Dépense publique : la démagogie n’est plus si rentable
Erwan Le Noan | 25 mai 2021
Les économistes des politiques publiques, inspirés notamment par les travaux de William Nordhaus, ont montré qu’il existe un « cycle électoral » en économie : les élus ont tendance à opportunément accroître les dépenses à l’approche des élections. L’Insee a ainsi relevé qu’en 2019, soit un an avant les dernières élections municipales, l’investissement des collectivités locales avait augmenté « de 6,0 % en valeur dont 4,1 points pourraient être liés au scrutin de l’année suivante ». En clair : concentrés sur leur réélection, les responsables politiques arrosent les électeurs d’argent public quand s’approche l’échéance de leur mandat.
Le gouvernement se défend évidemment que ses annonces récentes puissent se rattacher à une telle dynamique. Il est donc parfaitement fortuit qu’il vienne de généraliser un « pass culture » de 300 euros (puis 500 euros en 2022), généreusement distribué à tous les jeunes de 18 ans sans condition de revenu – ou décidé de mettre en place un « pass sport » de 50 euros pour trois millions de familles.
Intrusion. La multiplication de ces mesures n’en reste pas moins révélatrice de l’intrusion de la puissance publique dans le quotidien des citoyens et, dans ces cas particuliers, jusque dans l’administration de leurs loisirs les plus intimes. Plutôt que de redonner durablement du pouvoir d’achat aux Français, par la croissance ou l’allègement de la fiscalité, l’Etat leur distribue des ressources publiques, à condition qu’ils les dépensent correctement, c’est-à-dire conformément aux objectifs du gouvernement.
Ainsi, le « pass culture » n’est pas valable sur Netflix ni Amazon et la part consacrée au numérique ne peut être supérieure à 100 euros – à croire qu’il existe une passion administrative pour la complexité. Surtout, toutes ces initiatives rappellent combien il est facile d’être généreux avec l’argent des autres.
Dans la dépense d’abord. Il est aisé et peu coûteux pour un exécutif de distribuer l’argent des contribuables : il peut en maximiser les gains politiques à court terme (en termes de popularité) sans avoir à en assumer les coûts (liés à la nécessité de lever un impôt supplémentaire ou de réduire d’autres dépenses).
Dans le prélèvement ensuite. Dans un contexte de crise et à l’approche des élections, repart le concours Lépine de la création d’impôt la plus ingénieuse. Or, force est de constater que ceux qui en appellent à la générosité des plus riches, rarement démunis eux-mêmes, sont généralement peu enclins à faire un don spontané de leurs propres ressources. Il est facile de garantir de faire financer ses promesses par les autres – la fortune d’autrui étant toujours plus facilement soupçonnée d’être entachée d’une forme d’illégitimité.
Il n’est cependant pas interdit de penser que cette facilité arrive à son terme. Conscients des forces de leurs services publics, les Français ont aussi constaté dans la crise les insuffisances d’une action publique mue uniquement par une logique de dépenses supplémentaires. Ils voient chaque jour également les contraintes d’une interminable peine fiscale.
Contrairement à ce que l’on entend souvent dans un discours qui consiste à douter de l’intelligence collective, la démagogie n’est peut-être plus si rentable en matière de dépense publique. Plus précisément, elle le restera aussi longtemps qu’aucune offre alternative ne prendra la peine de se formaliser pour proposer un projet alternatif. Candidats, à vos programmes !
Erwan Le Noan est partner du cabinet de conseil Altermind, membre du conseil scientifique et d’évaluation de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).
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