Notre mémoire a occulté les exterminations par la famine imputées aux régimes communistes
thierry Wolton | 17 juillet 2020
« Notre mémoire a occulté les exterminations par la famine imputées aux régimes communistes »
FIGAROVOX/TRIBUNE – Les régimes communistes ont commis une politique d’extermination par la famine qui a tué plus d’hommes que les deux guerres mondiales réunies. Un pan de l’histoire qui, hélas, ne figure pas dans les manuels d’histoire, regrette l’essayiste Thierry Wolton.
Parmi les nombreux ouvrages de Thierry Wolton, journaliste et essayiste, signalons Une histoire mondiale du communisme en trois volumes chez Grasset, qui a fait événement: Les Bourreaux (2015), Les Victimes (2016), Les Complices (2017). L’auteur a récemment publié Le Négationnisme de gauche (Grasset, 2019).
Dans un sondage réalisé en 2015 auprès de quelques 30 000 jeunes, dans une trentaine de pays dans le monde, à l’initiative de la Fondation pour l’innovation politique et de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, portant sur les grands crimes contre l’humanité dont le XXème siècle a été le théâtre, la famine en Ukraine, qui fit de 3 à 6 millions de morts en 1932-33, est loin de figurer parmi les grands drames dont la jeunesse d’aujourd’hui se souvient. Dans cet hit parade macabre où l’extermination des juifs par les nazis, le massacre des Arméniens par les Turcs, et l’assassinat des Tutsis par les Hutus au Rwanda occupent les premières places, l’Holodomor ukrainien – littéralement l’extermination par la faim – n’arrive qu’en septième position.
L’Ombre de Staline, de la réalisatrice polonaise Agniezska Holland, actuellement sur les écrans, vient nous rafraîchir la mémoire sur cet épisode particulièrement meurtrier de la Russie stalinienne. Ce film met en valeur la capacité d’un régime totalitaire à exterminer des millions de personnes dans le plus grand secret, le tout couvert par un aveuglement volontaire de l’occident qui refusait d’admettre la tragédie malgré les faits. À l’époque, le jeune journaliste Garreth Jones risqua sa vie pour aller sur place découvrir la vérité, puis de retour de l’enfer il se heurta à l’incrédulité de ses contemporains alimentée par une presse occidentale complaisante à l’égard du communisme. Croire plutôt que voir a été un grand classique de ce temps là grâce aux multiples complicités idéologiques dont bénéficiaient le pays du «socialisme réel». Pendant que le Gallois Jones découvrait en clandestin l’horreur, le Français Edouard Herriot, ex-président du Conseil et maire de Lyon, était baladé, lui, par la police politique soviétique dans une Ukraine de fiction – les fameux villages Potemkine – afin qu’il témoigne ensuite au reste du monde que cette terre riche, ce grenier à blé de l’Europe, ne s’était jamais aussi bien portée que sous Staline. Herriot n’a rien voulu voir des cadavres qui jonchaient la campagne, des enfants faméliques qui se livraient à l’anthropophagie pour survivre, de cette nation qui se mourrait.
Cet épisode, dramatique pour les victimes, honteux pour les complices, n’est malheureusement pas unique dans l’histoire du communisme. Pour le comprendre, il faut abandonner les conceptions morales qui fondent notre civilisation. En premier lieu, il faut savoir que la famine a servi de moyen d’extermination pour nombre de régimes communistes. Après Staline, Mao s’y est livré au moment du Grand bond en avant, au début des années 1960, puis ce fut au tour des Khmers rouges au Cambodge lors de leur passage au pouvoir (1975-79), pendant que la famille Kim, celle qui règne toujours sur la Corée du Nord, y eut recourt à plusieurs reprises.
Lénine a inauguré ce type de politique exterminatrice en 1921-22. Au début par inadvertance, peut-être (mauvaises conditions climatiques, chaos dans les campagnes) mais très vite avec l’intention de profiter des circonstances pour, entre autres, liquider l’influence de l’Église et mettre les paysans au pas. «Avec tous ces gens affamés qui se nourrissent de chair humaine, avec les routes jonchées de centaines de milliers de cadavres, c’est maintenant et seulement maintenant que nous pouvons (et par conséquent devons) confisquer les biens de l’Église avec une énergie farouche, impitoyable», ordonna-t-il au moment où le Patriarche venait de lui proposer l’aide financière de l’Église pour enrayer le fléau, pour venir en aide aux affamés. Est-il besoin de préciser qu’aucun bien confisqué à ce moment-là n’a jamais profité aux victimes. L’Église fut décapitée et la paysannerie réduite peu à peu en esclavage par la collectivisation.
Staline s’inspira de ce précédent pour en finir avec les paysans ukrainiens. Cette fois, la famine fut organisée (confiscation de toutes les récoltes et des semences), les frontières furent fermées afin que personne ne s’échappe du piège infernal. Puis, Mao fit mieux en Chine: récoltes abandonnées à la faveur d’une soi-disant industrialisation des campagnes, mise en commun de tous les biens (communes populaires), asservissement totale des paysans, bouclage des régions affamés. L’hécatombe fut terrible: de 30 à 50 millions de morts selon les estimations. Ce drame eut aussi ses complices occidentaux. François Mitterrand, simple député au moment des faits, fut reçu par Mao en pleine tragédie. Le Grand Timonier lui assura que les rumeurs sur cette famine n’étaient que pures malveillances. Mitterrand s’empressa de répéter ces paroles dès son retour en France. Il joua le rôle de l’idiot utile pour Mao, comme Herriot l’avait fait avant lui pour Staline. N’oublions pas non plus les dizaines de journalistes occidentaux qui ont salué la victoire des Khmers rouges au Cambodge en 1975 et qui restèrent longtemps sourds aux témoignages venus confirmer que ces nouveaux maîtres se livraient à un génocide, notamment par la faim.
La plupart des régimes communistes ont connu des famines, pas toujours organisée il est vrai, mais toujours due à l’impéritie des parti-États, notamment en matière agricole. L’arme de la faim, qu’utilisa aussi les militaires marxistes-léninistes éthiopiens dans les années 1980, a en revanche bien servi, pour ces régimes, de moyen pour «résoudre» la question paysanne, par la liquidaion des «cul terreux» attachés à leur terre, rétifs aux bienfaits de la collectivisation. La totalité des famines communistes du XXème siècle ont fait autant de victimes que les deux guerres mondiales réunies, soit entre 50 et 70 millions de morts, selon les estimations. Tous disparus de nos jours dans le grand trou noir de la mémoire du siècle. On peut mettre cette amnésie au compte de l’immunité communiste, cette anneau de Gysès qui rend aujourd’hui encore invisible les crimes commis au nom de cette idéologie. Mais il y a sans doute une autre explication qui tient à la vision que nous avons, nous autres «modernes», des campagnes. Les victimes appartenaient au monde d’hier, on peut même aller jusqu’à penser qu’elles étaient finalement un frein au progrès. Les paysans ont été sans conteste les grands martyrs du communisme, mais qui cela intéresse-t-il? L’ombre de Staline vient heureusement titiller notre (mauvaise) conscience à ce sujet.
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