Pourquoi la tech séduit de nouveau les étudiants américains
Robin Rivaton | 12 septembre 2022
Aux Etats-Unis, il y a désormais presque autant de personnes se spécialisant en informatique que dans toutes les sciences humaines réunies.
Le National Center for Education Statistics (NCES) qui couvre l’éducation supérieure aux Etats-Unis vient de livrer sa dernière fournée de statistiques sur la promotion 2021, la fameuse génération d’étudiants Covid, et les chiffres sont passionnants. Alors que depuis des années, la faiblesse du nombre d’étudiants en sciences, technologie, sciences de l’ingénieur et mathématiques, abrégées STEM en anglais, était pointée du doigt comme un goulot d’étranglement à l’innovation aux Etats-Unis, une nouvelle dynamique semble se dessiner.
Les sciences informatiques ont crû de 130% sur la période 2011-2021 ce qui est de loin la plus forte hausse parmi toutes les spécialisations enseignées. Quatre autres sciences dures (électronique, sciences de l’ingénieur, sciences de l’environnement, mathématiques et statistiques) et quatre disciplines médicales (infirmière, kinésithérapie, santé généraliste et biologie) trustent le top 10 des plus fortes hausses, laissant une dernière place à la criminologie. L’analyse est simple. Après la grande crise financière de 2008, les étudiants, encouragés par leurs parents mais aussi le système éducatif, choisissent de plus en plus des disciplines où les perspectives de carrière et d’emplois semblent prometteuses.
Conséquence directe de ces choix de carrière, les sciences humaines, allant de la littérature à la philosophie en passant par l’histoire, sont en effondrement accéléré, mettant à mal l’idée qu’on pouvait aux Etats-Unis, à la différence de la France, devenir trader ou manager d’entreprise en étant diplômé en histoire ou en littérature. Au cours des années 2000-2010, elles avaient maintenu leur part dans le total des diplômes de type bachelor, équivalent à la licence européenne, conduisant du fait de l’augmentation des cohortes à un nombre croissant de diplômés. Cette part a cependant été divisée de moitié depuis 2011. Il y a désormais presque autant de personnes se spécialisant en informatique (140 000) que dans toutes les sciences humaines réunies (160 000) alors que les chiffres étaient respectivement de 60 000 et 210 000 il y a dix ans. Dans l’intervalle, les sciences, hors informatique, sont passées de 150 000 à 220 000 diplômés annuels.
L’impact social de la surproduction des élites
La moindre attractivité des sciences humaines est aussi le fruit des déboires de leurs débouchés naturels les plus glamours, dans l’édition, les médias ou l’enseignement. Ce n’est pas la première fois qu’est proclamée leur extinction imminente. Dès les années 1960, on peut trouver les premiers ouvrages avertissant de leur inutilité dans un monde tourné vers la technique alors même que les baby-boomers commençaient à investir en masse les départements d’anglais et d’histoire des nouvelles universités.
Cela pourrait être une bonne nouvelle sur le plan économique, en fournissant enfin aux entreprises de technologie la main-d’oeuvre nécessaire pour prospérer, besoin d’autant plus criant suite à la limitation de l’immigration qualifiée initiée par Donald Trump lors de sa présidence. Cela pourrait également avoir des conséquences sociales. Peter Turchin a écrit sur la surproduction des élites. D’après lui, les Etats-Unis ont produit beaucoup de personnes très instruites avec de grandes attentes quant à leur place dans la société américaine, sans que le système économique puisse répondre à leurs attentes, les poussant à se tourner vers la contestation politique à gauche de l’échiquier politique.
Si on considère que le débouché normal des sciences humaines est de 150 000 personnes par an, soit le niveau de l’an 2000 et le niveau actuel, le surplus de diplômés sur la période atteint près de 720 000 personnes ayant dû composer avec un endettement important, conséquence de la hausse du coût des études et des perspectives de carrière médiocres au surplus mises à mal par deux crises économiques majeures.
Cette thèse pourrait être nuancée notamment parce que dans la réalité, hormis pour l’informatique, les salaires et le niveau chômage ne sont pas si différents des autres types de diplômes. Mais elle éclaire sous un jour nouveau le choix très politique de Joe Biden de rembourser la dette étudiante des personnes avec des revenus inférieurs à 125 000 dollars. Notons qu’une discipline des sciences humaines échappe à l’effondrement, les études culturelles, ethniques et de genre dont les effectifs sont passés de 2 000 à 6 000 personne en vingt ans et qui a largement nourri les débats sur la montée du wokisme dans les campus universitaires américains.
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