"Après le premier tour de la primaire socialiste : changement d'époque"

Robert Namias | 12 octobre 2011

Article paru dans L’Hémicycle, le 12 octobre 2011

La forte participation au scrutin, l’effondrement de Ségolène Royal et la percée d’Arnaud Montebourg constituent de véritables marqueurs pour une société française en mutation. De droite ou de gauche, le vainqueur de 2012 devra en tenir compte.

 

Les éléments de langage décidés à l’Élysée et distillés sans grande conviction par certains dirigeants de l’UMP dimanche soir n’étaient guère crédibles. Décidément, l’idée que « plus c’est gros, plus ça passe » a semble-t-il encore de beaux jours devant elle. Étrange, tant cette attitude paraît aujourd’hui risquée. Minimiser le succès de la primaire socialiste et nier l’évidence politique ne sert pas la majorité, d’autant qu’elle pouvait trouver d’autres angles d’attaque (par exemple le possible virage à gauche évoqué dès le lendemain). Sur le principe même de la primaire, les dirigeants de l’UMP seraient bien inspirés de s’en tenir
aux propos prononcés la semaine dernière par François Fillon. Le Premier ministre, qui n’est ni sourd ni aveugle, avait bien compris avant même que l’on connaisse le résultat de ce scrutin que les primaires constituent désormais une avancée démocratique qui s’imposera à tous, à droite comme à gauche.

Dans tous les cas, il faut rendre à César ce qui appartient à Olivier Ferrand de Terra Nova et à Arnaud Montebourg, qui se sont battus pour l’organisation de ces primaires. Succès dès le premier tour, elles constituent bel et bien une innovation démocratique validée par les Français sans qu’il y ait eu besoin de convoquer le Congrès ou d’organiser un référendum. Il y aura un avant et un après primaire socialiste. À l’avenir, difficile pour un parti d’ignorer la volonté des Français de participer au processus de désignation des candidats et donc leur refus implicite de l’homme providentiel. Cette fois la page de l’après-guerre est bien tournée, le changement d’époque est acté depuis dimanche. Raté en 2002, esquissé en 2007, le passage au XXIe siècle devrait être la marque de fabrique de l’élection de 2012.

Interview d’Olivier Ferrand : «Si la primaire s’enracine et se généralise, il faudra lui donner un cadre institutionnel »

Interview de M. Ferrand, par Eric Mandonnet

Le président de Terra Nova s’est battu pour l’organisation de primaires au sein du PS. C’est la création d’un espace démocratique nouveau sur lequel on ne reviendra pas. Pour Olivier Ferrand, les socialistes, en organisant cette procédure de désignation du candidat, reconnaissent enfin la présidentialisation issue des institutions de la Ve République.

 

La primaire est globalement conforme à ce que j’attendais : le dispositif retenu par le PS est une réplique de l’élection présidentielle : un vote à deux tours, précédé d’une campagne politique d’une durée équivalente, trois à quatre mois, avec des débats riches entre candidats. Il sera temps d’approfondir le système, puisque c’était une première en France, et d’explorer quelques pistes : déployer des débats avec des lieutenants, aller au plus près du terrain. Aux États-Unis, dans un caucus, des représentants des candidats échangent entre eux et vont voir les voisins, ce qui permet une mobilisation et une politi- sation plus forte des citoyens.

Le professeur de sciences politiques Rémi Lefebvre affirme qu’avec ce système « la vie politique devient un peu plus une course de chevaux ». Assiste-t-on à une présidentialisation accrue de la Ve République, acceptée, qui plus est, par les socialistes ?

Non, ce n’est pas une présidentialisation accrue, mais une reconnaissance de la présidentialisation. Dans la Ve République, on ne choisit pas seulement un parti ou une politique, on désigne aussi une personnalité. La gauche l’a ignoré depuis un demi-siècle : du coup, elle n’a fourni qu’un Président sur six.

Est-ce alors la victoire de la démocratie d’opinion ?

Pas du tout. Qu’est-ce que la démocratie d’opinion ? Le vote sans le débat, le choix sur des a priori sondagiers. La primaire, c’est tout l’inverse, puisqu’il y a eu de vrais débats. En revanche, il est exact que les sondages occupent en France une place qu’ils n’ont nulle part ailleurs. Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, les enquêtes sont plus qualitatives.

Faut-il en déduire que la gauche ne peut plus avoir pour ambition de changer les institutions ?

La primaire, là encore, acte de manière spectaculaire une évolution qui l’a précédée : la gauche ne reviendra pas sur le cœur de la Ve, l’élection au suffrage universel du Président. Mais si une élection résiste à la défiance des Français, c’est celle-là. Il est temps que le PS, dont le mode de fonctionnement reste parlementariste, avec le refus d’un président pour assumer son leadership et une représentation proportionnelle au sein de la direction, s’adapte.

Faudra-t-il modifier un jour la Constitution pour tenir compte des primaires ?

Le fondement de ce système, au-dela d’être un mode de sélection du candidat, c’est avant tout la création d’un espace démocratique nouveau, avec un droit offert au citoyen de choisir. C’est donc un approfondissement de la démocratie représentative. Alors oui, si la primaire s’enracine et se généralise, il faudra lui donner un cadre institutionnel, par exemple pour régler la question du financement, l’articulation avec l’élection présidentielle elle-même, pour établir les règles de présence dans les médias, de droits d’accès aux mairies, peut-être même pour définir le soutien de l’administration à l’organisation de la primaire. Je rappelle qu’aux États-Unis, dans la quasi-totalité des États, ce sont des fonctionnaires qui tiennent les bureaux de vote.

Les partis sont-ils les grands perdants ?

Je ne crois ni à la mort des partis ni à celle des militants. Au contraire, la primaire marque la modernisation du PS. Les partis fonctionnent aujourd’hui presque comme au moment de leur création, il y a deux cents ans. Et il n’a pas fallu attendre la primaire pour assister à la désaffection des militants, pour constater la difficulté à produire des idées et à organiser une relève. Les formations ont mal vieilli et sont inadaptées à la société moderne. Grâce à la primaire, l’occasion est offerte aux partis de passer d’une logique d’avant-garde à une logique démocratique, et ceci dans leurs trois fonctions clés. D’abord, le choix du candidat et de la ligne politique. Avant-hier c’était l’affaire des bureaux exécutifs, une trentaine de chefs d’appareils agissant dans le secret, hier c’était celle des militants, aujourd’hui celle des citoyens. Le parti sera toujours à la manœuvre, définira les règles, mais le choix est démocratique. Ensuite, la production intellectuelle. Jusqu’à présent, les projets se sont toujours faits en chambre, avec une poignée d’intellectuels, d’experts et de communicants. Désormais, la réflexion se fera en symbiose avec son éco-système intellectuel et avec les citoyens, à travers des forums collectifs. Enfin, la mobilisation. Les citoyens seront associés de plus en plus, certes de manière plus ponctuelle que les militants, mais de moins en moins de personnes sont prêtes à consacrer à leur parti deux jours par semaine et leurs dimanches. La mobilisation, ponctuelle pour une cause ponctuelle, sera beaucoup plus importante que la mobilisation militante, mais certains citoyens resteront le temps de la campagne, et un parti deviendra ainsi, l’espace de quelques mois, ce fameux parti de masse qu’il rêvait d’être sans y parvenir.

Faudra-t-il mieux coordonner primaire et élaboration du projet ?

Sur ce point, le dispositif gagnerait à être amélioré. Cette fois, les socialistes ont été dans l’entre-deux : ils avaient un projet, qui ne liait pas les candidats (le texte du Parti proposait une augmentation de l’ISF, Manuel Valls sa suppression ; le texte proposait une augmentation des impôts, pas Ségolène Royal, etc.). Sans doute sera-t-il préférable de séparer les exercices de manière plus claire la prochaine fois.

Les primaires en France finiront-elles par ressembler aux primaires américaines ?

Aux États-Unis, l’argent se déploie de manière folle. De même, grâce aux primaires, le fichage des citoyens atteint des proportions incroyables. Songez que Barack Obama avait constitué une base de 260 millions de citoyens, avec 600 données individuelles. La moitié des informations recueillies pour les fichiers proviendrait des porte-à-porte effectués pen- dant les primaires !

Dominique Reynié : «La primaire signe le ralliement absolu du PS à la présidentialisation »

Interview de M. Reynié, par Eric Mandonnet

La primaire socialiste a-t-elle permis de rénover le débat démocratique en France ?

Elle a permis l’organisation d’une prise de parole pour les candidats, à travers les débats télévisés, mais aussi à travers l’expression d’une partie de la France de gauche, avec la participation des think tanks et de certains journaux. Chaque candidat a eu un moment d’expression sur un mode aujourd’hui rare, en ayant le temps d’articuler des analyses. Du point de vue de la production de contenu, ce n’est pas insignifiant. En revanche, la primaire, par construction, a quelque chose de décevant : l’exercice ne peut pas prendre le risque de tourner à la véritable confrontation, celle que l’on verra dans la grande compétition ; il ne peut amener le parti à s’opposer à lui-même et à desservir sa propre cause.

On a pourtant eu l’impression que les candidats débattaient entre eux, notamment lors des émissions télévisées…

Le débat était forcément anesthésié. Prenez Arnaud Montebourg et sa thèse sur la démondialisation. Son discours ne peut pas rentrer dans un ordre consensuel avec les autres, ce qu’il dit n’a rien à voir ! Je considère qu’il y a plus de différences entre lui et ses concurrents socialistes qu’entre la partie centriste de l’UMP et François Hollande, Manuel Valls ou même, quoi qu’elle en dise, Martine Aubry. Un vrai débat ne pourrait pas se satisfaire de la juxtaposition de discours substantiellement si différents. La primaire a donc un aspect artificiel, elle peut ressembler à une palette dont le PS aurait organisé l’expression, comme s’il fallait montrer la construction d’une majorité possible en 2012. Mais aujourd’hui, pour moi qui avais lu le projet socialiste, je ne sais plus sur quoi il y a encore consensus. Si j’ose dire, idéalement, le programme ne devrait d’ailleurs pas faire l’objet de la discussion, puisqu’il a été acté auparavant.

Est-ce alors le signe que le PS accepte, enfin, la logique de la Ve République ?

La primaire signe de manière radicale et inattendue le ralliement absolu du PS à la présidentialisation. Pour les socialistes, c’est un changement sans retour, qui les empêchera de tenir le même discours qu’avant sur les institutions. Il s’agit d’après moi d’un contre-pied culturel. Je ne crois pas que l’on soit à la recherche d’une réaffirmation de la dimension personnelle du pouvoir dans la société. Aujourd’hui, on est plus dans la logique 2.0 !

Faudra-t-il tirer des conclusions constitutionnelles ?

La primaire ne peut rester qu’une option, par exemple pour des partis d’élus, qui sont installés, avec pléthore de candidats possibles. D’autres formations vendent une tout autre culture : au FN ou au Front de gauche, voire au Modem, la culture du chef prédomine.

Les partis sont-ils les grands perdants ?

Évidemment, la primaire vient percuter le fonctionnement archaïque des formations politiques – ni au PS, ni à l’UMP, ni ailleurs en Europe on n’a trouvé les moyens d’adapter des structures partisanes à notre société. On reste dans l’acte électoral, et donc dans une mécanique quantitative. La vraie question, c’est d’inventer un apport qualitatif et de trouver comment on suscite une participation non instrumentale des individus. Mais la primaire peut devenir un rituel de mobilisation – tout dépend à partir de quel niveau de participation on considère que c’est une réussite.

Les primaires s’imposeront-elles à l’UMP ?

Pour le parti qui est au pouvoir, le système n’est pas pertinent. On ne fait pas descendre un président de sa fonction, cela n’aurait aucun sens. Si la droite n’a pas de candidat sortant possible, alors oui, elle peut avoir recours, à son tour, à une primaire. On ne voit pas aujourd’hui comment on peut réduire au silence telle ou telle ambition sinon en pre- nant à témoin le plus grand nombre.

Benoist Apparu : «L’idée de primaire interne est dépassée, il faut s’ouvrir à l’ensemble de l’électorat »

Interview de M. Apparu, par Éric Mandonnet

En 2017, la droite organisera-t-elle des primaires qui ressembleront à celle du PS ?

Il y a potentiellement deux types de primaires : celle d’adoubement (et le PS aurait pu en connaître une de ce type si Dominique Strauss-Kahn avait été candidat) et celle de choix. La primaire d’adoubement a un avantage – l’évidence du candidat est naturelle – et un inconvénient – elle suscite moins d’intérêt. La primaire de choix a aussi un avantage – il y a suspens, donc intérêt, donc mobilisation médiatique, donc mobilisation populaire – et un inconvénient – il est plus difficile de se rassembler ensuite et on peut avoir l’impression d’un choix un peu par défaut.

Faudra-t-il prendre pour modèle la primaire du PS?

Que l’on ne puisse plus se contenter d’un vote militant, même élargi, c’est un fait. L’idée de primaire interne est dépassée. Il faut s’ouvrir à l’ensemble de l’électorat. Mais on peut réfléchir à une technique plus intéressante, à l’américaine. Si on organise une élection sur sept ou huit dimanches, par grosse région, cela permettrait d’être plus ancré sur le terrain. La publication de résultats semaine après semaine permettrait la montée en puissance du vainqueur – toutes les primaires américaines ont fini par créer une évidence, à l’exception de celle qui a opposé Hillary Clinton à Barack Obama. Et je dis que nous pouvons être prêts pour 2017 !

Qu’avez-vous pensé de l’articulation entre conception du projet et compétition de la primaire ?

Je m’interroge quand je vois François Hollande annoncer la création de 60 000 postes dans l’éducation. Si on ne s’intéresse qu’à son corps électoral, ne va-t-on pas être amené à trop « gauchiser » pour les uns, trop « droitiser » pour nous. Comme la pression est de plus en plus forte pour que les gouvernants fassent ce qu’ils ont annoncé pendant les campagnes, cela peut devenir problématique.

La droite a complètement raté cette séquence de la primaire. Pourquoi ?

À ce stade, la primaire est une mode, pas encore une culture. Elle permet une sé- quence très bonne pour la gauche. Finira- t-elle en succès populaire, puis en succès électoral en 2012 ? Attendons, nous avons besoin de recul. Mais ne mégotons pas : nous n’avons pas vu le coup venir, nous avons donc totalement sous-estimé l’impact ! Et si nous n’avons rien anticipé, c’est parce que nous avons la culture du chef. Notre fonctionnement est tel que nous avons l’habitude d’accepter ce chef et qu’il soit plus important que les idées. Songez que nous sommes passés, à la tête du parti, de Philippe Séguin à Alain Juppé puis à Nicolas Sarkozy sans aucune difficulté. Cela dit, je crois que la Ve République a fortement changé dans sa pratique depuis 1958, et que la sélection du champion par la primaire s’inscrit, même pour la droite, dans cette évolution.

Lisez l’article sur lhemicycle.com.

Commentaires (0)
Commenter

Aucun commentaire.