Immigration: Édouard Philippe contre les «non-dits»

Guillaume Tabard | 05 juin 2023

ANALYSE - Le président d’Horizons a jeté un pavé dans la mare en allant sur un terrain sur lequel on ne l’attendait pas forcément en priorité.

Il y a loin du Mont-Saint-Michel à l’Algérie. Il y a loin, très loin, de la question de la préservation du patrimoine religieux à celle de l’immigration. Et c’est un pur hasard qu’Édouard Philippe dévoile, dans L’Express, ses propositions sur la plus brûlante des questions d’actualité au moment où Emmanuel Macron réfléchit sur «les siècles qui s’enchâssent» et qu’il faut «considérer avec humilité». Des siècles d’écart, et pourtant, c’est aujourd’hui sur un même sol que se pose la question de l’identité française, de ses permanences et de ses ruptures ; que se produit un choc entre les fondements culturels et spirituels de notre histoire et de ses apports ou remises en question récents.

Ainsi, dans L’Express, l’ancien premier ministre n’hésite pas à pointer ce qu’il appelle une «immigration du fait accompli» ; une formule qui va au-delà du constat d’une immigration «subie». Rappelant que le nombre d’étrangers ne cesse de progresser en France et que ceux-ci viennent désormais à 47 % d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, le président d’Horizons jette un pavé dans la mare en allant sur un terrain sur lequel on ne l’attendait pas forcément en priorité. Avec, certes, un «style» Philippe qui renvoie dos à dos le déni de réalité et la démagogie.

Philippe fait sauter un tabou

«Refuser les postures ne veut pas dire refuser certaines ruptures quand elles sont nécessaires », dit-il. Et, en matière de rupture, il en défend une de taille: la remise en cause de l’accord de 1968 avec l’Algérie. C’est une audace majeure non seulement sur le plan de la politique migratoire, mais aussi sur celui des relations diplomatiques.

Ce n’est pas Édouard Philippe qui a soulevé le premier la question de cet accord signé le 27 décembre 1968, six ans après les accords d’Evian, et qui offre aux ressortissants algériens un statut dérogatoire au droit commun. Ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt a rédigé une note détaillée pour la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) expliquant en quoi cet accord rendait illusoire tout contrôle des flux en provenance d’un pays qui compte près de 900.000 ressortissants en France. De LR au RN en passant par Reconquête!, le flanc droit de l’échiquier cible depuis longtemps cet accord, mais c’est la première fois que ce tabou est levé par un des premiers leaders de la macronie, prétendant à la prochaine présidentielle de surcroît. Le temps où Alain Juppé, premier mentor de Philippe, jonglait avec le concept d’«identité heureuse» semble lointain. Le maire du Havre prétend maintenant prendre de face tous les «non-dits» du débat sur l’immigration: l’intégration, le travail, et l’islam, devenu «un sujet central, un sujet inquiétant, un sujet obsédant».

Philippe approuve le projet Darmanin, mais le trouve «insuffisant» et comprend les alarmes de LR en refusant de les suivre sur la révision de la Constitution ou la redéfinition de l’AME. Sur l’ensemble des outils de la politique d’immigration, ses solutions restent prudentes. Rien qu’avec sa dénonciation de l’accord avec l’Algérie, l’ancien premier ministre fait sauter un tabou. Sa prise de position va-t-elle ranimer et orienter le débat sur l’immigration qui menace d’être figé par le bras de fer entre l’exécutif et LR?

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