« Les élus locaux ont un rôle essentiel dans le soutien à notre industrie du jeu vidéo »
Julien Millet, Loïse Lyonnet | 11 septembre 2023
Loïse Lyonnet, co-auteure de l’étude « L’industrie française du jeu vidéo : de la French Touch à la French Pride » publiée en juillet dernier à la Fondation pour l’innovation politique et Julien Millet, président du cluster vidéoludique de la région Auvergne-Rhône-Alpes, GameOnly, et co-fondateur du studio United Bits Games, appellent les élus locaux, dans une tribune à La Gazette, à changer de regard sur l'industrie du jeu vidéo pour y voir sa dimension territoriale (emplois pérennes dans tout le territoire, pôles de développement dynamiques, rayonnement international à partir de talents locaux,...).
Qu’il s’agisse d’un jeu de simulation de course sur téléphone mobile, d’une aventure épique sur console ou d’une partie de carte sur ordinateur, le jeu vidéo sous toutes ses formes a su peu à peu séduire toutes les classes d’âges. Il est désormais le premier loisir des Français, avec des bilans annuels record.
« Une industrie fortement territorialisée »
Plus de 5,5 milliards de chiffre d’affaires en 2022 en France, dont la majorité à l’international, générant de la richesse et de l’emploi localement, des écoles fortement plébiscitées par les jeunes, 18 000 emplois pérennes répartis dans le pays tout entier dont 80% des effectifs en CDI… Au-delà des frontières, le jeu vidéo français fait rayonner notre culture aux quatre coins de la planète. Les chiffres donnent le tournis.
Pourtant, les acteurs de l’industrie du jeu vidéo ont les pieds solidement ancrés dans le sol. Loin de l’image parisiano-centrée de la plupart des industries culturelles et du secteur de la technologie, l’industrie vidéoludique est une industrie fortement territorialisée. On a tendance à l’oublier. Source d’emplois pérennes dans l’ensemble du pays, son dynamisme s’accompagne d’un solide réseau d’écoles qui forment les talents français du jeu vidéo, réputés dans le monde entier.
Plusieurs pôles de développement – les clusters – maillent le territoire national. Ils entraînent dans leur sillage l’ensemble des studios et entreprises vidéoludiques implantés dans les environs. Relais auprès des pouvoirs publics, ces clusters ont des missions stratégiques d’animation et de structuration des acteurs du jeu vidéo au sein d’un territoire, permettant de consolider leur ancrage local.
« De grandes disparités de soutien public »
En France, certaines collectivités pionnières ont déjà fait le pari du jeu vidéo. Subventions publiques, prêt de matériel, mise à disposition d’infrastructures, mise en relation avec le réseau économique local, soutien à l’ouverture d’une école, intégration aux pépinières d’entreprises… Ces aides publiques bienvenues peuvent prendre des formes diverses.
A rebours, on constate encore aujourd’hui de grandes disparités de soutien public en fonction du degré d’implication des élus et du volontarisme dont font preuve les différents échelons territoriaux. Dans certaines collectivités, l’industrie vidéoludique et ses acteurs ne sont toujours pas identifiés de manière claire comme objets de développement économique, social et territorial et donc d’intérêt public.
Afficher son soutien au jeu vidéo représente permet pourtant de toucher une large audience. Les jeunes, d’abord, dont l’immense majorité enrichit les rangs des joueurs réguliers. Mais la sociologie des adeptes de la pratique du jeu vidéo s’est rapidement diversifiée. Aujourd’hui, un joueur sur deux est une femme, 7 Français sur 10 jouent occasionnellement et l’âge moyen d’un joueur est d’environ 39 ans. Enfin, la tendance s’est aussi solidement implantée chez les séniors, puisque 40% des plus de 60 ans jouent aux jeux vidéo.
Politiques d’attractivité, consultation citoyenne
Le soutien à l’innovante industrie du jeu vidéo ouvre également de nouvelles pistes en matière de politiques d’attractivité, permettant aux différents échelons d’en tirer un bénéfice d’image. Certains y voient déjà le nouveau levier 2.0 du marketing territorial, générateur de visuels originaux tout en étant porteur de sens.
Une manière originale de mettre en scène de manière innovante et ludique un territoire, sa gastronomie, son architecture, ses curiosités locales, voire même son patois grâce à l’usage de quelques sous-titres ! Pensons par exemple au jeu vidéo d’aventure Dordogne, du studio bordelais Un Je Ne Sais Quoi, dévoilé en juin dernier : une jeune femme explore ses souvenirs d’enfance, retrouve le marché local, navigue en kayak et visite les grottes périgourdines. Pensons également au projet Albicraft, dont était à l’origine Kevin Mazars, qui a permis la reproduction de la ville d’Albi dans le jeu Minecraft.
Enfin, le jeu vidéo apporte avec lui de nouvelles manières de faciliter la consultation citoyenne pour mieux intégrer la voix des habitants aux grands projets d’aménagements locaux. C’était d’ailleurs tout le sens de la plateforme de concertation citoyenne IWA développée sous forme de jeu vidéo en 2017 par l’agence Digiworks pour accompagner les collectivités.
Face à cette réalité incontestable, les élus locaux, forts de leur connaissance intime de leur territoire, se doivent d’être les principaux moteurs du soutien à l’industrie vidéoludique française. En favorisant la création et les talents locaux, ils participent activement à la production de jeux qui reflètent la diversité et la richesse de notre culture. Le jeu vidéo n’est pas seulement un loisir ; il est un puissant levier d’attractivité et de rayonnement international pour nos régions. Il est temps de reconnaître sa valeur, de comprendre son potentiel et d’agir en conséquence. Aux élus de saisir cette opportunité, de porter un regard neuf sur cette industrie, et de mener une politique audacieuse pour donner un nouvel élan au secteur vidéoludique français. Le moment est venu d’agir et d’investir dans notre avenir numérique.
Retrouvez l’article sur lagazettedescommunes.com
Loïse Lyonnet et Pierre Poinsignon, L’industrie française du jeu vidéo, Fondation pour l’innovation politique, juillet 2023.
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