L'immigration compte-t-elle pour la moitié de la croissance démographique de la France ?
Alexis Feertchak, Dominique Reynié | 20 octobre 2021
C'est ce qu'a affirmé le politologue Dominique Reynié sur France Inter. Est-ce exact ?
Depuis plusieurs décennies, l’immigration figure parmi les thèmes récurrents des campagnes présidentielles, l’enjeu étant à chaque fois de savoir si la France doit accueillir plus ou moins d’immigrés. Celle de 2022 n’échappe pas à la règle, mais ajoute aux débats habituels sur les flux migratoires une dimension démographique. La formule très clivante de « grand remplacement » reprise par le possible voire très probable candidat Éric Zemmour en est l’illustration la plus manifeste. Dans ce contexte marqué par des polémiques à répétition, les données démographiques sont souvent inaudibles ou passent par pertes et profits.
Mais pas toujours non plus. « J’ai fait une erreur de données sur une chaîne, LCI, en disant qu’en France le solde naturel était négatif (…) Ce n’est pas encore le cas », a confessé sur France Inter le 14 octobre le politologue Dominique Reynié sur France Inter. « Il y a eu 82.000 naissances en 2020, mais c’est un effondrement. Depuis 2016, pour la sixième année consécutive, il y a de moins en moins de naissances en France et on voit bien qu’on va aller vers le solde négatif, ce qui est le cas dans l’ensemble de l’Europe ». Et le directeur général du think tank de la Fondation pour l’innovation politique à ajouter: « L’INSEE nous dit: les naissances en France comptent pour la moitié de la croissance démographique. C’est-à-dire que, si je comprends bien l’INSEE, la population croît démographiquement pour moitié par l’immigration ». Cette dernière affirmation est-elle exacte ?
L’universitaire fait référence à une étude de l’INSEE publiée en avril 2021 dont le titre donne une idée de la réponse à la question posée: « En 2017, 44 % de la hausse de la population provient des immigrés ». À six pourcents près, Dominique Reynié a donc raison. Étant donné par ailleurs que ces données sont celles d’il y a quatre ans, il est possible – sans que cela soit démontrable – que le professeur de Sciences Po ait même raison tout court, sachant que ce pourcentage augmente chaque année. « En douze ans, la contribution des immigrés à l’accroissement démographique a fortement augmenté: elle était de 28 % en 2006 », précise l’institut statistique. Soit une augmentation d’un peu plus d’1,6 points par an sur cette période.
Quels sont les grands enseignements de cette récente étude ? Il faut déjà comprendre comment se décompose la population et quelles sont les variables à prendre en compte. Le point de départ, c’est de comprendre que la population se décompose en deux parties, la population immigrée et la population non immigrée. Étant donné que la définition de l’INSEE d’une personne immigrée est la suivante: « Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France ».
Soldes naturels et soldes migratoires
La « croissance démographique » est l’augmentation de la population d’une année sur l’autre. Par exemple, « entre les 1 er janvier 2017 et 2018, la population s’est accrue de 317.000 personnes » : cette valeur est tout simplement la différence de population entre ces deux dates.
Maintenant, pour déterminer le poids de l’immigration dans cette croissance, il faut tenir compte de plusieurs éléments:
Chaque année, des personnes naissent en France: étant donné la définition de l’immigration de l’INSEE, elles viennent grossir la population non immigrée ;
Chaque année, des personnes décèdent en France: elles viennent logiquement réduire la population globale. Parmi elles, figurent autant des personnes immigrées que non immigrées.
Ces deux phénomènes permettent de calculer la différence entre le nombre des naissances et celui des décès, ce que l’on appelle le solde naturel. Précisons qu’il existe un solde naturel des non immigrés, mais aussi un solde naturel des immigrés, par définition négatif puisque n’entrent en compte que les immigrés décédés (on ne peut pas naître immigré en France, NDLR). Le solde naturel général diminue ces dernières années en raison de l’augmentation des décès (en cause, le vieillissement des générations du baby-boom) et de la baisse des naissances. Il était de 163.000 en 2017 contre 276.000 en 2009, selon une autre note de l’INSEE.
Concernant le solde naturel de la population non immigrée, « en 2017, [celui-ci] atteint son niveau le plus bas depuis 2006, passant de +350.000 personnes à +222.000 », précise l’étude de 2021, raison principale pour laquelle « la population non-immigrée croît plus lentement » depuis cette date. Quant au solde naturel des immigrés, dont on a dit qu’il était par définition négatif, il se définit par le seul nombre de décès en France d’immigrés, qui a légèrement augmenté entre 2006 et 2017. En conséquence, le solde naturel de la population immigrée a diminué (de −48.000 en 2006 à −59.000 en 2017). Notons au passage qu’en sommant ces deux soldes naturels, l’on obtient bien le solde naturel de l’ensemble de la population.
Mais le solde naturel ne mesure pas tout car, par ailleurs, chaque année, des personnes entrent sur le territoire national quand d’autres en sortent. C’est ce que l’on appelle le « solde migratoire ». Là encore, parmi ces personnes qui entrent ou qui sortent, certaines sont immigrées quand d’autres ne le sont pas. Il y a donc un solde migratoire de la population immigrée et un solde migratoire de la population non immigrée, ce qui peut certes paraître paradoxal à première vue.
« Chaque année depuis 2006, le solde migratoire de la population non-immigrée est négatif et a tendance à se creuser, ce qui contribue à modérer la croissance de la population non-immigrée », écrit l’INSEE. Dans le détail, « entre 2006 et 2016, les entrées de personnes non-immigrées, c’est-à-dire les retours de l’étranger, passent de 80.000 à 118.000 personnes » tandis que « leurs sorties ont doublé, de 131.000 à 275.000 ». Il est donc passé de -51.000 à -157.000. Inversement, le solde migratoire des personnes immigrées augmente puisqu’il est passé de 163.000 personnes en 2006 à 222.000 en 2016. On obtient ainsi un solde migratoire global positif qui a tendance à diminuer entre 2006 et 2016 puisqu’il est passé de 112.000 à 67.000 entre ces deux dates. Mais cela ne traduit pas une diminution de l’immigration puisque cette baisse provient de la diminution du solde migratoire des non immigrés. Celui des immigrés est bien en augmentation.
En combinant les deux soldes naturels et les deux soldes migratoires, l’on peut calculer comment évoluent la population immigrée et la population non immigrée d’une année sur l’autre. L’on obtient alors le graphique suivant:
La part des immigrés dans la croissance démographique augmente. INSEE Par où l’on voit qu’en 2017, la population française s’est accrue de 317.000 personnes. Parmi elles, 139.000 personnes immigrées et 178.000 non immigrées, soit respectivement 43,8 % et 56,2 %.
Immigrés et descendants d’immigrés
Un dernier point doit être mentionné. Dans sa définition de l’immigration, l’INSEE ne tient compte que de la « première génération d’immigrés », c’est-à-dire les personnes nées étrangères à l’étranger et résidant sur le sol français. Hors de l’immigration elle-même, l’INSEE répertorie par ailleurs le nombre d’« enfants d’immigrés nés en France » [logiquement, un enfant d’immigrés né hors de France est quant à lui immigré, NDLR]. Pour mieux mesurer le phénomène migratoire en France, certains démographes, dont Michèle Tribalat, appellent à mieux prendre en compte dans les études statistiques la deuxième voire la troisième génération d’immigrés. Pour le coup, nous ne disposons pas de la donnée suivante: parmi les non immigrés qui comptent pour 56,2 % de la croissance démographique française, quelle proportion d’entre eux est composée de descendants directs d’immigrés ?
Ce chiffre, inconnu, augmente probablement au fil des ans. Dans un précédent article sur « les chiffres de l’immigration en France », nous écrivions en effet: « Dans une étude de 2019, trois chercheurs de l’INED se sont également intéressés à l’indicateur conjoncturel de fécondité des femmes selon leur pays de naissance. Il montre que l’immigration dans son ensemble participe à la progression démographique puisque l’indicateur global pour les femmes immigrées (2,60) est largement à celui des femmes de l’ensemble de la population française (1,88) et à celui des femmes non immigrées (1,77) pour l’année 2017. Dans le détail, cet indicateur est très supérieur pour les femmes nées en Algérie (3,69), en Tunisie (3,50), au Maroc (3,47) ou dans le reste de l’Afrique (2,91) ou en Turquie (3,12) ».
En résumé , Dominique Reynié a raison de dire que l’immigration compte pour la moitié de la croissance démographique française. Sa part était de 44 % en 2017, mais cette valeur a par ailleurs augmenté d’1,6 points par an de 2006 à 2016. Par ailleurs, même si l’on ne dispose pas de données précises en la matière, la part des descendants directs d’immigrés augmente aussi forcément au sein de la part des non immigrés qui participent à la croissance démographique française. En tenant compte de ces deux générations, la part de l’immigration est mécaniquement bien supérieure à 50 % de cette croissance. Contacté par Le Figaro, Dominique Reynié ne reprend pas l’expression de « grand remplacement », mais évoque, au vu de cette dynamique, une « recomposition ethnoculturelle » du pays, également bien documenté par Jérôme Fourquet dans son livre L’Archipel français (Seuil, 2019).
Lire l’article sur lefigaro.fr.
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