« Cette crise confirme la cassure entre Paris et les territoires »

Dominique Reynié, Mériadec Raffray | 19 octobre 2021

Auteur de Les Nouveaux Populismes (Fayard/Pluriel 2013), Dominique Reynié dirige la Fondation pour l’innovation politique, où il pilote un « indicateur de la protestation électorale » lancé dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022 et dont la quatrième vague est parue en juin dernier.

La crise sanitaire a-t-elle creusé le fossé entre les Français et leurs élites, leurs institutions ?

Cette crise ne bouleverse pas les grands équilibres. Elle confirme les processus à l’œuvre, en particulier cette cassure entre les territoires et Paris. Aux yeux des habitants des villes moyennes, des villages et des campagnes, la capitale est associée à l’État centralisateur jugé arrogant et péremptoire, endetté et prompt à surréglementer ; elle fait presque figure d’enclave extraterritoriale. Souvenons-nous des mouvements des Bonnets Rouges, des Pigeons, des Tondus. Ils annonçaient celui, très puissant, des Gilets jaunes. Par cette protestation des ronds points, les Français des territoires ont en quelque sorte cranté leur refus des règles et taxes concoctées au niveau central qui bouleversent leur existence.

Paris symbolise aussi les élites mondialisées…

Oui, bien sûr. Ce rejet est structurant. Cela s’explique par l’histoire. C’est la France centralisée de Louis XIV, de Napoléon et de Pasteur qui a su globaliser le monde pour la première fois (avec le Royaume-Uni). Désormais, pour des raisons liées notamment à notre économie, notre État apparaît moins capable vers l’extérieur, mais toujours en capacité à l’intérieur de réglementer et de normaliser. Il semble démuni face à des enjeux transnationaux cruciaux qui semblent nous déborder : l’immigration, les délocalisations,la numérisation, le climat.

Quid des grandes métropoles?

Je formule l’hypothèse que le processus de démétropolisation en cours est la conséquence du double rejet de la mondialisation et du centralisme. A défaut de pouvoir s’extraire du monde globalisé, les ménages prennent leurs distances avec les métropoles connectées à la mondialisation, en prise avec son rythme, sa sociologie, sa culture si particulière, et où se concentrent les élites centralisatrices. Au passage, ils répondent à un idéal profondément ancré dans notre esprit français : le retour à la nature, au village, aux racines.

Vous affirmez dans votre livre que le « potentiel de protestation électoral demeure massif » …

En France, comme d’ailleurs en Europe, les partis « mainstream » ont tenté de répondre à ce que j’appelle une crise patrimoniale. Ils ont bien identifié son volet matériel, à savoir un niveau de vie érodé par la mondialisation. Ils sont passés à côté du volet immatériel : la disparition d’un style de vie. Cela élargit singulièrement l’assiette sociologique des protestataires. Les classes moyennes, qui rêvent d’ascension sociale, subissent la crise de l’école. Elles fuient les métropoles pour offrir à leurs enfants la chance d’intégrer un établissement apaisé dans une ville moyenne.

Ces protestataires votent de moins en moins. Faut-il anticiper une hausse de l’abstention à l’élection présidentielle ?

Aux municipales, les facteurs liés à la crise de la Covid 19 ont nourri l’abstention. Ce paramètre a moins perturbé les régionales, mais l’abstention a encore progressé. Il est possible que le territoires traditionnellement les plus participatifs, les petites villes et les campagnes, soient entrés à leur tour dans un processus de désertion civique. Si cela se confirme à la présidentielle, il faudra l’interpréter comme une nouvelle forme de protestation. Cela pourrait constituer la surprise de ce scrutin.

Interview M.R.

« À défaut de pouvoir s’extraire du monde globalisé, les ménages prennent leurs distances avec les métropoles connectées à la mondialisation, en prise avec son rythme, sa sociologie, sa culture si particulière ».

Lire l’article sur lopinion.fr.

Dominique Reynié (dir), 2022, le risque populiste en France (vague 4), (Fondation pour l’innovation politique, juin 2021).

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