ÉDITORIAL. « Revivre novembre 2015 »

Philippe Boissonnat | 04 septembre 2021

À partir du mercredi 8 septembre et jusqu’à la fin mai, la cour d’Assises spéciale de Paris juge les auteurs et complices des attentats parisiens de novembre 2015. Un procès nécessaire mais aussi une épreuve pour les proches des victimes. Et l’occasion pour le pays tout entier de démontrer sang-froid, dignité et cohésion.

Comment et pourquoi neuf hommes âgés de 20 à 31 ans, ont-ils pu ouvrir le feu à l’arme de guerre sur des dizaines de personnes dont ils ne savaient rien, à Paris un soir de novembre 2015 ? Sur les amateurs de foot du Stade de France. Sur des inconnus qui trinquaient en terrasse. Sur les spectateurs d’un concert de rock au Bataclan.

Ce soir-là, peu après minuit, on relevait le bilan le plus meurtrier sur le sol français depuis 1945 : 130 morts et 413 blessés hospitalisés. Sans compter les milliers de victimes indirectes : proches et parents, témoins accidentels, services de sécurité et de secours impliqués. Tous marqués à vie par ce carnage.

« Qui, comment et pourquoi ? » La justice a prévu plus de 250 jours d’audiences, neuf mois, pour répondre à ces questions à partir de mercredi. Le dispositif est à la mesure de l’attentat : hors du commun. Sur l’île de la Cité, le Palais de justice a été entièrement réaménagé pour accueillir plus de 1800 parties civiles et 350 avocats.

Sur le banc des accusés, ils seront quatorze. Pas les commanditaires du groupe État islamique (Daech), réputés morts en Syrie ou en Irak depuis les attentats. Pas les neuf auteurs directs des assassinats du 13 novembre, tués le soir même ou dans les heures qui ont suivi. Mais quatorze hommes accusés d’avoir préparé les explosifs, fourni les armes, trouvé logements et véhicules pour les tueurs. L’un d’entre eux, Salah Abdeslam, frère d’un des membres des commandos, a convoyé les kamikazes jusqu’au Stade de France avant d’être arrêté en Belgique. Devant les enquêteurs, il avait reconnu avoir porté une ceinture explosive ce soir-là. Il se mure depuis dans le silence.

Pas sans risques

Ce procès n’est pas sans risques. Première crainte légitime : qu’il stimule de nouveaux attentats. On l’a vu l’automne dernier, lors du procès des tueries de Charlie Hebdo et de l’Hypercacher. Tandis qu’il se tenait, d’autres attentats ont eu lieu, dont l’assassinat du professeur Samuel Paty. Mais quoi ? Faudrait-il renoncer à rendre la justice parce que les terroristes sont avides d’échos médiatiques, et d’autant plus que leur violence aveugle est ultra-minoritaire ? Évidemment non. Hélas, les récents attentats de Rambouillet et la Chapelle sur-Erdre suffisent à rappeler qu’indépendamment de tout contexte judiciaire le risque zéro n’existe pas en matière de terrorisme.

Le second risque est celui de l’exploitation du procès pour stimuler toutes les outrances et toutes les confusions à l’égard de l’Islam. Le contexte s’y prête : la crise sanitaire qui exacerbe les tensions ; la campagne présidentielle qui incite aux phrases chocs pour se démarquer ; le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan qui fait craindre une nouvelle crise migratoire dans une Europe profondément divisée sur le sujet. En novembre 2019, la Fondation pour l’innovation politique avait publié une étude sur la violence islamiste dans le monde. Elle ne confirmait pas seulement que le terrorisme islamiste était depuis 2013 la cause principale des morts par terrorisme dans le monde. Elle rappelait aussi qu’à 90 %, les musulmans en étaient les premières victimes.

À la veille de ce procès qui va nous conduire à regarder de nouveau en face ces heures d’effroi, à écouter attentivement ce que victimes, accusés, avocats et magistrats ont à dire, il importe de ne pas perdre de vue que l’objectif majeur des tueurs et de leurs complices est de dresser les communautés les unes contre les autres et de dissoudre le fragile ciment qui permet de faire société et de ne pas vivre dans la haine ou la peur. Ne leur donnons pas cette victoire.

Lisez l’article sur ouest-france.fr.

Dominique Reynié (dir), Les attentats islamistes dans le monde 1979 – 2019, (Fondation pour l’innovation politique, novembre 2019).

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