Professeur assassiné: « Cela aurait pu arriver n’importe où en France »

Marc Bassets | 18 octobre 2020

A Conflans-Sainte-Honorine, élèves, parents et enseignants sont sous le choc du meurtre de « Monsieur Paty ».

Le dernier cours des élèves de 3e était consacré aux inégalités et à la Seconde Guerre mondiale. Samuel Paty, professeur au collège du Bois d’Aulne à Conflants-Sainte-Honorine, ville de 35.000 habitants du nord- est de Paris, était comme ça. Il tissait le lien entre différents sujets, selon ses élèves. Il donnait vie à l’histoire et la géographie ainsi qu’à l’éducation morale et civique. « C’était quelqu’un de souriant et de gai, proche des élèves, fiers de nous. Il nous a toujours encouragés à nous surpasser », témoigne Elionor Do Nascimento, 14 ans. A la veille des vacances de la Toussaint, ce vendredi, il a dit au revoir à ses élèves : « Il nous a souhaité de bonnes vacances. Nous a dit “à dans deux semaines” », se souvient la jeune fille.

L’école frappée en plein cœur

Depuis l’attentat contre l’école juive à Toulouse en 2012, la France a subi 54 actes de terrorisme islamiste qui ont coûté la vie à 290 personnes, note une étude de l’institut Fondapol. Si ce n’est pas la première fois que les terroristes ont recours à la méthode de la décapitation, c’est la première fois que l’école de la République est frappée en plein cœur. La victime est un professeur qui faisait – de manière remarquable selon les témoignages récoltés à Conflans-Sainte-Honorine – son travail : éduquer les générations futures. Samuel Paty était ce que l’écrivain Charles Péguy appelait un « hussard noir », ces soldats à la craie et à l’ardoise chargés de transmettre aux quatre coins de la nation les valeurs de « liberté, égalité, fraternité » inscrites sur la façade de toutes les écoles françaises.  Paty, 47 ans et père d’un fils, faisait partie de ceux, que beaucoup, en France, voient désormais comme le premier front contre l’obscurantisme : les enseignants. Être professeur d’histoire et de géographie n’est pas une mince affaire dans ce pays. Il est celui qui apprend à des élèves d’origines différentes, de milieux différents, religieux ou non, ce qui fait et défait ce pays, ce qui l’unit et le divise, ses gloires et ses traumatismes. L’un de ces traumatismes : les attentats terroristes de janvier 2015, jugés à Paris depuis septembre. L’attaque contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo – qui avait publié des caricatures de Mahomet et qui ne perdait pas une occasion pour se moquer des religions – a été un électrochoc pour la société française : en France, au 21e siècle, on pouvait mourir pour avoir publié des dessins. C’est précisément ce que Paty a tenté d’expliquer à ses élèves de 4e en classe. Le début de cet épilogue funeste. Des versions confuses et contradictoires du cours et des propos du professeur ont circulé. Il aurait demandé aux élèves musulmans de lever la main, puis il les aurait invités à partir. En réalité, Paty a invité ceux qui ne désiraient pas regarder les caricatures du prophète qu’il allait montrer, à fermer les yeux, détourner le regard, ou quitter la classe temporairement s’ils le désiraient. Le père d’une élève, furieux, a publié sur les réseaux sociaux une vidéo de lui protestant contre les méthodes de Paty. L’enseignant y est insulté, accusé d’avoir diffusé des images pornographiques (la caricature représentait le prophète nu). Le parent d’élève s’est rendu à l’école, plaint à la direction, réclamant le renvoi du professeur. Il a également porté plainte auprès de la police. Sa vidéo était déjà devenue virale au sein des cercles d’islamistes radicaux.

« Je suis prof »

Samedi, devant le collège du Bois-D’Aulne – école entourée de terrains de sport dans un quartier résidentiel de classe moyenne – des dizaines de parents, d’élèves et de voisins ont défilé pour rendre hommage à  Samuel Paty. Parmi eux, de nombreux enseignants. « C’est arrivé à Conflans, mais cela aurait pu arriver n’importe où en France », a déclaré, tremblante, Jeanine Vinouze, directrice à la retraite d’une autre école de la ville et habitante du quartier. Certains craignent l’autocensure des enseignants, rappelant le débat qui a touché la presse après les attentats de 2015. C’est autre chose qui préoccupe Claire Guyomarch, institutrice dans une autre école : le manque de contrôle des parents – pas des jeunes – sur les réseaux sociaux. « Nous ne pouvons rien dire. On voit souvent passer des propos diffamatoires, des menaces de parents qui disent qu’ils vont frapper l’enseignant quand ils n’aiment pas ce qu’il fait. Mais ça ne va pas plus loin, rien ne se passe jamais après. Sauf que maintenant, un homme est mort ». Un hommage national sera rendu ce mercredi. Cinq ans après « Je suis Charlie », une autre devise est née : « Je suis prof ».

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