Covid, terrorisme : de crise en crise, Marine Le Pen attend son heure
Ivanne Trippenbach | 03 novembre 2020
Alternant critiques virulentes de la gestion sanitaire et esprit « constructif » sur le terrorisme, la présidente du Rassemblement national mise sur le temps long pour récolter le fruit des crises successives
Depuis la mi-octobre, Marine Le Pen a accordé trois interviews et publié un « cahier d’actions face au séparatisme islamiste ». Son socle électoral reste stable, mesuré à 18 % des voix au premier tour de 2022 par la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).
Trois petits tours et puis s’en va… Alors que la double crise, terroriste et sanitaire, lui offre un large espace d’expression, Marine Le Pen a choisi de doser ses apparitions. Ni trop, ni trop peu. « On laisse Ciotti et Estrosi en rajouter une louche et raconter leurs salades, expose Philippe Olivier, conseiller stratégique de la présidente du RN. Nous n’avons pas choisi la surenchère, mais la hauteur et la responsabilité. »
L’agenda de Marine Le Pen est allégé. D’abord parce qu’elle respecte une semaine d’isolement en tant que « cas contact » — elle n’a pas de symptômes, assure son entourage. Mais aussi par stratégie : pourquoi ramer quand les vents sont favorables ? La colère des petits commerces tourne à son avantage. Le RN réclame leur réouverture, dénonçant une « punition » et une « injustice économique et sociale ». Mais il fait le pari des urnes, pas de la désobéissance : artisans et commerçants constituent son foyer de potentiel électoral le plus important (50%).
Même logique sur le front régalien. Selon le baromètre Fiducial d’octobre, la défiance envers le gouvernement Castex atteint son paroxysme. Moins de 3 Français sur 10 ont confiance dans l’exécutif pour les protéger du terrorisme. Si aucun leader n’est perçu comme crédible face à la menace, Marine Le Pen est la première citée (31%) derrière Emmanuel Macron (32%). Elle est même en tête pour la lutte contre l’islamisme (44%), indique l’Ifop.
« Depuis des années, Marine met en garde contre les dangers de l’islamisme, l’ensauvagement de la société, la submersion migratoire… », commente l’eurodéputé Philippe Olivier. Le RN n’a plus qu’à rappeler les épisodes précédents. Dissoudre les associations séparatistes ? Au débat de 2017, Marine Le Pen plaidait pour dissoudre l’UOIF, proche des Frères musulmans. Expulser 231 étrangers radicalisés ? Elle réclame de longue date un « moratoire » sur l’immigration et l’expulsion des « étrangers et binationaux fichés S ». Ses propositions semblent prêtes à l’emploi, de la fermeture des frontières nationales à celle des mosquées radicales.
Faire mieux. Seul bémol : les Français ne considèrent pas que Marine Le Pen ferait mieux que le gouvernement actuel, ni contre l’épidémie, ni contre l’insécurité. Une question de dosage ? L’incarcération des Français fichés S signifierait emprisonnement à la volonté de l’exécutif, ce qui paraît peu réaliste… A l’inverse, l’idée phare d’une « législation de guerre » tombe un peu à plat. « Il existe déjà une juridiction spécialisée pour le terrorisme et une chaîne pénale qui bénéficie d’un cadre procédural dérogatoire avec un parquet national qui lui est dédié », répond Eric Dupond-Moretti lundi dans Le Figaro.
Qu’importe, puisque le message de fermeté, lui, est passé. « Si on dit ‘‘immigration’’, vous pensez à qui ?, illustre un élu frontiste. On a l’avantage. » Reste à « transformer la victoire idéologique en victoire politique », selon la formule consacrée dans l’état-major. Le parti a lancé une nouvelle campagne de recrutement « Je soutiens le RN face à l’islamisme ». Résultat : « Trois fois plus d’adhésions depuis quinze jours, dont la moitié de nouveaux adhérents », dit Jean-Lin Lacapelle, délégué national aux ressources, sans révéler le nombre.
Usure. A long terme, là encore, l’empilement des crises joue comme le meilleur allié de Marine Le Pen. Selon l’enquête de la Fondapol « 2022, le risque populiste en France », de nouveaux réservoirs de protestation émergent chez les CSP+, un électorat qu’elle rêve de conquérir. La défiance interpersonnelle, facteur clé du vote RN, croît. Et, parmi les mécontents de la gestion de crise de la Covid-19, une majorité de Français (55%) veulent avant tout éviter la réélection d’Emmanuel Macron face à elle. Seuls 38% préfèrent éviter celle de Marine Le Pen.
La patronne du RN en profitera-t-elle ? « Marine Le Pen a atteint un plafond de verre. Un Ménard est bien plus dangereux, estime un ministre. Elle veut incarner l’ordre donc elle ne va pas être celle qui crée le désordre. Elle n’est pas assez populiste. » Cette usure est réelle : près de la moitié des Français ayant voté pour Marine Le Pen en 2017 préféreraient que le RN présente un autre candidat en 2022. « Dans les périodes de troubles, le nom Le Pen est un signe de solidité, balaie toutefois Philippe Olivier. Le coup du jeune inconnu sémillant qui sort du chapeau, ça ne marchera plus. »
Mieux, tout viendra à point à qui sait attendre : « Nous vivons une dégradation lente, et ce n’est que le début. Demain, les attaques au couteau seront quotidiennes, les meutes seront lâchées dans la nature, ce sera le chaos et il faudra un gouvernement de sursaut », résume l’eurodéputé en fredonnant la chanson Quand on arrive en ville. « Tout c’qu’on veut, c’est être heureux »… Dans une France qui va de crise en crise, le refrain de Daniel Balavoine semble simple et attractif, comme un slogan populiste.
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