L'OTAN, un dilemme français ?
Aurélien Lechevallier | 02 avril 2008
Le portail dédié aux livres et aux idées publie une lecture critique du document de travail de Frédéric Bozo Alliance atlantique : la fin de l’exception française ?
La Fondation pour l’Innovation Politique, think tank français proche de l’UMP, cherche à donner du poids à l’hypothèse d’une réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.
Le document de travail de la Fondapol intitulé « Alliance atlantique : la fin de l’exception française » est le contraire d’un roman policier. Pour le savourer, il faut commencer par la fin. À la quinzième et dernière page de cette dense dissertation, Frédéric Bozo, professeur d’université, rassemble le résultat de ses spéculations : oui, le président de la République prend la voie d’une intégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN ; oui encore, l’auteur encourage ce mouvement afin, dit-il joliment, de « régler définitivement l’accessoire afin de mieux se concentrer sur l’essentiel ». Dans un premier temps, il faut réfréner le mouvement d’humeur qui consisterait à jeter les quinze feuillets en maugréant : c’est à n’y rien comprendre ! Le même F. Bozo ne vient-il pas de nous persuader – habilement d’ailleurs – que cette décision rapporterait peu, et coûterait beaucoup ? La tentation d’en rester là est forte. Mais la critique, on le sait, est généreuse. On reprend du début, patiemment. C’est seulement alors que le texte s’apprécie à sa juste valeur, comme un merveilleux exercice d’équilibrisme.
Le contexte est connu : le président de la République, dans son premier « grand discours » de politique étrangère en août 2007, évoque la pleine intégration de la France dans l’OTAN, dont elle avait quitté le commandement intégré en 1966. Cette hypothèse d’une « normalisation » de la relation française à l’OTAN réveille une polémique qui s’était apaisée depuis une dizaine d’années. Frédéric Bozo, en s’appuyant sur ses travaux antérieurs, nous explique que cette déclaration ne s’inscrit pas en « rupture » avec la pensée des précédents chefs de l’État. C’est l’un des intérêts principaux de ce document de travail. En effet, si la tentative avortée de Jacques Chirac de normaliser les rapports de la France à l’OTAN (1995-1997) a pu marquer les esprits (et conduire d’ailleurs à un premier renforcement de la présence militaire française dans les structures de l’OTAN), les efforts du président Mitterrand dans ce sens sont restés plus confidentiels. La volonté d’aggiornamento du nouveau chef de l’État répond en tout cas à un « schéma classique » de début de présidence, plus qu’à un virage supposé vers « l’atlantisme ». La doctrine officielle de non-alignement vis-à-vis des États-Unis reste d’ailleurs inchangée, comme en témoigne le discours du président devant le Congrès américain en novembre 2007.
Comme son prédécesseur, le président de la République lie la question de l’OTAN à celle de la construction de la défense européenne. Ses premiers messages sur la nécessaire complémentarité des deux chantiers ont néanmoins été révisés rapidement (dès septembre 2007) pour faire des progrès de l’Europe de la défense une « condition » du rapprochement à l’OTAN. Malheureusement, M. Bozo ne nous explique pas si ce « recadrage » (c’est son terme) vient du président lui-même ou d’un de ses « proches ». Cette séquence – défense européenne d’abord, intégration plus importante de la France dans l’OTAN ensuite – repousse l’échéance d’une « normalisation », au moins jusqu’au sommet du 60ème anniversaire de l’OTAN prévu en avril 2009, après la présidence française de l’Union européenne (deuxième semestre 2008) . Le cadre tactique est posé.
Selon F. Bozo, « le modèle gaullien d’appartenance à l’alliance (…) avait très largement fonctionné à l’avantage de la France ». Mais aujourd’hui, écrit-il plus loin, « la situation de la France dans l’Alliance demeure à bien des égards insatisfaisante ». Le monde a changé, les activités de l’OTAN, « y compris militaires », sont devenues « foisonnantes », et la France mériterait une place décisionnelle à la hauteur de ses engagements opérationnels. L’influence française sur le présent et l’avenir de l’OTAN est trop limitée. De plus, la France adopte souvent à l’OTAN une « attitude négative, voire d’obstruction » (mais, pourrait s’interroger le lecteur, la place de la France dans le commandement intégré de l’OTAN en est-elle la seule cause ?). Enfin, le positionnement spécifique de la France, mal compris par nos partenaires européens, freinerait les progrès d’une défense commune (malheureusement, la séquence tactique décrite plus haut ne répondra pas aisément à ces inquiétudes, à moins de la vendre au préalable à nos partenaires).
Ce diagnostic est convaincant, et la perspective d’une meilleure coopération entre l’OTAN et la PESD est bien sûr prioritaire. L’auteur va néanmoins montrer que la « normalisation » des rapports de la France à l’OTAN n’est pas le bon traitement. Certes, le « retour » complet dans le commandement intégré est faisable, il a déjà été amorcé. Les Français ne pourraient pas occuper, cependant, les postes les plus stratégiques avant de nombreuses années. Pour que ce « retour » ait un impact véritable, il faudrait de surcroît que les structures de l’OTAN et son fonctionnement « monolithique » soient réformés, ce qui est peu probable. Surtout, cette normalisation n’entraînera pas d’influence accrue pour la France, et ce d’autant moins que les États-Unis, contrairement aux vues françaises, veulent de plus en plus utiliser l’OTAN comme le « cadre de légitimation politique » de leurs interventions. Le message diplomatique d’un retour complet dans l’OTAN serait donc totalement brouillé. La normalisation n’entraînerait pas non plus, selon l’auteur, un renforcement de la capacité d’action collective des Européens au sein d’une alliance « verrouillée par les États-Unis ». Enfin, F. Bozo enfonce le clou : la normalisation des relations de la France avec l’OTAN ne serait de toute façon pas une garantie pour faire progresser la défense européenne, compte tenu des réticences du Royaume-Uni.
L’auteur est allé trop loin, il lui faut commencer un délicat exercice de rétropédalage. Il envisage alors deux scénarios pour l’avenir, la « suspension » de l’intégration dans l’OTAN, et sa « poursuite », qu’il juge « le plus probable » compte tenu de la « personnalité » et du raisonnement du Président de la République, et qu’il conseillera finalement du bout de la plume, à la fin de la conclusion. Pourtant, comme l’option de l’interruption est tentante ! Elle tiendrait compte des incertitudes d’une « rénovation » qui ne serait pas accompagnée d’une réforme en profondeur de l’OTAN. Elle éviterait les « risques diplomatiques (…) d’un tournant de la politique française en direction d’un alignement sur les États-Unis, écornant l’image d’une France indépendante et porteuse d’une vision alternative ». La suspension du retour complet dans l’OTAN éviterait également « d’affaiblir la position de la France au sein de l’alliance elle-même » et contournerait les tensions politiques internes, qui ne manqueraient pas de surgir en cas de changement de doctrine.
Il faut pourtant défendre l’option d’une intégration plus poussée dans l’OTAN, puisque telle est la conclusion du document de travail. Les raisons les moins convaincantes (le Président voudra « obtenir un succès là où son prédécesseur avait échoué avant lui », ou la nécessité de procéder « à un aggiornamento trop longtemps différé »…) précèdent alors les arguments les plus alambiqués (la normalisation pouvant, « loin de marquer une résignation ou un alignement », « être présentée comme la condition même de notre capacité à nous opposer à des tendances qui, à court ou moyen terme, risquent fort (…) de nous être contraires – politisation, globalisation, élargissement, etc). Ce plaidoyer conduit même à des renversements surprenants, comme la justification d’une dichotomie effective entre l’avenir de l’OTAN et la défense européenne (alors que le concept de complémentarité est un pivot du discours français) ou l’idée de procéder d’abord à la « normalisation » avec l’OTAN afin d’obtenir des engagements politiques de nos alliés au sujet de l’Europe de la défense (c’est la séquence inverse, on l’a vu, qui est aujourd’hui prônée…). En tout cas, même dans cette hypothèse, le retour dans l’OTAN devra être « paramétré ».
Après cette lecture riche mais déroutante, c’est donc à chacun de chercher d’autres sources et d’autres réflexions ). La parution du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, prévue au printemps 2008, donnera des indications nouvelles sur la doctrine du Chef de l’État. La question de l’articulation opérationnelle entre l’OTAN et la politique européenne de sécurité et de défense, en particulier le recours aux moyens militaires des États membres, sera au cœur des négociations de la présidence française de l’Union européenne au cours du second semestre 2008.
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