Nous ne devons pas célébrer le 20e anniversaire de la conférence de Durban
Simone Rodan-Benzaquen | 19 juillet 2021
Alors que les Nations Unies s'apprêtent à célébrer le 20e anniversaire de la conférence contre le racisme, qui s'est déroulée à Durban en 2001, Simone Rodan-Benzaquen rappelle la violence de l'antisémitisme qui y sévissait, au nom d'un antiracisme pro-palestinien.
Hier, la République tchèque a été le 9e pays à annoncer qu’il ne participerait pas au 20e anniversaire de la tristement célèbre conférence mondiale contre le racisme organisée par les Nations unies en 2001, à Durban (Afrique du Sud). L’événement doit avoir lieu le 22 septembre de cette année, conformément à une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies adoptée le 31 décembre 2020.
Comment se fait-il que des pays tels que la République tchèque, l’Autriche, l’Australie, le Canada, la Hongrie, Israël, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et les États-Unis aient décidé de ne pas participer à une conférence censée rassembler autour de la noble cause de la lutte contre le racisme ?
La raison a été exprimée de façon spectaculaire par le professeur canadien et ancien ministre de la Justice Irwin Cotler lors de la première conférence : « Si le 11 septembre a été la Nuit de Cristal de la terreur, alors Durban aura été le Mein Kampf », a-t-il écrit.
La première conférence de Durban en 2001, qui s’est tenue quelques jours avant les attaques terroristes du 11 septembre, a en effet constitué un terrible revers pour la lutte universaliste contre le racisme, pervertissant et instrumentalisant cette cause contre le sionisme, Israël et les Juifs.
La conférence est devenue l’occasion d’attaquer Israël et d’invoquer l’allégation infâme selon laquelle le sionisme est une forme de racisme. Pire encore que la conférence elle-même, il y a eu le Forum des ONGs, au cours duquel de nombreux participants ont ouvertement exprimé leur haine envers Israël et envers les représentants des ONGs juives qui ont participé à l’événement. « Nous n’allons même plus au bar ou aux toilettes seuls », a écrit Joëlle Fiss, Présidente de l’Union des Étudiants Juifs Européens (EUJS) à l’époque, dans son « journal de Durban” publié par AJC à l’époque. « Certains membres du groupe ne portent plus leur badge. D’autres ont troqué leur kippa pour une casquette ». Les militants juifs des droits de l’homme à Durban ont été physiquement intimidés et menacés, des foules leur hurlant : « Vous n’appartenez pas à la race humaine ! ».
Lors de la marche conduite par des «militants pro-Palestiniens», qui avaient rassemblé des milliers de participants, on pouvait lire sur une pancarte : « Hitler aurait dû finir le travail. » À proximité, certains vendaient le plus célèbre des tracts anti-juifs, « Les Protocoles des Sages de Sion ». La plupart des personnes présentes étaient choquées et effrayées.
Le chef de la délégation américaine, le regretté Tom Lantos (D., Calif.), déclarait : « Pour moi, qui ai vécu les horreurs de la Shoah, ce fut la haine des Juifs la plus écœurante que j’ai vue depuis la période nazie. »
Au cours des vingt dernières années, malgré l’incompréhensible persévérance des Nations unies et de certains de ses États membres pour assurer le suivi de la première édition, les états les plus importants du « bloc occidental » ont à juste titre refusé de participer à la conférence de 2009 à Genève ainsi qu’à Durban III en 2011.
La réalité est que Durban a marqué un tournant voire un point de départ dans la manière dont l’antisémitisme se manifeste aujourd’hui. Les Juifs ne sont plus haïs au nom du racisme mais au nom de l’antiracisme, incarnant pour ces nouveaux militants le blanc dominateur et oppresseur par excellence.
Lors de la dernière guerre entre Israël et le Hamas à Gaza, des adeptes de concepts « woke » ou décoloniaux, notamment aux États-Unis, ont été les premiers à condamner Israël au nom d’une « justice raciale », le dévoiement de l’antiracisme se faisant plus que jamais ressentir.
Les antisémites ont toujours placé les Juifs au centre de leur imaginaire en projetant sur eux tout ce qui est haïssable et mauvais dans le monde. Aujourd’hui, c’est Israël et le sionisme qui est pour ces idéologues au cœur des principaux maux de la planète. Condamner l’État d’Israël comme un « état raciste », « colonial » ou « génocidaire » en l’assimilant au régime d’apartheid sud-africain ou parfois nazi, c’est l’ostraciser, voire le condamner à la destruction. On ne discute pas avec l’ennemi absolu, on l’élimine.
Il n’est pas étonnant qu’au cours des vingt dernières années, des Juifs aient été attaqués et même tués au nom de la « défense des Palestiniens ». Ce fut le motif de Mohamed Merah pour tuer des élèves juifs à Toulouse en 2012, ce fut le leitmotiv de ceux qui ont défilé dans les rues de plusieurs villes deux ans plus tard en criant « Mort aux Juifs ». Au cours des vingt dernières années, la question de l’existence même de l’État d’Israël a été utilisée comme l’une des colonnes vertébrales idéologiques des islamistes et de l’extrême-gauche. En conséquence, l’antisémitisme a progressé un peu partout en Europe et des études publiées au fil du temps ont montré que les Juifs sont non seulement de plus en plus inquiets, mais que nombre d’entre eux ont été victimes de l’antisémitisme. La dernière étude de l’AJC en partenariat avec la Fondation pour l’Innovation Politique (Fondapol) sur les perceptions des Juifs en France, publiée en 2020, a révélé que 70 % des Français juifs ont déjà vécu une agression antisémite et que cette réalité est encore plus importante chez les plus jeunes.
À de nombreuses reprises au cours des deux dernières décennies, les dirigeants européens se sont engagés non seulement à lutter contre l’antisémitisme, mais aussi à reconnaître la nature antisémite de la haine liée à Israël.
Lorsque la France a adopté la Définition de Travail de l’IHRA sur l’antisémitisme, le Président Macron a même fait un pas de plus en précisant que « l’antisionisme est l’une des formes modernes de l’antisémitisme ». En Allemagne, la chancelière Merkel, qui avait dénoncé l’antisémitisme à de nombreuses reprises, a qualifié l’antisionisme de « non légitime ».
Si ces dirigeants, si les nations européennes sont sérieusement décidées à combattre ce « nouvel antisémitisme », s’ils sont attachés à la lutte universaliste contre le racisme, alors ils n’ont pas d’autre choix que de suivre l’exemple d’autres pays européens et de boycotter Durban 20.
Lisez l’article sur lefigaro.fr.
Dominique Reynié, Simone Rodan-Benzaquen, Radiographie de l’antisémitisme en France (Fondation pour l’innovation politique, janvier 2020).
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