Les low-costs seront encore plus puissants

Bertille Bayart, Emmanuel Combe | 23 avril 2021

Auteur fin 2020, avec Didier Bréchemier, d’une étude pour la Fondapol sur le transport aérien en Europe avant et après la crise du Covid, l’économiste Emmanuel Combe analyse les défis du secteur.

Le Figaro – Air France-KLM a bouclé sa recapitalisation. La compagnie est-elle ainsi en mesure d’affronter la crise sanitaire qui perdure ?

Emmanuel COMBE. – La crise du Covid et l’effondrement du trafic n’ont laissé d’autre choix aux gouvernements français et néerlandais que d’accorder des prêts à Air France et KLM, avant cette augmentation de capital aujourd’hui. Il s’agit d’une consolidation nécessaire pour que l’entreprise puisse faire évoluer son modèle. Mais la crise du Covid n’est pas seule en cause. Avant la pandémie, même si elle était profitable dans un contexte très porteur, Air France affichait déjà une situation financière fragile du fait d’un endettement significatif et de faibles réserves de liquidités, sans même parler du problème structurel de rentabilité de son réseau court et moyen-courrier.

L’intervention de l’État était-elle inévitable ? Pourquoi une compagnie aérienne, fût-elle un pavillon national, ne pourrait-elle pas faire faillite ?

E. C. – C’est un choix politique en effet et il ne m’appartient pas de le discuter. Il est, me semble-t-il, légitime aux yeux de beaucoup de Français. L’aide massive dont a bénéficié Air France-KLM a sauvé le groupe d’une faillite certaine. C’est certes atypique, mais pas unique. En Europe, Lufthansa, autre compagnie historique en difficulté, a obtenu un soutien massif du gouvernement allemand. C’est moins vrai pour IAG, qui a reçu des aides au travers de ses filiales Iberia et Vueling. Dans cette crise, tout le monde, compagnies historiques comme low-cost, a procédé à des ajustements plus ou moins violents – baisse des rémunérations, réductions d’effectifs et de la flotte, et parfois fermetures de bases. Mais ce qui est clair, c’est que les opérateurs low-cost y sont entrés moins endettés et avec plus de réserves que les compagnies historiques. Ils en sortiront encore plus puissants qu’avant et passeront à l’attaque. Cela met Air France-KLM au pied du mur, face à ses problèmes du passé et face aux défis de l’après-Covid.

Les problèmes d’avant, pour Air France-KLM, se concentrent sur les court et moyen-courrier ?

E. C. – Oui. C’est un foyer récurrent de pertes. La restructuration de Hop au profit de Transavia entend y remédier. Mais la question reste celle du rythme et de l’ampleur de ce mouvement vers le middle-cost. Air France devra se poser la question du transfert des lignes domestiques radiales vers Transavia et de l’alimentation future du « hub » de Roissy. Il faut comprendre l’enjeu : aujourd’hui Air France tient encore bien son marché domestique au départ de Paris et dispose d’un trésor, Orly, où les créneaux disponibles sont rarissimes. En revanche, au départ de la province vers l’Europe, la compagnie est clairement en difficulté face aux low-costs. N’oublions pas que, pour ces dernières, la France reste une terre de conquête.

Que faut-il à Transavia pour relever le défi ?

E. C. – Des avions et des bases. Le tabou du nombre d’avions est tombé ; mais songez qu’il aura fallu attendre 2020 pour qu’il y ait un accord visant à déplafonner le nombre d’avions chez Transavia ! Transavia dispose d’une base de coût au siège kilomètre comparable à celle d’Easyjet – mais elle ne dispose pas encore de la taille critique pour rivaliser avec la flotte d’un leader du low-cost. De plus, une compagnie qui veut avoir une ambition européenne se doit d’être présente également en bout de ligne. Donc, Transavia devra se poser la question des bases en Europe, comme le font déjà ses concurrents. Le sujet reste à ce stade assez tabou.

Au-delà de la chute du trafic, quels défis se poseront après la crise sanitaire ?

E. C. – Deux défis énormes s’imposent à tous les acteurs de l’aérien. Le premier, c’est l’attention des clients aux questions environnementales. Les compagnies devront rendre des comptes et donner les preuves de leur engagement. Compenser en partie les émissions ne suffira plus, il faudra les réduire. Or, qui dit bilan carbone, dit flotte renouvelée, donc moyens financiers. Aujourd’hui, ceux qui ont les moyens ce sont les low-costs comme Wizz Air et Ryanair, qui a d’ailleurs saisi l’occasion de la crise pour passer une commande d’avions vraisemblablement à bas prix. Le deuxième défi, c’est celui du long-courrier. La clientèle affaires, la plus rentable, risque de voyager moins. Il faut donc réinventer le modèle pour une clientèle plus touristique, dont le choix est plus guidé par le prix et moins par le temps gagné. Quel est le risque ? Une nouvelle division du travail entre spécialistes : les low-costs européennes et les compagnies long-courriers. On va voir se développer des accords de connecting, qui permettront à un voyageur de Bordeaux d’aller à Rome avec Ryanair pour prendre ensuite un long courrier d’une compagnie extra-européenne, vers l’Asie. Le tout en contournant les grands hubs.

Le développement de Ryanair ne se heurtera-t-il pas à la question du respect du droit social ? Le gouvernement a insisté sur ce point pour les créneaux rendus par Air France à Orly…

E. C. – Ryanair se joue de l’hétérogénéité des règles et pratique le dumping social que l’Europe a laissé se développer ; mais elle n’est pas hors du droit européen. La compagnie s’est soumise au droit français pour ses bases en France. Clairement, Ryanair cherche à entrer à Paris. Mais cela sera difficile car Orly reste peu accessible, faute de « slots ». Il est plus probable que Ryanair développe sa base de Beauvais. Mais il ne faut pas exclure non plus qu’elle s’installe à Roissy. Sa stratégie, c’est de ne pas avoir d’a priori. Ryanair est fondamentalement opportuniste : s’il y a une occasion, elle ira.

La crise va-t-elle provoquer un mouvement de concentration ?

E. C. – C’est trop tôt. Même si le marché européen est beaucoup moins concentré qu’aux États-Unis, les grandes manœuvres n’auront pas lieu tant que l’on n’y verra pas plus clair sur la reprise du trafic. Il pourrait en revanche y avoir une guerre des prix. Et elle sera très dure.

 

Lisez l’article sur lefigaro.fr.

Didier Bréchemier, Emmanuel Combe, Avant le Covid-19, le transport aérien : un secteur déjà fragilisé (Fondation pour l’innovation politique, décembre 2020).

Didier Bréchemier, Emmanuel Combe, Après le Covid-19, le transport aérien en Europe : le temps de la décision (Fondation pour l’innovation politique, décembre 2020).

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