Dominique Reynié : "Il y a une série de grands sujets sur lesquels la gauche parle à une minorité"

Carine Bécard, Dominique Reynié, Éric Delvaux | 10 juin 2023

La question du grand entretien : pourquoi l'Europe est-elle en train de s'installer à droite ? Avec l'Espagne récemment, l'Italie, la Suède, la Finlande... Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, think-tank libéral, tente d'analyser cette tendance.

Pour le politologue, il y a une « lame de fond » de la droite sur l’Europe. « Elle est déterminée par des variables qui sont de longue durée : un vieillissement démographique, qui place les États-providence européens devant des questions redoutables de soutenabilité financière, et qui les appelle à réaménager leurs systèmes ; une confrontation de nos sociétés avec la question migratoire ; le réarmement militaire de nos sociétés ; le consensus sur le nucléaire… Il y a toute une série de grands sujets sur lesquels la gauche parle à une minorité des électeurs. »

« On a vu le moment où disparaissait la gauche communiste dans les années 80, maintenant nous voyons disparaître la gauche social-démocrate. Je ne vois plus un pays où la gauche social-démocrate est en train d’aller vers le pouvoir », observe Dominique Reynié. « L’effet de balancier, ça suppose des forces sociales et des situations historiques. Là, la démographie ne va pas de ce côté-là. »

« Les peuples ont besoin de délimitations »

Pour lui, la guerre en Ukraine a aussi accentué ce penchant des Européens vers la droite : « La question militaire devient centrale, donc il faut réarmer, accepter des budgets militaires plus importants… Il me semble qu’un certain pacifisme s’est plutôt situé à gauche, et il est pris aujourd’hui à contre-pied par une Histoire qui nous amène vers davantage de militarisation. »

« Les pays, les peuples, les communautés ont besoin de délimitations », assure le politologue libéral sur la question des migrations. « D’autant plus dans une situation historique où nous, Européens, ne dominons pas le monde. Nous sommes devenus la seule partie du monde où les frontières sont si poreuses, si simples à franchir. Le nationalisme tient aujourd’hui au fait que les Européens sont incapables de tenir, de défendre, et même d’aimer leur frontière commune. »

« La gauche a déserté la question du peuple »

Que pense Dominique Reynié de la montée, non seulement de la droite, mais surtout de l’extrême-droite, qui dans plusieurs pays a une influence croissante ? « C’est le cas dans le nord de l’Europe, en Italie, en Espagne… En France, le parti qui progresse vraiment, c’est le RN. Pourquoi ? Parce que la gauche a déserté », estime-t-il. « Elle a déserté la question du peuple, la question des conditions de soutenabilité de l’État-providence. Elle n’a pas su arbitrer entre la prétention de venir au secours social de l’universalité du monde, et la capacité morale et politique de réserver notre richesse nationale à la solidarité avec les nôtres. » Une forme de préférence nationale, en quelque sorte. « Nous ne pouvons pas faire tout ça si nous ouvrons les frontières. »

« Quels sont les programmes de gauche qui préconisent une politique stricte de contrôle de l’entrée dans le pays et une politique stricte d’immigration ? Comment la gauche s’est-elle fait voler son thème principal, le socialisme, la solidarité sociale ? », demande le penseur de droite. « La seule gauche élue et réélue en Europe, ce sont les social-démocrates danois » qui ont une politique très sévère sur la question de l’immigration.

Retrouvez l’entretien sur Franceinter.fr

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