Quand Fondapol quantifie le terrorisme islamiste...

Dominique Reynié, Katherine Hamilton, Mathilde Tchounikine, Victor Delage | 02 novembre 2021

Quantifier le terrorisme islamiste est un travail difficile mais nécessaire, que la Fondation pour l'innovation politique a voulu contribuer à faire en repérant les formes que ce terrorisme a pu prendre au fil des décennies, en recensant les actes qu'il a pu inspirer ou initier, en estimant le nombre de ses victimes, en identifiant les organisations les plus meurtrières et les pays les plus touchés.

Nous avons collecté une très grande quantité d’informations afin de construire une volumineuse base de données, répertoriant les attentats islamistes dans le monde, du 27 décembre 1979 au 31 mai 2021.
L’étude montre d’abord l’ampleur de cette violence que nous sommes les premiers à documenter. Au total, nous avons recensé 48 035 attentats islamistes ayant provoqué la mort d’au moins 210 138 personnes entre 1979 et mai 2021. L’étude indique ensuite que si l’émergence du terrorisme islamiste a lieu à partir de l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge, en 1979, il ne cesse de monter en puissance jusqu’à la prise de Kaboul par les talibans, le 15 août 2021.

Les prémices d’un terrorisme islamiste transnational (1979-2000)

L’année 1979 signe l’échec historique du nationalisme arabe concurrencé par les mouvements d’islamisation et d’affirmation du djihadisme. Cette même année, plusieurs événements précipitent cette évolution : l’intervention militaire de l’URSS en Afghanistan, la révolution iranienne, la signature des accords de Camp David, et enfin la prise d’otages de la Grande Mosquée de La Mecque par un groupe de fondamentalistes islamistes, en novembre-décembre 1979.
Dès les années 1980-1983, le déploiement du terrorisme islamiste est visible avec l’activisme des Frères musulmans en Syrie. Plus tard, à la suite du retrait de l’Armée rouge de Kaboul, le 15 février 1989, les moudjahidines retournent dans leur pays d’origine, y diffusant le salafisme djihadiste. La décennie suivante voit la violence islamiste s’étendre, notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Entre 1979 et 2000, nous comptabilisons 2 194 attentats islamistes ayant causé la mort de 6817 personnes.
Rapidement, les attentats islamistes ont frappé partout dans le monde, atteignant jusqu’au coeur des pays occidentaux, exacerbant les sentiments de peur, de méfiance et de suspicion à l’égard des musulmans. La série d’attaques du 11 septembre 2001 est la plus meurtrière de l’histoire du terrorisme, avec 3 001 morts et 16 493 blessés. En Europe (hors Russie), depuis 1979, on recense 197 attentats et 789 morts. La France est le pays d’Europe le plus touché. Sur cette même période, on compte 82 actes terroristes islamistes ayant entraîné la mort de 332 personnes. Outre la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Grèce, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse ont été frappés, parfois à plusieurs reprises. C’est néanmoins en dehors du monde occidental que les pays ont subi la violence islamiste plus souvent et plus durement encore. En effet, 89,5% des attentats islamistes ont été commis dans des pays musulmans. De même, la très grande majorité des morts provoquées par des attentats islamistes (91,7 %) ont été enregistrées dans des pays musulmans.

Le tournant du 11-Septembre (2001 – 2002)

Les attentats du 11 septembre 2001 commis par Al-Qaïda sur le sol américain consacrent l’avènement de la globalisation sur le sol américain consacrent l’avènement de la globalisation du terrorisme islamiste. La diffusion en direct et planétaire de cet événement dramatique marque aussi le début d’une nouvelle ère dans la médiatisation du terrorisme. À l’information différée et destinée à des publics particuliers, s’ajoute désormais une information immédiate et globale. Ce nouvel espace public affecte profondément le travail des médias traditionnels – télévision, presse et radio. L’avènement des réseaux sociaux et des smartphones ouvre les portes de la communication de masse à d’innombrables nouveaux acteurs, à commencer par les organisations terroristes. Confrontés à la machine de guerre américaine dans la durée, les islamistes s’organisent, en acquérant une dimension internationale qu’ils ne cessent d’affirmer. Entre 2001 et 2012, le nombre d’attentats et de victimes croît de manière dramatique, On note une forte augmentation du nombre d’attaques islamistes, avec 8 265 attentats (contre 2 194 au total entre 1979 et 2000) et 38 186 morts (contre 6817 au total entre 1979 et 2000).

L’irruption de l’État islamique et de Boko Haram (2013-mai 2021 )

Théorisée dans les années 2000, la stratégie de l’État islamique (EI) est de favoriser le chaos et de globaliser le Djihad. Son objectif est de cultiver la religion dans l’esprit des masses, de faire de l’islam l’unique ordre politique et social, et de former les jeunes afin d’instituer une société militarisée. Si les attentats qui échouent ne sont généralement pas revendiqués par l’EI, a contrario, la « maison mère » irako-syrienne revendique directement l’attentat lorsqu’il est très meurtrier. On pense par exemple à l’attaque du musée du Bardo, en Tunisie, le 18 mars 2015, ou aux attentats du 13 novembre 2015 en France, revendiqués dès le lendemain par l’EI. Selon notre étude, c’est à partir de 2013 que l’organisation multiplie les actes terroristes. Cette année-là, nous recensons trente fois plus d’attentats commis par l’EI par rapport à l’année précédente (374 attentats en 2013, 12 en 2012).
Le terrorisme s’étend à l’Afrique subsaharienne. L’organisation Boko Haram, créée en 2002, au Nigeria, prône un islam salafiste djihadiste hostile à toute influence occidentale. Son objectif est de créer un califat régi par la charia, tout comme l’EI, auquel il prête allégeance en mars 2015. Le groupe amplifie son activisme terroriste à partir de 2009. Dès 2014, le théâtre d’opération du groupuscule islamiste s’étend dans les pays frontaliers du lac Tchad, au nord du Cameroun, au Niger et au Tchad. Entre 2009 et mai 2021, Boko Haram est responsable de 3691 attentats, dont le bilan humain – 25719 morts – est particulièrement cruel.

L’Afghanistan est le pays le plus touché, tandis que les talibans forment le groupe terroriste le plus meurtrier

En octobre 2017, alors que Donald Trump appelle au retrait militaire d’Afghanistan, les forces afghanes contrôlent encore 56 % du territoire. Le 20 février 2020, un accord est conclu entre les États-Unis et les talibans afin de permettre le départ des forces américaines, et le 14 avril 2021, Joe Biden fixe officiellement le retrait des troupes au 11 septembre 2021, Kaboul tombe le 15 août 2021 : les talibans sont de retour au pouvoir, vingt ans après la déclaration de guerre des États-Unis. L’actualisation de notre base de données montre que depuis 1979, l’Afghanistan est le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, aussi bien en nombre d’attentats (15 874) que de victimes (66 662). Le nombre de morts a doublé entre 2014 (4 209) et 2020 (10 734), témoignant d’une montée en puissance de la violence. Entre 2017 et 2021, nous avons recensé 4 517 attaques contre des cibles militaires, 2 423 contre des cibles policières, 979 contre des civils et 578 contre des cibles gouvernementales. Lors de la première édition de cette étude, en octobre 2019, l’État islamique était le groupe le plus meurtrier (52 619 morts) entre 1979 et 2019, devant les talibans (39 733) et Boko Haram (22 287). Après consolidation des données 2018-2019, en intégrant l’année 2020 ainsi que les cinq premiers mois de 2021, ce sont les talibans qui forment désormais le groupe le plus meurtrier (69 303 morts), suivis par l’État islamique (58 632) et Boko Haram (25 719).

En 2021, l’Afrique subsaharienne demeure un important foyer du terrorisme islamiste

Nos données indiquent qu’entre 2019 et mai 2021, l’Afrique subsaharienne est restée un important foyer du terrorisme islamiste: 862 attentats et 3 893 morts en 2019; 2005 attentats et 5 099 morts en 2020; 1 962 morts et 1 229 attentats entre janvier et mai 2021. Boko Haram reste le groupe islamiste le plus actif et le plus meurtrier dans la région, avec 1028 attentats perpétrés (25,1 % de l’ensemble des attentats islamistes perpétrés en Afrique subsaharienne), faisant 3 984 morts (36,4 % de l’ensemble des morts du terrorisme islamiste en Afrique subsaharienne). Les pays les plus touchés sont situés autour de la région du lac Tchad : Nigeria (3 057 morts), Niger (1 268), Burkina Faso (708), Cameroun (662). À l’est, la Somalie compte un grand nombre de victimes du terrorisme islamiste (2 420),tout comme le Mozambique (911). •

Dominique Reynié (dir.), Les attentats islamistes dans le monde 1979 – 2021, (Fondation pour l’innovation politique, septembre 2021).

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