
Élections régionales : loin du chef-lieu, loin du bulletin de vote
Béatrice Houchard | 07 avril 2016
En quoi le redécoupage de certaines régions a-t-il influencé le comportement électoral des Français aux régionales des 6 et 13 décembre derniers ? Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et Stratégies d’entreprise de l’Ifop, et Sylvain Manternach, géographe-cartographe, se sont plongés dans les résultats électoraux et livrent deux notes à la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol).
Dans la note intitulée Régionales 2015 (2) : les partis, contestés mais pas concurrencés, les auteurs se sont d’abord intéressés à la participation électorale. « Loin des yeux, loin du cœur », pourrait-on en conclure. Ou plutôt : loin du chef-lieu, loin du bulletin de vote. La participation a été d’autant plus dopée que l’électeur était proche de la nouvelle capitale régionale, « et donc du nouveau cœur des décisions ».
Dans les régions fusionnées, « l’hypothèse d’une démobilisation générale est infirmée », écrivent Fourquet et Manternach, expliquant : « La participation progresse plus fortement dans les régions redécoupées que dans celles qui ont conservé leur périmètre historique : + 4,2 points pour les régions redécoupées entre les premiers tours des régionales 2010 et 2015, contre +3,2 points pour les régions intactes, la moyenne métropolitaine s’établissant à + 3,8% ».
Sentiment de déclassement. Mais la perte d’une capitale régionale et le sentiment de déclassement qui va avec ont eu des conséquences. Sauf dans la nouvelle région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées (c’est dans le Languedoc-Roussillon que la participation progresse le plus, alors que la capitale est à Toulouse), et dans la grande région Nord où la présence de Marine Le Pen a créé partout une dynamique, la participation progresse plus, voire nettement plus, dans la région qui conserve la capitale.
Exemples précis : en Auvergne-Rhône-Alpes, la participation augmente de 5,1 points en Rhône-Alpes (Lyon est le chef-lieu) et de seulement 0,9 % en Auvergne, malgré la forte mobilisation de la Haute-Loire de Laurent Wauquiez, tête de liste des Républicains. Et c’est dans le Cantal, département le plus éloigné de Lyon, que les électeurs boudent le plus.
Même constatation dans la grande région sud-ouest, fruit du mariage de trois régions : la participation augmente de 1,8 point en Aquitaine (où se trouve la capitale, Bordeaux) contre seulement 0,1 point en Limousin et même moins 1 point en Poitou-Charentes. Dans le Limousin, en Creuse, très éloignée de Bordeaux, la participation est en baisse de 2,1 points. En Poitou-Charentes, la baisse est d’autant plus forte que l’éloignement avec le chef-lieu grandit : moins 0,7 point en Charente, moins 0,9 dans la Vienne et surtout moins 3 points dans les Deux-Sèvres.
En Normandie, où la fusion était plutôt réclamée, la progression de la participation est quasiment la même dans les deux anciennes régions (plus 3,3 points). Mais avec la même caractéristique : c’est dans la Manche, département le plus éloigné de Rouen, capitale de la Normandie éternelle, que la progression est la plus faible (plus 2,3).
Dans la nouvelle région devenue « Grand Est », c’est dans les Ardennes, département le plus éloigné du chef-lieu, Strasbourg, que la participation progresse le moins (+1,9 contre + 5,1 sur l’ensemble de l’ancienne région Champagne-Ardenne). En toute logique, c’est en Alsace que la progression est la plus forte : + 6 points. « C’est dans cette région, précisent les auteurs de la note, que l’opposition à la fusion était la plus forte ». Enfin, en Bourgogne-Franche-Comté, la participation augmente de trois points en Bourgogne, qui avec Dijon garde le chef-lieu, pour seulement +1,2 point en Franche-Comté et son Besançon déclassé.
Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach se sont posé une autre question, à laquelle il est très difficile de répondre : que se serait-il passé si les régions n’avaient pas été redécoupées ? Il est toujours hasardeux de faire de la fiction politique. Avec les anciennes régions, les candidats n’auraient pas été les mêmes, la participation non plus, pas plus que la campagne électorale.
FN puissant. On peut toutefois en tirer quelques enseignements. Dans la nouvelle région Bourgogne-Franche-Comté, la liste de gauche de Marie-Guite Dufay a bâti sa victoire sur la région Franche-Comté, qu’elle présidait déjà auparavant, alors que les listes de droite et du centre de François Sauvadet arrivaient en tête en Bourgogne, grâce à l’implantation du candidat en Côte-d’Or, dont il préside le Conseil départemental. « La défaite de la droite, écrivent les auteurs, est donc en partie liée au redécoupage mais tient aussi au fait que le Front national y est très puissant ».
Dans le Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, la liste de gauche de Carole Delga s’est largement imposée face au FN de Louis Aliot et à la liste de droite emmenée par Dominique Reynié, grâce à son avance dans l’ancienne région Midi-Pyrénées. Sur le papier, le FN aurait pu gagner le Languedoc-Roussillon, où il arrive en tête. Mais s’il avait été en situation de l’emporter, le scénario, comme en Paca et dans le Nord, aurait sans doute été tout autre.
Enfin, la Normandie. La gauche présidait auparavant Basse et Haute-Normandie, et le centriste Hervé Morin l’a finalement emporté avec seulement 4 700 voix d’avance. Mais en Haute-Normandie, c’est la gauche qui est arrivée première, ne l’emportant que dans un seul département, la Seine-Maritime, qui est aussi le plus peuplé de la région avec les agglomérations de Rouen et du Havre. On peut penser que le maintien de l’ancien découpage aurait permis à la gauche de conserver la Haute-Normandie. Comme quoi celui qui tient les ciseaux du redécoupage ne fait pas toujours les victoires.
Lisez l’article sur lopinion.fr
Aucun commentaire.