Covid-19, guerre en Ukraine : la présidentielle étouffée par les crises

Jean Cittone | 01 avril 2022

ANALYSE - Une enquête de la Fondapol sur l’élection montre comment l’épidémie et l’invasion russe ont bouleversé en profondeur le rendez-vous démocratique de 2022.

L’élection des 10 et 24 avril est imprégnée d’une succession de crises. La désaffiliation partisane, le mouvement des «gilets jaunes» et l’opposition aux mesures sanitaires ont nourri des mouvements contestataires qui pourraient bien se répercuter dans les urnes, l’abstention et le vote contestataire pourraient même être sans précédent. L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, dernier chambardement en date, a eu pour conséquence un bond dans les intentions de vote pour Emmanuel Macron, devenu chef de guerre.

Une grande enquête de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) pour Le Figaro, réalisée du 10 au 14 mars, souligne que cette crise favorise nettement la position de favori du chef de l’État. 64% des personnes interrogées sont satisfaites de la façon dont le président gère cette situation, et 39% de ceux qui sont mécontents de son action comme président louent toutefois sa bonne gestion de la crise. 70% des Français craignent par ailleurs que le conflit dégénère en une guerre mondiale. C’est la première fois depuis 1965 qu’une telle menace plane sur l’élection présidentielle.

Dans une campagne présidentielle qui peinait déjà à imprimer sa marque sur l’opinion, le conflit aux portes de l’Europe entraîne dans son sillage plusieurs interrogations sur l’issue du scrutin. Parmi elles, le risque d’une ingérence russe dans l’élection, qui n’est pas pris à la légère par les Français. 58 % des personnes interrogées par la Fondapol estiment que l’État russe tentera de perturber le scrutin, notamment en diffusant de fausses informations.

Plus d’un tiers de ceux qui le pensent (37%) estiment par ailleurs que ces perturbations auront pour but de favoriser un candidat ayant la préférence du Kremlin, en particulier Marine Le Pen (45%), Éric Zemmour (40%) et Jean-Luc Mélenchon (20%).

La guerre met en effet en lumière les sensibilités pro-Poutine de plusieurs électorats et risque d’influencer certains choix. Environ 10% des personnes interrogées affirment avoir changé de favori en raison du conflit, mais cette proportion double (20%) chez ceux qui répondent que la situation comptera dans leur choix au premier tour. Si une grande majorité des répondants ont une opinion négative de Vladimir Poutine (88%), certains électorats seraient plus « sensibles au poutinisme » que d’autres, souligne la Fondapol : 22% des électeurs potentiels d’Éric Zemmour ont en effet une bonne image du président russe, tout comme 17% de ceux de Jean-Luc Mélenchon et 16% de ceux de Marine Le Pen.

Il est toutefois plus difficile pour les Français de suivre la campagne, car cette actualité internationale prend énormément de place dans les médias. 26% des répondants à l’enquête de la Fondapol affirment ne pas réussir à s’informer correctement sur les différents candidats et leurs propositions.

Le contexte international n’est cependant pas le seul responsable de ce manque d’informations. Près d’un tiers des personnes interrogées (29%) déclarent ne même pas chercher à se renseigner, car la campagne présidentielle ne les intéresse pas.

Enfin, cette présidentielle est décrite par la Fondapol comme révélatrice d’une crise française de la politique. La campagne ne parvient pas à enrayer un mouvement de désaffiliation partisane, avec 39% des électeurs qui ne déclarent de proximité avec aucun parti politique. LREM et le RN, les deux formations les plus populaires, suscitent chacune l’intérêt de seulement 10% des électeurs.

Le vote contestataire atteint quant à lui une ampleur inédite depuis la première élection présidentielle au suffrage universel direct en 1965. Au-delà de la nette progression des intentions de vote pour les candidats populistes de droite et de gauche, l’abstention et le vote blanc apparaissent également comme des avatars de cette protestation électorale.

La première raison avancée pour voter blanc ou s’abstenir est en effet que les différents candidats ne conviennent pas (30% des répondants), que la même politique est menée quel que soit le résultat du scrutin (24%) et en guise de protestation contre le système politique actuel (15%). Par ailleurs, 11% des Français envisageant de s’abstenir ou de voter blanc jugent qu’il n’y a plus de véritable campagne électorale à cause de la guerre en Ukraine.

Malgré le conflit, un thème a réussi à s’imposer comme le principal enjeu, pris en compte par une majorité de Français au moment d’aller voter (59%): le pouvoir d’achat. Cette thématique arrive en tête chez tous les électorats potentiels, à l’exception des sympathisants d’Éric Zemmour, pour lesquels c’est l’immigration qui prime (68%), et ceux de Yannick Jadot, qui s’intéressent en priorité au changement climatique (67%).

Le pouvoir d’achat pourrait même faire office d’étincelle, souligne Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol. « Ça peut être la cause qui mobilise les électeurs en faveur de la protestation », et notamment « ces Français qui auraient pu s’abstenir mais qui vont aller porter la protestation dans les urnes parce que leur situation se dégrade de façon réelle ».

Dominique Reynié précise que ces nombreux Français qui ne s’intéressent pas à la campagne présidentielle pourraient entrer dans le jeu politique « non pas pour choisir entre des programmes mais pour chercher le vote qui fera entendre leur mécontentement à l’égard du pouvoir d’achat ». Cette préoccupation des Français pour leur portefeuille serait un véritable « agent de mobilisation », qui risquerait à son tour de favoriser le vote contestataire.

Retrouver l’article sur figaro.fr

Dominique Reynié (dir.), 2022, présidentielle de crise, (Fondation pour l’innovation politique, avril 2022).

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