Pourquoi le Covid-19 a laissé les populistes sans voix en Europe
Catherine Chatignoux | 04 novembre 2020
Alors que les partis populistes auraient pu bénéficier du contexte doublement anxiogène de la crise sanitaire et économique qui secoue l’Europe, il n’en est rien. Parce que leurs membres n’ont guère de solution crédible à proposer, contrairement aux institutions européennes, qui ont su faire preuve de réactivité. Mais l’ampleur de la deuxième vague pourrait toutefois rebattre les cartes.
Le « rally round the flag effect » est un phénomène bien connu des politologues. En présence d’une grave menace, guerre, séisme ou pandémie, la peur ou l’inquiétude se traduit par un « ralliement autour du drapeau », autrement dit soutien accru aux dirigeants et aux institutions en place. Le syndrome a joué à plein avec l’irruption du Covid-19 dans la vie de millions d’Européens. L’italien Giuseppe Conte , le Britannique Boris Johnson, Emmanuel Macron même ont bénéficié au printemps d’un regain de popularité, avec une mention spéciale pour la chancelière Angela Merkel. Gratifiée de la palme de la meilleure gestion de la crise sanitaire, la scientifique a gagné plus de dix points dans les sondages et tient désormais à bonne distance ses adversaires.
Rétablissement des frontières
Cette « prime » aux gouvernants ne peut cependant expliquer à elle seule la solitude dans laquelle la crise sanitaire et économique provoquée par le coronavirus a plongé les partis populistes, de droite comme de gauche. Généralement habile à capitaliser sur la colère et l’insatisfaction, le discours des leaders de ces mouvements ne semble pas avoir eu de prise, cette fois, sur les opinions publiques.
La confusion et le chaos économique provoqués par le virus ont constitué pourtant un moment idéal pour faire valoir leurs thèses. La propagation du « virus chinois » comme le nomme Donald Trump n’est-elle pas la conséquence d’un capitalisme mondialisé que fustigent les extrêmes ? L’impréparation d’une Europe obsédée par son désir d’ouverture n’a-t-elle pas contribué à la diffusion de l’épidémie ? Les populistes ont même pu se réjouir de voir enfin triompher leur remède miracle : le rétablissement des frontières, décidé par plusieurs pays européens pour tenter de briser la chaîne de contamination.
Paradoxalement, rien de tout cela ne leur a profité. Le populisme a même été jusqu’ici « la première victime idéologique de la crise sanitaire », selon Thierry Chopin, professeur de science politique à l’Université catholique de Lille et conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors. L’ extrême droite a marqué un net recul dans les grands pays européens, les plus frappés par le virus. En Italie, la Ligue de Matteo Salvini a dévissé de cinq points, autant que l’AfD en Allemagne. Les dirigeants de ce mouvement né en 2013 pour quitter l’euro ont bien essayé de récupérer la troupe des mécontents, anti-masque, anti-vaccin, de ceux qui ont tenté de pénétrer de force dans le Reichstag fin août. Ils ont fait machine arrière quand ils ont compris que leur électorat, âgé, était aussi la catégorie la plus vulnérable face au virus. En France, le Rassemblement national a fait du surplace.
Recherche d’expertise
Plusieurs constats permettent d’élucider cet échec. Les populistes sont passés maîtres dans l’art d’attiser les peurs imaginaires, celle de l’insécurité ou des migrants mais « la droite populiste n’a pas de recette magique pour gérer cette peur bien réelle que représente le Covid, comme l’ont montré Trump ou Bolsonaro», souligne Massimiliano Panarari, sociologue de la communication à l’Université Mercatorum de Rome.
Les figures familières des partis populistes ont été éloignées de la scène médiatique avec l’irruption des épidémiologistes, scientifiques et personnels médicaux qui les ont privés de leurs registres politiques traditionnels. En ces temps de pandémie, souligne Thierry Chopin, « les opinions publiques recherchent de l’expertise, qui n’est pas le terrain privilégié des populistes ». Le discours de la complexité n’est pas dans les cordes des chauffeurs de salle qui lui préfèrent la simplification et la caricature.
Le Covid, enfin, a peut-être fait de l’Europe aux frontières bouclées et aux nations refermées sur elles-mêmes un contre-modèle absolu pour les citoyens. Se recroqueviller, c’est s’appauvrir. Or, n’est-ce pas là, à grands traits, l’Europe qu’essaie de vendre depuis des années la droite souverainiste et anti-européenne ?
Pendant la crise sanitaire l’Union européenne est apparue au contraire comme l’échelon indispensable pour lutter efficacement contre le Covid. Aux yeux d’une solide majorité, Bruxelles redevient la solution et non plus le problème. 80 % des Français veulent rester dans l’Union européenne et conserver l’euro. « L’attachement à l’Europe limite l’horizon des populistes », souligne Dominique Reynié, directeur général de Fondapol, qui a publié une série d’analyses sur le Covid et le risque populiste .
Gare à la deuxième vague
« La crise a mis en avant l’incapacité des leaders populistes à formuler des solutions crédibles » à la double crise générée par le coronavirus, résume le politologue. Un sondage d’OpinionWay montre que, si les Français jugent à 59 % qu’Emmanuel Macron a mal géré la crise, 5 % seulement estiment qu’un autre parti aurait fait mieux.
Attention à la deuxième vague, toutefois ! L’Europe affronte depuis quelques semaines une violente recrudescence du Covid qui s’annonce plus délétère encore que la première. La patience des citoyens et des agents économiques pourrait rapidement atteindre ses limites, comme le montrent déjà les manifestations qui éclatent dans les villes européennes .
Qui récupérera l’exaspération des citoyens face aux restrictions des libertés, à la montée du chômage, à une gestion forcément imparfaite de la pandémie, ou encore à la série d’attentats qui a secoué l’Europe ces tout derniers jours ? Les partis populistes qui ont perdu la première manche contre les démocraties libérales pourraient remporter la deuxième. A moins que le rejet de plus en plus tangible, dans plusieurs pays européens, des partis politiques, y compris les anti-système, ne se traduise par une abstention généralisée lors des prochaines élections, voire par des violences sporadiques ou un climat de désordre généralisé.
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