Le 17 janvier 2007, la Fondation pour l’innovation politique organisait une table ronde intitulée « Regards croisés des Européens pour une relance de l’Union européenne », à laquelle participaient notamment Michel Foucher (géographe, ancien ambassadeur de France en Lettonie), Klaus Neubert (Ambassadeur d’Allemagne en France), Pavel Fischer (Ambassadeur de la République Tchèque en France) et Stefano Silvestri (président de l’Institut des relations internationales, Rome).
Michel FOUCHER
Michel Foucher a présenté les trois volets de sa note « L’Union européenne un demi-siècle plus tard : état des lieux et scénarios de relance » (publiée par la Fondation Robert Schumann en novembre 2006), réalisée à partir de plus de 200 entretiens réalisés en Europe :
- La réforme institutionnelle ;
- L’économique et le social ;
- L’élargissement et la capacité d’intégration.
Il a pu constater qu’au-delà des positions officielles, de nombreuses questions débattues en France, préoccupent également les autres capitales européennes, y compris celles qui ont voté « Oui » au Traité constitutionnel. Il existe un certain consensus européen sur la nécessité de reformuler le projet du TCE. Les vrais plans B, comme la proposition du parlementaire européen Andrew Duff, ne peuvent être acceptés par les 18 pays qui ont ratifié le Traité constitutionnel, et refusent une refonte complète, qui reviendrait annuler leur vote. Par contre, le slogan de « l’Europe des résultats » fait un consensus commode.
Les Etats se divisent en deux groupes :
- Ceux qui n’accordent pas d’intérêt aux questions institutionnelles, souhaitent mettre l’accent sur les échanges économiques et sont favorables à un élargissement continu. On obtient ainsi une topographie qui recouvre assez bien les pays ALELE.
- Ceux qui mettent les questions institutionnelles au coeur du projet, souhaitent une plus grande concertation politique, cherchent à doter l’Euro-groupe d’un rôle de coordination des économies politiques, et veulent une pause dans les élargissements : France, Allemagne, Benelux, Italie, etc.
Sur les frontières de l’Union, trois options se font jour :
- L’UE se confond sur le long terme avec les pays membres du Conseil de l’Europe ;
- Le scénario américain « au fil de l’eau » qui consiste à procéder à un élargissement par inertie à la Turquie, à l’Ukraine, à la Biélorussie et aux pays du Caucase ;
- L’option raisonnable des « frontières temporaires » (voir l’article de M. Foucher dans la Revue Esprit de novembre 2006), qui évoluent selon le contexte politique.
Partisan d’une pause d’une quinzaine d’années avant tout nouvel élargissement, Foucher souligne que les frontières de l’Union doivent aussi être l’ « horizon d’action » d’une politique de voisinage renforcée. Sur la méthode, Foucher estime qu’il faut accepter l’existence de désaccords et la recherche de compromis. Avec cette méthode, une conférence intergouvernementale à mandat limité pourrait proposer, à l’horizon 2009, un nouveau traité reprenant les principales innovations institutionnelles contenues dans le TCE.
Klaus NEUBERT
Klaus Neubert a décrit l’agenda très serré que s’est fixé la présidence allemande de l’Union européenne, dans un contexte encombré par les échéances électorales françaises. Après une phase d’écoute, l’Allemagne précisera son calendrier lors du Conseil européen du 25 mars, à l’occasion de la célébration du cinquantenaire du Traité de Rome. En juin, l’Allemagne devra remettre à la présidence portugaise une feuille de route en vue de l’indispensable amélioration de l’efficacité des institutions européennes.
Sur le fond, l’Allemagne souhaite maintenir dans la renégociation du Traité constitutionnel les équilibres qui ont été négociés lors de la CIG.
En Europe nous avons actuellement deux « boites de pandore » : la question des institutions et la question des perspectives budgétaires. Il serait maladroit de vouloir « ouvrir les deux boites simultanément », car cela va créer une supplément de tensions entre les divers intérêts en présence, et finalement, aucune décision ne sera prise.
Il faut cesser avec la « Kindergartenpolitik » qui règne en Europe depuis le départ de Delors, avec des marchandages de boutiquiers et un épanouissement chaotique des égoïsmes nationaux, majoritairement dans les grands pays.
La France doit reprendre son rang de moteur de l’Europe, car actuellement, l’état d’esprit de repli « derrière une ligne Maginot imaginaire » met l’Allemagne dans une situation intenable de seule puissance économique et diplomatique de premier plan, qui doit faire exister l’Europe sur la scène internationale via des coalitions de « moyens et petits » pays.
Si la France reprend son rang et retrouve une volonté de leader conjoint avec l’Allemagne, les autres pays (et en premier lieu la Grande-Bretagne et la Pologne) devront déclarer clairement quelles sont leurs options européennes.
Il faut dédramatiser la question turque. Il est absurde de parler de l’Europe comme un club chrétien, non seulement du fait de l’importante présence d’une population musulmane, mais aussi du fait de la présence pluriséculaire de la civilisation ottomane jusqu’au coeur même de l’Europe. On ne peut fermer la porte au Turques sous prétexte que l’Europe a changée d’avis « au bout d’une longue période de fiançailles ». Aujourd’hui, il faut laisser se dérouler le processus de négociation avec la Turquie. Les échéances se situent sur 10 à 15 ans, et cette question ne devrait pas polluer nos débats actuels. Nous devons surveiller de près ce processus de négociation en faisant comprendre aux autorités turques qu’elles négocient leur adhésion et non pas les règles qui président à cette adhésion. Il est d’ailleurs probable que la société turque et ses élites renoncent finalement à leur désir d’adhésion, rebutés par la trop importante part de souveraineté qu’ils auront a abandonner pour faire partie de l’Union.
Pavel FISCHER
La question de la ratification du Traité constitutionnel en République tchèque a été perturbée par l’incertitude politique qui a résulté des dernières élections législatives, incapables de dégager une coalition de gouvernement. Pourtant la société tchèque est majoritairement favorable à ce Traité, même si son soutien s’est érodé depuis le « non » français. Cela montre à quel point la position française compte parmi les nouveau pays membres qui voient en la France une autorité morale et une voix qui porte dans le monde.
Pour la République tchèque, comme pour tous les pays membres d’Europe centrale et orientale, la question de l’élargissement se pose aujourd’hui à travers le prisme des Balkans. Pour garantir la stabilité dans la région, il est indispensable de préserver une perspective d’intégration politique et économique pour les pays issus de la fédération yougoslave et pour l’Albanie. Les nouveaux pays entrants, Bulgarie et Roumanie, mais aussi des pays membres « riverains » comme la Grèce, l’Autriche, ou la Hongrie seront particulièrement vigilants sur cette question.
La République tchèque suit avec un très grand intérêt les initiatives de la Commission et de l’Allemagne sur l’élaboration d’une politique énergétique pour l’Europe. Deuxième fournisseur d’électricité en Europe, après la France, la République tchèque est désireuse d’un développement de l’énergie nucléaire. En ce sens elle souhaite collaborer activement avec la France qui est le leader incontestable en ce domaine.
De façon générale, la République tchèque souhaite conjuguer ses efforts diplomatiques avec ceux de la France, étant donné que la présidence tchèque de l’Union intervient juste après celle de la France.
Stefano SILVESTRI
Stefano Silvestri estime que la France connaît « une crise profonde », qui pèse lourdement sur les décisions à prendre en Europe. Sur la question de l’avenir du Traité constitutionnel, M. Silvestri estime qu’il est nécessaire de garder l’essentiel du traité et de ne pas entamer une renégociation complète étant donné les équilibres fragiles qui ont permis de dégager un consensus entre tous les Etats membres.
L’Italie démontre une attitude différente de la France sur la question de l’élargissement. Elle estime que l’élargissement est un point positif et nécessaire pour le développement de l’UE. L’élargissement à la Turquie est également vu d’un bon oeil par les politiques italiens. Cette position n’est pas un réflexe proaméricain, mais pour assurer la stabilité de la région méditerranéenne.
M. Silvestri a insisté sur l’importance des « noyaux durs », des petits groupes de pays qui avancent plus rapidement que les autres, pour l’intégration européenne. Il a suggéré un projet de noyau qui pourrait avancer sur les questions de la politique étrangère et de défense, et de l’énergie. Il a évoqué le rôle du Royaume-Uni dans des éventuelles coopérations entre les états de l’UE. Selon M. Silvestri, l’absence de la participation du Royaume-Uni ne serait pas, et ne doit pas être, paralysante pour l’Union européenne, même dans le domaine de la défense.
Michel FOUCHER
Les politiques différenciées ne peuvent se faire que si le groupe « pionnier » comporte en son sein la France et l’Allemagne. Les autres partenaires désireux d’avancer sur tel ou tel sujet, exigent cette présence pour que l’accord politique qui puisse en résulter soit viable et applicable.
En Turquie le processus d’adhésion à l’UE comporte une ambiguïté fondamentale. Il est en effet utilisé par un gouvernement à fondement conservateur religieux pour marginaliser l’armée qui est garante d’un système « laïque ». De fait, ce qui doit amener la Turquie sur la voie de l’occidentalisation et de la démocratisation pourrait à terme modifier les équilibres internes à la société turque, et la faire aller dans une direction opposée.
Le désir d’Europe dans le monde est perceptible sur tous les continents, les pays ne souhaitant pas être confrontés à un choix entre le modèle américain et le modèle chinois. L’Union européenne est considérée pour le modèle de développement et de société qu’elle peut apporter aux pays en voie de développement, et pour son rôle de régulation dans les affaires internationales.
Franck DEBIÉ
Franck Debié a conclu la conférence par une réflexion sur l’avenir de la démographie de l’Union européenne et de ses voisins à l’horizon 2025. En 2025, l’Union européenne, même étendue aux Balkans, ne représentera plus qu’un tiers des hommes regroupés dans l’ouest de l’Eurasie. Le Maghreb en forte croissance, la Turquie, le Proche-Orient, le monde russophone, seront davantage intégrés à l’espace européen par la rapidité des transports, le progrès des échanges et les liens familiaux. Les nouveaux voisins de l’Union seront alors l’Iran, l’Afrique subsaharienne et le monde indien.
L’enjeu ne sera bientôt plus tant celui de la constitution d’un marché continental que celui de la gestion des migrations, de l’organisation économique du voisinage de l’Union, du codéveloppement. L’intégration et l’harmonisation de l’Union à l’intérieur vont devenir moins importantes que la qualité des coopérations avec sa périphérie.
Pour cela, l’Union européenne devra « discipliner » ses Etats membres : comment envisager une coopération sérieuse avec les Etats de la périphérie si chaque Etat membre continue de poursuivre avec eux ses propres intérêts ?
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