Une éthique de la fin de vie

François Ewald | 08 avril 2008

Chronique de François Ewald, président du Conseil scientifique de la Fondation.

 

La mort dramatique de Chantal Sébire relance un débat concernant la construction d’un art de mourir, d’une éthique de la maladie et de l’invalidité. Comme en témoigne le cas des personnes qui se sont exprimées juste après son décès, la question va bien au-delà de la manière de vivre les derniers moments d’une vie condamnée, mais plutôt de savoir comment vivre, ou ne plus vivre, dans la perspective d’une invalidité annoncée, qui peut être due aussi bien aux effets d’une maladie à évolution lente qu’à différentes formes de vieillissement.

Les questions d’éthique sont liées à la manière dont on exerce un pouvoir, sur soi ou sur les autres, et plus particulièrement au pouvoir donné par des techniques. Dans les années 1970, le débat bioéthique a accompagné l’usage de techniques de reproduction de plus en plus sophistiquées. Il va désormais investir les questions de la fin de vie en raison des progrès de la médecine qui permettent d’anticiper sur le long terme l’évolution d’une pathologie _ et de maintenir en vie des personnes qui, sans son secours, ne pourraient plus vivre. Ces progrès créent un nouveau rapport à la mort auquel il va falloir réfléchir. Et cela d’autant plus que les personnes demanderont assistance aux médecins dont le devoir est, en principe, de les maintenir en vie, comme le montre le cas de Chantal Sébire.

Ces questions ont jusqu’alors été traitées sous l’angle technique _ toute augmentation de la durée de la vie apparaissant comme un indicateur de progrès _ ou sous l’angle économique _ la dépendance étant essentiellement envisagée à travers les conséquences financières de l’allongement de la durée de la vie. On peut penser qu’autour de cas comme celui de Chantal Sébire et de ceux qui ne manqueront pas de se manifester, se pose à nous la nécessité d’aborder ces questions sous leur aspect éthique.

Les catégories disponibles ne sont guère satisfaisantes. Soins palliatifs ? La question n’est pas celle de la souffrance, mais de savoir quand une vie humaine reste digne, alors qu’on a la capacité de la prolonger presque au-delà d’elle-même. Euthanasie ? Chantal Sébire demandait à la fois au juge et au médecin une assistance, mieux, une reconnaissance de sa plainte. Réponse qui, parce qu’elle lui fut interdite, la condamna au suicide. Chantal Sébire a posé la question éthique comme une question qui ne concerne pas seulement la valeur que chacun peut accorder à sa vie, mais qui requiert la reconnaissance des autres. Que ma vie soit digne ne dépend pas seulement de moi, mais aussi du regard des autres. L’éthique de la fin de la vie implique doublement les autres : parce que l’on veut vivre accompagné jusqu’au bout, parce que la dignité se partage.

Aucune de ces questions ne relève à proprement parler d’un droit. En tout cas, pas d’un droit qui pourrait être donné à certains de porter la mort. Le droit doit protéger contre toute tentative en ce sens. L’éthique de la fin de vie est celle d’une insurrection du sujet contre les pouvoirs qui peuvent chercher à l’enserrer. Elle requiert lucidité et liberté, qui n’est déjà presque plus possible dès qu’on entre dans le rapport de dépendance que crée la maladie ou l’invalidité. C’est l’éthique d’une époque individualiste où les individus veulent trouver en eux-mêmes, dans le principe de leur autonomie et non plus dans des règles générales et abstraites, les conditions d’un sens qui ne veut venir que d’eux-mêmes tout en étant partagé.

Jusqu’à présent, les questions de l’éthique ont porté sur la naissance, les conditions de vie, les manières de vivre. Mais dans la mesure où la promesse de la mort fait partie de la vie, où l’on peut et même doit anticiper des formes de vie qui n’en sont plus, la fin de la vie entre dans son champ. On dira que cela se faisait déjà. Sans doute, mais dans le silence et le secret. Ce qui est nouveau est que cela demande à se faire en plein jour parce que c’est la condition d’une vie digne que cela se fasse ainsi. Peut-être est-il temps que nos sociétés se préparent à traiter collectivement de ces questions, susceptibles de transformer profondément le rapport de chacun à lui-même et aux autres.

 

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