Édouard Philippe et l’accord franco-algérien de 1968 : le tabou devenu totem

Etienne Girard | 06 juin 2023

La position d’Édouard Philippe sur l’accord migratoire franco-algérien traduit un lent basculement de la classe politique depuis Jacques Chirac.

« Ah, c’est intéressant. » Au téléphone, Xavier Driencourt a l’intonation de ceux qui ont obtenu satisfaction. L’ex-ambassadeur de France en Algérie, de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020, vient d’apprendre qu’Edouard Philippe souhaite « remettre en cause » l’accord franco-algérien de 1968. Soit l’idée que le diplomate défend depuis trois ans.

Le 14 juillet 2020, il a adressé un courrier confidentiel à cinq conseillers de l’Elysée et du Quai d’Orsay, dont Emmanuel Bonne, le conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron. Une sorte de testament, au crépuscule de sept ans à Alger, dans lequel l’ambassadeur penchait pour… la renégociation de cet accord. Le 22 mai 2023, Xavier Driencourt a persévéré, publiquement cette fois. Il a signé une note pour la Fondation pour l’innovation politique appelant à « dénoncer » l’accord de 1968. Un texte qu’il a « fait passer à Gilles Boyer », député européen et meilleur ami d’Edouard Philippe. Cette initiative, doublée d’un entretien au Point, a semble-t-il percuté l’aggiornamento profond du maire du Havre sur les sujets régaliens.

L’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 octroie aux Algériens des conditions d’immigration favorables en France. Tout Algérien qui obtient un emploi bénéficie d’un permis de séjour de cinq ans, qui ne peut être retiré sauf pour fraude ; le regroupement familial est facilité, exempté de conditions d’intégration et de respect des valeurs de la République ; les Algériens sans papiers sont automatiquement régularisés au bout de dix ans de résidence. En clair, les dispositions générales des lois sur l’immigration ne leur sont pas opposables, et ce sera encore le cas du projet de loi dit Darmanin, prévu pour l’automne. A l’origine, ce « privilège », comme le quotidien Echorouk, le plus lu d’Algérie, a nommé cette situation, était tout à fait assumé.

Dans les derniers mois de la France gaulliste, il s’agissait d’encourager les Algériens à venir travailler en France. Certes moins dérogatoire que les accords d’Evian de 1962, qui prévoyaient une liberté de circulation totale des Algériens en France, cet accord du 27 décembre 1968 matérialisait le « partenariat d’exception » entre les deux pays, que vantera Jacques Chirac trente-cinq ans plus tard.

Le rire de Defferre

Dans un premier temps, les dirigeants français ont eu la tentation d’approfondir cette relation particulière. Au début des années 1980, Yves Bonnet, alors patron très algérophile de la Direction de la surveillance du territoire (DST), les services secrets intérieurs, propose même au ministre de l’Intérieur Gaston Defferre, dans une conversation informelle, d’entamer des négociations afin d’accorder la liberté de circulation dans les deux pays aux journalistes, aux médecins, aux avocats. Un mini-accord d’Evian. Defferre éclate de rire. Trop audacieux. C’est avec la même abnégation optimiste que Jacques Chirac propose, en 2004, un traité d’amitié franco-algérien. Le projet achoppe en raison d’une loi du 23 février 2005 sur l’indemnisation des harkis, laquelle souligne, à la suite de manœuvres de l’aile droite de l’UMP, « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Un casus belli absolu pour Alger.

L’époque a changé. A la droite d’Emmanuel Macron, une partie de la classe politique a basculé. Avant Edouard Philippe, Marine Le Pen, bien sûr, mais aussi Eric Ciotti ont appelé à la dénonciation de l’accord de 1968. Dès le 13 avril 2012, Nicolas Sarkozy, en campagne pour sa réélection, proposait sur Itélé de « renégocier un certain nombre d’accords avec des pays amis ou voisins ». « Je pense notamment à l’Algérie », ajoutait-il, sans évoquer les accords d’Evian, comme le lui soufflait son conseiller Patrick Buisson.

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