Dominique Reynié: «La recomposition des droites pourrait se faire sans Les Républicains»

Dominique Reynié, Jean Cittone | 29 août 2022

Le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) dresse le constat des mutations politiques en cours.

Dominique REYNIÉ.– Lors du premier tour des élections législatives, l’abstention, le vote blanc et les votes protestataires, c’est-à-dire pour le RN, la Nupes, Reconquête !, Debout la France et les diverses extrêmes gauches et extrêmes droites, ont réuni 77 % des électeurs… Cela représente une augmentation de 11 points par rapport aux législatives de 2017, qui marquaient déjà le record (66 %) dans notre histoire électorale. La poussée de la protestation électorale est telle qu’elle menace la survie des partis de gouvernement, non seulement le PS et LR, mais aussi Ensemble!, dont la perpétuation dépendra de la capacité à prolonger le macronisme ou à le réinventer. Certes, les Français n’aiment pas les partis, mais dans ce siècle de défis et de périls, il y a urgence à rebâtir des formations capables de faire émerger des politiques raisonnables, soutenables, utiles au pays, de ne pas laisser la politique se perdre dans la démagogie et l’outrance.

Les Républicains peuvent-ils espérer tirer parti de cette situation?

À droite, les LR ressortent plus faibles encore de la présidentielle et des législatives de 2022 qu’en 2017. Cette déconfiture a lieu dans une France pourtant très majoritairement à droite, 57,7 % au premier tour de la présidentielle et 53,2 % au premier tour des législatives selon notre étude. Pour les LR, le problème est que la recomposition des droites pourrait se faire sans eux. D’un côté, avec le post-macronisme, car nous montrons que 62,7 % des électeurs d’Emmanuel Macron adhèrent à des valeurs de droite, de l’autre côté, le RN. À la présidentielle, le score de Marine Le Pen (23,2 %) est cinq fois supérieur à celui de Valérie Pécresse (4,8 %). Au premier tour des législatives, le vote RN a représenté la moitié des voix recueillies par les partis de droite, hors les macronistes et leurs alliés. Le RN domine la droite non macroniste. Les LR ne pouvant plus prétendre à la majorité, ils doivent donc arbitrer entre l’indépendance, peu ou prou l’impuissance et le rapprochement, c’est-à-dire le choix, crucial, entre la droite macroniste ou la droite RN.

La question des alliances sera-t-elle donc déterminante dans les années à venir?

Oui, et en ne jouant pas la carte d’une alliance type«Nupes de droite», qui les aurait placés sous la domination du RN, Les Républicains ont gardé une marge de manœuvre plus importante que celle du PS. Dans une France à droite, ils ont aussi plus de perspectives. Toutefois, ils n’ont pas la force d’agir seuls ni de dominer une alliance. Dix ans après avoir perdu le pouvoir, LR est à l’heure des choix: redevenir un parti de gouvernement en fortifiant l’aile droite de la coalition présidentielle, ou s’allier avec le RN en risquant le discrédit auquel conduit le registre protestataire. L’indécision serait fatale mais ce n’est pas simple, comme le montre notre étude: 77 % des électeurs d’Ensemble! au premier tour des législatives souhaitent une alliance de LR avec la majorité présidentielle ; mais, du côté des électeurs LR, 40 % souhaitent que le parti ne fasse pas d’alliance, 39 % en veulent une avec la coalition présidentielle et 20 % une alliance des droites LR-RN-DLF-Reconquête! à laquelle 55 % des électeurs RN sont favorables… mais 44 % opposés!

Les électeurs RN n’ont jamais été aussi nombreux qu’en 2022

Avec un score record à l’élection présidentielle et 89 députés à l’Assemblée nationale, le RN est-il en capacité d’accéder au pouvoir?

Les électeurs RN n’ont jamais été aussi nombreux qu’en 2022. Cela se voit aussi en termes d’opinion. Les idées du RN progressent. L’image du parti et celle de Marine Le Pen n’ont jamais été aussi bonnes. La moitié (47 %) des proches de LR disent leur accord avec les idées du RN qui trouvent aussi un soutien dans une partie de l’électorat de gauche. Marine Le Pen ne fait plus peur et le«front républicain»n’opère plus. En revanche, il demeure une sorte de«front monétaire», plus pragmatique mais plus efficace, l’idée selon laquelle l’accès du RN au pouvoir menacerait l’euro, c’est-à-dire le patrimoine matériel des Français. Seul un tiers (33 %) des électeurs considèrent que, présidente, Marine Le Pen aurait été capable de préserver l’euro, quand 60 % des électeurs créditent Emmanuel Macron de cette capacité. Le barrage au RN, c’est l’euro. De plus, nous voyons qu’en moyenne 32 % des électeurs du RN souhaitent que la France quitte l’Union européenne. L’abandon de ce thème serait donc coûteux. Mais cela semble nécessaire puisque seuls 18 % des électeurs adhèrent à ce projet de«Frexit», lequel ne convainc que 10 % des électeurs de la Nupes, 7 % des LR et 3 % d’Ensemble!. L’heure des choix concerne aussi le RN. Rester un parti«pas comme les autres», avec les bénéfices médiatiques et électoraux qu’apportent les postures «antisystème» faciles, ou s’institutionnaliser, se rallier à l’euro, et assumer l’inévitable décote électorale qui en découlerait, au risque d’ouvrir sur sa droite l’espace pour une nouvelle aventure protestataire concurrente.

Avec cette large droitisation de l’électorat et le morcellement de l’Assemblée, où se situe aujourd’hui le clivage politique?

Dans une France à droite, cela tourne notamment autour de la puissance publique, des libertés économiques et de la responsabilité individuelle. Voyez l’immigration, obstinément récusée comme thème légitime, elle préoccupe massivement: pour 63 % des électeurs, «la plupart des immigrés ne partagent pas les valeurs de notre pays et cela pose des problèmes de cohabitation». Cette opinion est majoritaire dans l’électorat d’Ensemble! (57 %) et de LR (69 %). En revanche, elle est minoritaire chez les électeurs de la Nupes (38 %). La crainte du«grand remplacement», que nous avons testée au lendemain du premier tour de la présidentielle, est très présente. Près de la moitié des électeurs (47 %) partagent l’évaluation selon laquelle «les populations d’origine étrangère finiront par être majoritaires en France». Ensuite, pour 56 % des électeurs, «les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment». Cette opinion est majoritaire chez les électeurs LR (68 %) et d’Ensemble! (69 %), mais elle est minoritaire au sein de la Nupes (36 %). Enfin, l’idée selon laquelle«il faut plus de libertés pour les entreprises et moins de contrôle de la part de l’État» est partagée par 50 % des électeurs. Elle est majoritaire chez les électeurs d’Ensemble! (63 %) et de LR (66 %), alors qu’elle est minoritaire au sein de l’électorat Nupes (32 %). À chaque fois, la ligne de clivage place du même côté Ensemble! et LR, la coalition des gauches (Nupes) se trouvant isolée, non seulement à distance d’Ensemble! et de LR mais aussi de l’opinion publique générale.

Lire l’article sur lefigaro.fr.

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.