L’Union, perdue dans le Caucase

Franck Debié | 01 septembre 2008

Chronique de Franck Debié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, sur le difficile positionnement de l’Union européenne dans la nouvelle donne géopolitique depuis la fin de la guerre froide.

 

La crise géorgienne révèle combien le  » roi est nu « . Les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Union européenne, l’ONU, l’OSCE, l’Otan – tout ce que le monde compte d’institutions – ne peuvent rien contre la Russie. Après avoir frappé la Slavonie et la Krajina (1992), la Bosnie (1993-1995), le Kosovo (2000-2001), la guerre punitive et le pillage reprennent leurs droits aux portes de l’Europe.

Ne faisons pas semblant de le découvrir : depuis plus de quinze ans, une certaine logique d’impunité s’est installée dans les relations internationales. Elle incite les petits pouvoirs – groupes séparatistes et gouvernements sans moyens – à tenter l’aventure de la confrontation armée pour modifier le statu quo en leur faveur. La guerre comme forme d’entrepreneuriat politique est de retour. L’opération de Géorgie ne peut surprendre ceux qui ont vu l’Otan et ses alliés rétablir la paix par les armes en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Macédoine…

Devant ce retour des guerres, les Européens se découvrent doublement impuissants : incapables de consolider le droit international, ils ne peuvent exercer seuls la coercition. A la dépendance militaire envers Washington s’ajoute la dépendance énergétique à l’égard de Moscou. Cet inconfort géopolitique peut conduire à de nouvelles erreurs : les Européens risquent de se comporter comme les souverains arabes du Golfe depuis 1991, et de se dire qu’en dehors d’une alliance plus serrée avec les Etats-Unis ils ne peuvent pas grand-chose. Ils pourraient même accepter, dans le cadre anachronique d’une nouvelle alliance antirusse, une solidarité automatique avec tous les peuples que les patrons de l’Alliance atlantique voudront y faire entrer, et s’engager ainsi à aller, un jour, mourir pour Bakou.

Ils peuvent aussi se montrer plus réalistes : comprendre que les grandes puissances ne veulent pas renoncer à une sphère d’influence, et qu’il faut tenter de la borner. Pour cela, on doit se garder de l’unilatéralisme et de l’arrogance. Car la guerre de Géorgie est aussi une réponse à la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, aux actions menées depuis dix ans par les Occidentaux dans les Balkans en contournant le Conseil de sécurité de l’ONU, à la nonchalance avec laquelle ont été accueillies les inquiétudes stratégiques russes et leurs propositions en matière de sécurité collective.

La France est à l’heure de l’histoire lorsqu’elle plaide pour un renforcement de la défense européenne. Mais la guerre de Géorgie rapproche le moment de décider comment : ou bien ce sera le tout Otan, une nouvelle course aux armements en Europe et l’élargissement de l’Alliance atlantique contre la Russie, ou bien une suite d’efforts pour l’indépendance énergétique et militaire de l’Union (ce qui suppose notamment un changement historique de l’Allemagne et une capacité autonome de commandement des forces européennes), et pour la reconstruction, avec les Russes et les Américains, d’une nouvelle sécurité collective pour tout le continent.

 

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