La France se droitise
Robin Verner | 30 août 2022
L'enquête conduite par la Fondation pour l'innovation politique et mise en ligne lundi soir par Le Figaro montre tout à la fois la montée en puissance de gestes électoraux traduisant une forme de colère - de l'abstention au vote dit "protestataire" - et une droitisation de la société. Notre éditorialiste politique, Mathieu Croissandeau, a livré son analyse en plateau ce mardi matin.
Oeuvre de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) – en partenariat avec le Cevipof et l’institut OpinionWay- et publiée lundi soir par Le Figaro, l’étude annonce la couleur dès son titre: Mutations politiques et majorité de gouvernement dans une France à droite. Car l’enquête de Fondapol pointe en effet le basculement d’une part de plus en plus grande des Français vers la droite – du point de vue du suffrage mais aussi des préoccupations et des valeurs – et dépeint un pays progressivement gagné par une forme de défiance voire de colère.
Le vote protestataire progresse mais maintient le flou
Le sondage peut se prévaloir de deux atouts principaux. D’une part, il a été réalisé entre avril et juin 2022 donc parallèlement aux scrutins présidentiel puis législatif, et dans ce climat hautement politique. D’autre part, il s’est fondé sur les réponses de trois cohortes de sondés, fortes de plus de 3000 personnes chacune.
Avant d’examiner les idées professées par ces panels, l’enquête formule quelques observations arithmétiques. Au premier tour de la dernière présidentielle, les scores cumulés de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour ont livré une somme de 52,17% des votes exprimés. De surcroît, un comparatif mettant en balance le 21 avril 2002 et le 10 avril 2022 expose un essor des votes considérés comme protestataires entre ces deux premiers tours, avec un total passant de 29,6% à 55,6%. La « protestation électorale » – pour reprendre une expression des sondeurs – a même grimpé à 76,86% des suffrages du premier tour des dernières législatives contre 65,95% lors de la même phase du scrutin de 2017.
Il convient toutefois de relever que la notion de « vote protestataire » n’a rien de consensuel. Tout d’abord, parce que l’idée de contestation semble éclipser l’adhésion. De plus, la catégorie agrège des démarches électorales ou des sympathies politiques qui n’ont rien de subversif pour d’autres observateurs. Par exemple, les bulletins accordés à la Nupes ont été versés au total de la protestation, de même que ceux destinés au RN, que les votes blancs, le taux d’abstention etc.
« Trois Français sur quatre » veulent « renverser la table »
Tout de même, l’étude est riche d’enseignements. Notre éditorialiste politique, Matthieu Croissandeau l’a souligné ce mardi matin sur notre plateau: « On voit bien une montée de la radicalité, de la colère, des gens qui veulent changer de système et renverser la table. Si on y ajoute pour les législatives, l’abstention et le vote blanc, là c’est trois Français sur quatre qui ont fait le choix de la protestation ».
Si c’est toute la France qui hausse le ton, le rouge vient plus facilement à certaines joues qu’à d’autres. En effet, la protestation progresse plus rapidement à droite (avec un bond de 5,2 points entre 2017 et 2022) qu’à gauche (avec un crescendo de 2,1 points).
Les idées de droite se diffusent
Un phénomène qui dépend aussi de la loi des grands nombres. Il faut dire que d’après Fondapol, le peloton des Français de droite ne cesse de s’étoffer. En additionnant tous les votes dévolus à la droite ou à l’extrême droite au premier tour de la récente présidentielle – et en leur ajoutant les 47% d’Emmanuel Macron déclarant partager cette sensibilité – le sondage en arrive à un capital représentant 53% des suffrages exprimés.
Naturellement, il ne s’agit pas seulement d’un papier glissé dans une urne. La dynamique est aussi une question idéologique. « Il y a un paradoxe. On entend beaucoup la gauche depuis les législatives mais en fait on voit que ce sont les idées de droite voire d’extrême droite qui progressent », a remarqué notre éditorialiste Matthieu Croissandeau.
« 63% des électeurs pensent que les immigrés ne partagent pas les valeurs de notre pays ou posent des problèmes de cohabitation, 56% que les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient et 50% qu’il faut plus de libertés pour les entreprises et moins de contrôle de l’État », a-t-il détaillé.
Succès d’estime pour le RN
Ce « glissement à droite de la société » et la montée des tensions dans les têtes dont parlent les sondeurs expliquent d’ailleurs le vent croissant dans les voiles du Rassemblement national, tandis que la panne sèche des Républicains s’éternise et que la gauche est numériquement en mauvaise posture.
L’enquête de Fondapol établit d’abord qu’en-dehors d’Europe Ecologie – Les Verts, aucune formation politique n’a une image plus positive auprès des Français, avec un niveau de 25%. De surcroît, 39% des sondés disent leur accord avec les idées défendues par le Rassemblement national. Un succès culturel qui ne peut que trouver une traduction sociologique plus ample.
« Les niveaux d’opinions favorables au RN sont désormais élevés dans toutes les catégories sociales, et non plus seulement au sein des catégories populaires », pose l’enquête.
« On est dans une forme de normalisation voire de notabilisation pour le parti de Marine Le Pen. Il progresse partout: dans les villes de plus de 100.000 habitants, sauf Paris, chez les professions intermédiaires, les cadres », a encore précisé notre éditorialiste à la lecture de l’étude. Le taux des cadres ayant voté pour le Rassemblement national est ainsi passé de 5 à 13% entre les premiers tours des législatives 2017 et 2022.
Clémence grandissante pour Marine Le Pen
L’embellie du Rassemblement national s’accompagne de jugements de plus en plus cléments pour Marine Le Pen. Ils ne sont plus que 29% des Français à la placer à l’extrême droite, et 31%, même, au sein de la droite modérée. C’est aussi le cas de 46% des sympathisants du Rassemblement national, tandis que 61% des partisans des Républicains continuent à la tenir pour une personnalité d’extrême droite.
Par ailleurs, 36% des sondés se disent « favorables ou très favorables » à Marine Le Pen. Certes, ils sont 53% à maintenir leur opposition. Mais cette hostilité atteint 61% et 57% du côté, respectivement, de Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron.
Elle se hisse encore à la deuxième place des candidatures les plus espérées par les Français à la prochaine présidentielle – 38%. On remarque d’ailleurs que dans ce classement dominé par Édouard Philippe et ses 44%, la droite se taille la part du lion. Bruno Le Maire, jaugé à 27%, complète le podium. Seuls deux prétendants de gauche se glissent dans les dix premiers: Jean-Luc Mélenchon qui, avec 26% de nos compatriotes lui souhaitant d’accomplir un tour de piste supplémentaire, prend la quatrième place, et Bernard Cazeneuve, dixième, du haut de ses 17%.
Les données d’opinion ont été produites par une série de trois enquêtes successives, initiée et réalisée dans le cadre d’un partenariat associant la Fondation pour l’innovation politique, le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) et le Centre d’études et de connaissance sur l’opinion publique. Les trois vagues ont été administrées par l’institut OpinionWay. Chacune de ces trois enquêtes a été menée auprès d’un échantillon de plus de 3000 personnes inscrites sur les listes électorales et représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas, au regard des critères de genre, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, de catégorie d’agglomération et de région de résidence.
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Dominique Reynié (dir.), Mutations politiques et majorité de gouvernement dans une France à droite, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2022.
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