Attentats de janvier 2015 : Cinq ans après l'attaque de l’Hyper Cacher, « l'appréhension » demeure au sein de la communauté juive

Caroline Politi | 31 août 2020

PROCÈS. Le procès des attentats s’ouvre ce mercredi devant la cour d’assises spécialement composée. Cinq ans et demi après l’attaque de l’Hypercacher, le sentiment d’insécurité reste très présent au sein de la communauté juive.   

  • A partir de ce mercredi, 14 personnes sont jugées par la cour d’assises spéciale soupçonnée d’avoir aidé, à différents degrés, les terroristes des attentats de janvier.
  • Le 9 janvier 2015, Amédy Coulibaly avait fait irruption peu après 13 heures dans cette supérette et exécuté quatre hommes.
  • Selon un récent sondage, 34 % des juifs se sentent souvent ou de temps en temps menacés.

Monique aime ses petites habitudes. Chaque vendredi en fin de matinée, cette retraitée parisienne quitte son appartement du 12e arrondissement, grimpe dans sa Clio grise en direction de la porte de Vincennes. « Je fais mes courses puis je passe acheter quelques douceurs. » C’est pratique, la pâtisserie jouxte l’Hyper Cacher dans lequel elle remplit chaque semaine « depuis une éternité » son caddie. Mais le vendredi 9 janvier 2015, une fuite d’eau l’a obligée à revoir son programme. « J’étais avec le plombier quand c’est arrivé, j’ai appris pour l’attentat quand j’ai vu les textos de mes proches qui s’inquiétaient pour moi. »

Ce jour-là, Amedy Coulibaly a fait irruption dans la supérette peu après 13 heures. La veille, ce délinquant multirécidiviste converti à l’islam en prison, avait froidement abattu à Montrouge (Hauts-de-Seine) une policière municipale, Clarissa Jean-Philippe, et grièvement blessé un agent de la ville. Ce vendredi, à quelques heures de shabbat, les étroites allées du magasin sont pleines. En moins de cinq minutes, il tue trois hommes puis un quatrième qui cherchait à s’emparer d’une arme. L’assaut pour libérer les 18 otages ne sera donné que quatre heures plus tard, peu après celui contre les frères Kouachi, les tueurs de Charlie Hebdo. Les trois terroristes ont été abattus mais 14 personnes sont jugées à partir de ce mercredi et pour deux mois et demi par la cour d’assises spéciale, soupçonnées d’avoir apporté, à différents degrés, un soutien logistique.

« Je suis hypervigilante, je regarde partout autour de moi »

Cinq ans et demi après, seule une discrète plaque commémorative apposée à la devanture du magasin rappelle cette attaque. Pour autant, ce funeste vendredi reste dans toutes les têtes. « Je suis revenue parce qu’il fallait le faire, comme un geste politique mais au début c’était très dur », confie Monique qui connaissait bien l’une des victimes. Liliane aussi s’est fait un devoir de retourner à l’Hyper Cacher alors qu’elle fait le reste de ses courses sur Internet. Pourtant, encore aujourd’hui, elle ressent une « appréhension » à chaque fois qu’elle passe le seuil du magasin. « Je suis hypervigilante, je regarde partout autour de moi avant d’entrer. » Après l’attentat, la sexagénaire a même envisagé de partir vivre en Israël. C’est sa fille, ne souhaitant pas faire son alya, qui l’a convaincue de rester. Mais cette année-là, près de 8.000 Français, selon les chiffres de l’agence juive, ont sauté le pas. Un record.

A Saint-Mandé et Vincennes (Val-de-Marne), deux communes situées à deux pas de l’Hyper Cacher, le rabbin Hay Krief qui y officie, se souvient d’une nette augmentation des départs en 2015 et 2016, motivée par ce sentiment d’insécurité. « Ceux qui hésitaient, notamment les jeunes, se sont décidés. Cet attentat nous a fait prendre conscience que la violence ne cessera jamais, qu’on peut être tué juste en allant faire ses courses ou en allant à l’école comme à Toulouse. C’est révoltant d’être toujours la même cible. » Et les meurtres de Sarah Halimi en 2017 et Mireille Knoll en 2018 ont accentué cette tension. Un sondage réalisé en janvier par Fondation pour l’innovation politique-Ifop montre que 34 % des Juifs interrogés se sentent souvent ou de temps en temps menacés, un chiffre qui monte à 45 % chez les personnes se déclarant pratiquantes. Ils sont également près d’un quart à affirmer avoir déjà été victimes de violences physiques.

« On n’a parlé que de “Charlie Hebdo” »

Selon la politologue Nonna Mayer, directrice émérite de recherche au CNRS, ce sentiment d’insécurité remonte à la fin de l’année 2000 et à la première intifada. Cette année-là, les actes et menaces recensés par le ministère de l’Intérieur sont passés de 82 à 744. « Les Juifs, associés au sionisme et à Israël, sont certes en première ligne mais le terrorisme djihadiste s’en prend plus généralement à l’Occident, à la chrétienté, à l’Etat français honni pour sa défense de la laïcité et ses lois sur le port du voile, aux jeunes qui prennent un verre en terrasse », précise la chercheuse.

Au moment de l’attentat de Toulouse comme celui de l’Hyper Cacher, plusieurs voix se sont élevées pour déplorer le manque de solidarité de la communauté nationale. « On n’a parlé que de Charlie Hebdo. Y aurait-il eu autant de monde dans les rues le 11 janvier s’il n’y avait eu que l’Hyper Cacher ? », interroge Sammy Ghozlan, le président du bureau national de vigilance contre l’antisémitisme.

« C’est triste mais on s’est habitué à l’antisémitisme​ »

Hay Krief, lui, refuse toute comparaison. « On n’est pas dans un concours de la douleur. » Il se souvient néanmoins qu’après l’attentat, une partie de sa communauté s’est sentie abandonnée par l’Etat, incapable de les protéger. « La multiplication et la gravité des violences ciblant des Juifs alimentent le sentiment que l’antisémitisme, sous ses formes les plus brutales, est de retour », analyse Nonna Mayer. Après les attentats de 2015, l’antisémitisme ordinaire, mesuré chaque année par le ministère de l’Intérieur, a connu une forte baisse pendant trois ans avant de repartir à la hausse en 2018 : cette année-là, les actes antijuifs ont bondi de 74 % et à nouveau de 27 % en 2019. Et ce, alors que les enquêtes d’opinion montrent que l’image des Juifs s’améliore depuis vingt ans. « C’est même la minorité la mieux considérée », note la chercheuse.

« C’est triste mais on s’est habitué à l’antisémitisme​, on vit avec maintenant », lâche Nathalie sur le parking de l’Hyper Cacher. Et la mère de famille de préciser : « Il y a des quartiers ou même des villes entières où on ne va plus parce qu’on court un risque, pas seulement les orthodoxes, même lorsqu’on ne porte aucun signe de notre appartenance religieuse. » Autour d’elle, des amis ont retiré leurs enfants de l’école publique parce que leur nom à consonance juive leur posait des problèmes, d’autres déménagé dans les beaux quartiers quitte à s’entasser dans un petit appartement. Une sorte d’alya intérieure en somme.

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