« Le XXIe siècle du christianisme » : au temps des désenchantements

Florent Georgesco | 18 juin 2021

L’ouvrage collectif, sous la direction de Dominique Reynié, propose une passionnante exploration des possibles pour l’aire chrétienne.

Selon une étude du think tank américain Pew Research Center, 84 % de la population mondiale revendiquait une affiliation religieuse en 2017. L’idée d’une sortie progressive du religieux, croyance ancienne et longtemps structurante, s’éloigne. Elle peut même faire figure d’incongruité en un temps aussi marqué que le nôtre par l’affirmation identitaire religieuse – de la Pologne à la Birmanie, en passant par la Turquie ou l’Inde –, le djihadisme mondialisé ou l’essor des évangélistes en Amérique latine ou aux Etats-Unis, phénomènes sans commune mesure mais qui convergent vers cette évidence : il n’est pas possible de penser le XXIe siècle sans placer la foi religieuse au centre de l’analyse.

Etats des lieux et études transversales

C’est ce à quoi s’emploient, pour l’aire chrétienne (31 % des croyants, selon la même étude), les auteurs réunis par Dominique Reynié dans Le XXIe siècle du christianisme, recueil de neuf longues enquêtes menées sous l’égide de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), que dirige le politiste. A des états des lieux abondamment documentés sur chaque confession chrétienne répondent des études transversales, en particulier sur le rôle que peuvent jouer les chrétiens dans des sociétés laïques, l’ensemble dessinant un tableau d’une ampleur et d’une précision exemplaires. L’approche encyclopédique n’épuise cependant pas l’intérêt du livre, qui se révèle en outre une passionnante exploration des possibles dont la situation décrite est porteuse.

Bertrand Badie et Pierre Birnbaum relevaient, dans Sociologie de l’Etat (Grasset, 1979), les liens entre l’Etat de droit sur lequel reposent les démocraties libérales et « la profonde disjonction » pratiquée par le christianisme « entre le temporel et le spirituel ». Or si ce principe de séparation des Eglises et des Etats, notent Philippe Portier et Jean-Paul Willaime, a été passablement occulté dans l’histoire du christianisme au profit d’une vision « organiciste » de la société, il n’en représente pas moins une singularité chrétienne qui, rappelle Dominique Reynié, découle des Evangiles – « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jean 18,36). Et, de fait, la promesse d’autonomie qu’elle contient a créé entre la modernité des Lumières et le christianisme des « affinités électives », selon le mot de Max Weber.

Remise en cause

Mais, pour être séparés, encore faut-il savoir exister seul, et cela ne va plus de soi quand la place de l’Etat est partout remise en cause. Crises de la légitimité et de l’autorité débouchent sur une étape imprévue de la sécularisation où, non seulement le spirituel, s’il est loin de disparaître, n’exerce plus de tutelle sur la société, mais « où les promesses séculières sont elles-mêmes désenchantées », soulignent Portier et Willaime.

Les religions, dès lors, deviennent un refuge séculier, et l’on se retrouve devant ce paradoxe que plus le fait religieux prospère, plus le christianisme est ébranlé en tant que religion de la séparation – ce qui se traduit, pour une partie de ses fidèles, par le réveil d’une tentation théologico-politique analogue à celle qui traverse l’islam ou l’hindouisme. « Une situation historique saisissante » pourrait sortir de ce double affaiblissement du temporel et du spirituel, écrit Dominique Reynié. Nous aider à mesurer ce que nous y perdrions n’est pas la plus petite leçon de ce livre indispensable.

 

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Dominique Reynié (dir.), Le XXIe siècle du christianisme, (Fondation pour l’innovation politique, mai 2021).

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