Démocratie sous tutelle ? Quand l’Europe se mêle dangereusement des élections en Italie

Rodrigo Ballester, Victor Delage | 24 septembre 2022

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a évoqué « les instruments » à la disposition de Bruxelles pour sanctionner d’éventuelles atteintes aux principes démocratiques de l’UE en cas de victoire de la coalition de droite lors des élections de ce dimanche en Italie.

Atlantico : « Si les choses vont dans une direction difficile, j’ai parlé de la Hongrie et de la Pologne, nous avons des instruments », a mis en garde la présidente de la Commission européenne en réponse à une question sur les élections de dimanche en Italie. Même si son porte-parole a précisé et nuancé les propos d’Ursula von der Leyen, à quel point est-ce une intrusion dans la politique italienne ?
Rodrigo Ballester : Ne tirons pas de conclusions trop catégoriques, il s’agit d’un extrait : elle n’a pas dit que cela, méfions nous des déclarations hors contexte. Mais tout de même, c’est une maladresse énorme d’ores et déjà interprétée comme une incitation à voter « comme il faut ». A deux jours du scrutin, c’est une bombe médiatique, le mal est fait. Mais au-delà du faux pas de communication, c’est également un lapsus révélateur, un aveu d’arrogance démocratique et oui, sans aucun doute une intrusion inexcusable et très probablement contre-productrice pour les intérêts bruxellois qui, secret de polichinelle, voient d’un mauvais oeil une possible victoire de la coalition de droite.
Mais ce qui me paraît plus grave, c’est que cet acte manqué dénote un tic autoritaire et anti-démocratique, par rapport à l’Italie, mais également la Pologne et la Hongrie et généralement contre les voix dissidentes, surtout si elles sont conservatrices. En outre, ces déclarations jettent un voile de suspicion sur le règlement de conditionnalité et le mécanisme de l’UE en matière d’Etat de droit. Rappelons que la Commission a le quasi monopole d’initiative pour poursuivre un Etat en manquement, elle jouit d’une discrétion absolue pour lancer une infraction… ou de ne pas le faire. Alors suggérer que cette marge de manoeuvre serait peut-être liée à des raisons purement politiques, même drapées d’arguments juridiques, c’est grave.
Victor Delage : Il est toujours utile de contextualiser une déclaration qui fait polémique : c’est en répondant à une question sur les élections italiennes à venir qu’Ursula Von der Leyen a prononcé ces mots, lors d’une visite jeudi soir à une université américaine. Il ne s’agit en rien d’une déclaration officielle ou d’une interview dans la presse, où chaque phrase est soigneusement étudiée. Il est donc possible de lui laisser le bénéfice du doute et de croire plus en la maladresse qu’à un quelconque calcul politique. Et ce d’autant que son porte-parole, le français Éric Mamer, s’est en effet empressé de justifier que la présidente de la Commission ne faisait aucunement référence à l’Italie.
Néanmoins, ce type d’incursion dans une campagne électorale nationale, qui n’est pas la première, interroge sur la légitimation démocratique. Chaque état démocratique européen repose sur trois principes fondamentaux selon le fameux précepte d’Abraham Lincoln : le gouvernement « du peuple, par le peuple, et pour le peuple ». Au niveau supranational de l’Union, incarnée par la Commission européenne et donc sa présidente, seule la gouvernance « pour le peuple » paix, puissance économique, rayonnement international… transparaît réellement aux yeux des Européens. La représentation des peuples par leurs chefs d’État et de gouvernement au Conseil de l’Union existe mais de manière sporadique et indirecte, tandis que le Parlement européen est souvent jugé nécessaire mais bien moins représentatif que les parlements nationaux. En aucun cas, la responsabilité de la Commission européenne ne peut être engagée et remise en cause électoralement, à la différence des gouvernements nationaux. Ce que les Italiens ne connaissent que trop bien pour l’expérimenter régulièrement dans leur pays. À la veille d’un scrutin essentiel, la déclaration d’Ursula Von der Leyen paraît aussi cavalière qu’inopportune.
Dans quelle mesure l’Union européenne est-elle familière avec ce genre d’implication dans la politique des États, et plus spécifiquement de l’Italie (en poussant pour la nomination de Mario Draghi par exemple) ?
Rodrigo Ballester : Ou surtout la nomination de Mario Monti en 2011, après la démission de Berlusconi poussé à la sortie par l’UE, Merkel et Sarkozy (les mémoires de Timothy Geithner, ex-secrétaire au Trésor américain à l’époque de la crise financière sont révélatrices). Monti était le portrait robot du technocrate compétent et bon teint, le « gendre idéal » de la bulle bruxelloise, respectable et respecté. Mais aux élections de 2013, il a plafonné à 10.5% des votes. Un camouflet pour tous ceux qui le promurent et un épisode qui a laissé des traces dans une Italie qui a beaucoup souffert de l’austérité. Le choix de Mario Draghi était plus consensuel et son gouvernement reposait sur une large coalition, sa nomination n’est pas perçue comme une ingérence.
D’autres exemples ? La Pologne et la Hongrie, bien entendu, surtout après les déclarations de Von der Leyen. En ce qui concerne la première, l’UE intervient dans l’organisation de son pouvoir judiciaire sans, à mon avis, un mandat clair. Concernant la Hongrie, la procédure en conditionnalité, déclenchée pour la première fois est également un bon exemple. Pour l’instant les pourparlers avec Budapest sont constructifs et circonscrits au champ d’application du règlement, mais le doute sur des arrières-pensée politiques de cette infraction demeure, surtout qu’elle fût annoncée littéralement trois jours après la victoire d’Orbán en avril dernier. Encore une énorme maladresse politique.
Victor Delage : La Commission n’en est pas à son premier fait d’arme avec les Italiens. Pas plus tard que début septembre, Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, affirmait dans les colonnes de La Repubblica : « Je ne connais pas de souverainistes qui ne soient pas anti-institutions européennes. Donc ce qu’ils disent aujourd’hui n’a aucune importance ». Ce type de discours semble périlleux pour au moins deux raisons.
Tout d’abord, au regard du programme commun de la coalition des droites, réunissant les partis Fratelli d’Italia, La Lega et Forza Italia, rien n’indique que celle-ci souhaite casser les institutions européens. L’article premier de leur programme est même consacré au soutien au projet européen, au respect des alliances internationales et à l’adhésion à l’Alliance atlantique. La coalition s’engage ainsi à adhérer au processus d’intégration européenne, et est favorable à une intégration politique plus forte dans l’Union européenne.
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