l’État et financé par un taux de cotisation de 2,5% des revenus ouvrant à droit de pension, suivant les mêmes règles de transition que le système par répartition. Aujourd’hui, le système comprend environ 800 fonds qui ont des stratégies d’investissement et font face à des risques différents. Lorsqu’une personne prend sa retraite, elle peut choisir une rente variable ou une rente liée aux revenus. Avec une rente variable, le fonds de capital accumulé reste dans les fonds sélectionnés. Avec une rente liée aux revenus, l’argent est retiré des fonds alloués et géré par l’Agence suédoise des retraites. En partant à la retraite, à partir de 61 ans, les individus peuvent choisir une rente fixe ou variable, partielle ou totale. La Premium pension prévoit également une couverture de survivant, qui peut être souscrite par un conjoint ou un partenaire enregistré lors de la demande de la prestation de retraite. La couverture de survivant est neutre sur le plan actuariel et les prestations sont donc ajustées selon les principes actuariels.
Pensions minimales indépendantes des revenues et garanties de base
Les prestations de la pension garantie sont financées par l’impôt sur le revenu. Cette prestation est proportionnellement réduite en fonction du nombre d’années de résidence si les années de résidence en Suède sont inférieures à quarante. La pension garantie et le supplément au logement proportionnel aux revenus pour les retraités permettent de garantir un niveau de revenu supérieur au niveau de revenu minimum dans le système d’aide sociale. Toutes les prestations sociales de base pour les personnes âgées sont accessibles dès l’âge de 65 ans. La pension garantie est indexée sur les prix et dépend uniquement des revenus de pensions publiques et des prestations de survivant. Pour les revenus les plus faibles, la pension est entièrement maintenue, et pour les revenus les plus élevés, elle est réduite de 48% pour chaque couronne supplémentaire sur la pension liée aux revenus. Cela crée un effet d’incitation au travail pour les personnes bénéficiant d’une pension garantie. La pension garantie maximale s’élève à 8.254 couronnes suédoises (825 euros par mois en 2018) pour un ménage individuel et 7.363 couronnes (736 euros par mois en 2018) par personne pour les couples. La pension garantie est intégralement supprimée pour les revenus supérieurs à 11.906 couronnes (1.191 euros) pour les personnes célibataires et 10.553 couronnes (1.055 euros) pour les couples mariés ou en concubinage.
Les pensions de veuvage et de survivant sont progressivement supprimées depuis 1990. Elles sont remplacées par une allocation d’ajustement temporaire indépendante du sexe. Cependant, en raison de la longue période de transition, la pension de veuvage et de survivant sera versée pendant plusieurs décennies. Un survivant recevra une allocation d’ajustement pendant douze mois, mais les paiements continueront si le survivant a des enfants âgés de moins de 12 ans. Le montant de l’allocation d’ajustement et de la pension de réversion est calculé sur la base des revenus du défunt.
Les allocations d’invalidité (équivalentes aux pensions d’invalidité dans la plupart des autres pays de l’OCDE) font officiellement partie du régime d’assurance maladie et ne font plus partie du régime des retraites depuis 2003. Par ailleurs, les personnes bénéficiaires d’allocations d’invalidité cumulent les droits à la retraite dans le système national de retraite. Les cotisations au système de retraite issues de ces prestations sont versées par le budget de l’administration centrale. Les prestations d’assurance vieillesse invalidité, comme pour le reste de la population, sont calculées sur la base des revenus de la vie active.
Retraites professionnelles
Voir The Swedish Social Insurance Inspectorate (ISF), 2018, op. cit.
Voir Gabriella Sjögren Lindquist et Eskil Wadensjö, « National Social Insurance – not the whole Supplementary compensation in case of loss of income », rapport pour l’ESS, n° 5, 2006, Regeringskansliet, Ministry of Finance (www.government.se/49b735/contentassets/8212cea35ef34096a3bf91d63111ed64/ national-social-insurance—not-the-whole-picture-ess-20065). Les régimes professionnels ont été renégociés pour s’orienter davantage vers des régimes en cotisations définies. Toutefois, les périodes de transition sont longues.
Environ 94% de l’ensemble du salariat (du secteur public comme du secteur privé) est couvert par des plans de retraite professionnels qui s’appuient sur les conventions collectives conclues entre les syndicats et les confédérations d’employeurs au cours de la période 2001-201485. Les adhésions au régime sont quasi obligatoires pour tous les employeurs et employés qui travaillent dans un secteur couvert par une de ces conventions collectives. Il existe quatre domaines de conventions collectives : pour les employés du gouvernement central, pour les employés des conseils municipaux et de comtés, pour les employés du secteur privé et pour les ouvriers du secteur privé86. Les conventions collectives comprennent des régimes de retraite professionnelle financés par les cotisations patronales, qui garantissent des retraites en complément du régime public, mais aussi des indemnisations de retraite pour les revenus dépassant le plafond des retraites du régime public. Ces systèmes sont donc les plus importants pour les personnes à revenu élevé. Il est possible de toucher la retraite professionnelle à partir de 55 ans, sous forme de somme forfaitaire quinquennale ou de rente à vie.
Impôts
Toutes les prestations d’assurance vieillesse (y compris la pension garantie), d’invalidité et de survivant sont soumises à l’impôt sur le revenu. Les allocations de base proportionnelles aux revenus (supplément au logement pour les retraités, allocation logement supplémentaire spéciale et aide alimentaire aux personnes âgées) sont exonérées d’impôt. Les fonds d’épargne privés déductibles de l’impôt sont supprimés depuis 2016, sauf pour les personnes privées de couverture de retraite professionnelle. Les retraites professionnelles et la Premium pension obligatoire sont imposables ETT (cotisations exonérées, revenus des investissements taxés, prestations taxées).
Pour renforcer le pouvoir d’achat des personnes âgées, les retraités à faible revenu bénéficient d’une déduction fiscale de base pour les personnes de 65 ans et plus. Cette mesure a été introduite en 2009 et augmentée plusieurs fois depuis. En outre, le crédit d’impôt sur le revenu gagné qui a été introduit en 2007 taxe les revenus du travail à un taux plus faible que les autres sources de revenus.