Relocalisations : des entreprises tentent le « made in France »
Anne de Guigné | 09 mars 2021
Les Français rêvent de souveraineté économique. Le gouvernement communique massivement sur ce mouvement qui reste pourtant très ciblé.
À la sortie du confinement du printemps dernier, Emmanuel Macron avait promis la relocalisation des industries stratégiques. Il lui fallait répondre à la stupeur des Français découvrant que leur pays ne savait plus produire le matériel médical le plus basique. Selon un sondage Odoxa d’avril, 92 % de la population s’enthousiasmait alors pour les relocalisations industrielles, promesses d’un retour de la souveraineté économique mais aussi de revitalisation de territoires abandonnés.
Face à ces grandes déclarations, les économistes avaient marqué un scepticisme certain: alors que les chaînes de production industrielle ont été éclatées aux quatre coins de la planète, notamment dans des pays à très bas coûts de production, ce rêve de rapatriement paraissait bien utopique. L’incapacité de Donald Trump, malgré toutes ses injonctions, à faire renaître sur le sol américain l’industrie disparue pendant son mandat, avait d’ailleurs démontré les limites de l’exercice.
L’exécutif en a bien sûr conscience. Passée sous les fourches caudines des techniciens de Bercy, la promesse politique s’est muée en dispositifs d’aides concrets, modestes certes, mais plébiscités par les entreprises. « Il ne s’agit pas de rapatrier en France ou en Europe l’intégralité des productions industrielles y compris celles sur lesquelles nous ne serions pas compétitifs. Cela n’aurait aucun sens », précisait encore Bruno Le Maire, le 15 février dernier.
Le gouvernement cible cinq secteurs stratégiques: la santé, l’agroalimentaire, l’électronique, les intrants essentiels et la 5G. L’objectif est de favoriser aussi bien des rapatriements de production que de nouvelles implantations technologiques. Autrement dit, il s’agit d’accompagner tant que possible une forme de réindustrialisation du pays.
Au dernier pointage, 160 projets lauréats avaient été retenus pour bénéficier d’une aide de l’État pour un montant total de 326 millions d’euros venant soutenir plus de 1,8 milliard d’euros d’investissements industriels. Une aide de 2 millions d’euros, sur un investissement total de 7 millions, a par exemple été octroyée au constructeur de motos Sherco qui emploie 100 salariés. L’entreprise va rapatrier une partie de sa production, notamment de boîtes de vitesses, jusqu’ici fabriquées en République tchèque et Italie, dans son usine de Nîmes.
Une enveloppe dédiée de 850 millions
Au total, l’enveloppe dédiée à la relocalisation pour toute la période du plan de relance atteint désormais, après une première augmentation, 850 millions d’euros. « Comparé à l’ensemble de l’investissement industriel, c’est un montant bien sûr assez faible, analyse Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). L’idée est d’aider des projets tout proches de la rentabilité qui basculeront du bon côté grâce à l’aide publique. Nous verrons dans quelques années si l’État est parvenu à ce ciblage très fin. Dans tous les cas, le volet communication n’est pas vain. Il peut provoquer un effet d’entraînement ».
Pour l’économiste, la meilleure politique en faveur des relocalisations reste bien sûr l’amélioration générale de l’attractivité française, qui bénéficiera à tous les industriels. Les relocalisations proprement dites, ne concernent en effet qu’une petite minorité d’entreprise. Dans une étude de la Fondation pour l’innovation politique (Souveraineté économique : entre ambitions et réalités, janvier 2021), les économistes Emmanuel Combe et Sarah Guillou affirment ainsi qu’environ 4 % des entreprises implantées en France auraient procédé entre 2009 et 2011 à des délocalisations – même si « dans l’industrie manufacturière et les services de l’information et de la communication, les chiffres peuvent atteindre jusqu’à 9 %. »
Depuis une dizaine d’années, des entreprises reviennent d’elles-mêmes au compte-goutte. Selon une étude de 2013 d’El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, elles relocalisent essentiellement pour quatre raisons: la hausse des coûts salariaux dans les pays émergents, l’automatisation et la robotisation de la production en Europe, les exigences de la demande en termes de design ou de réactivité, mais aussi la hausse des coûts du transport. La grande majorité n’avait en rien été influencée par les aides publiques proposées à l’époque (crédit d’impôt de 2005, prime à la relocalisation de 2008 devenue aide à la réindustrialisation…).
La prochaine grande étape se jouera au niveau européen avec, notamment, le projet de taxe carbone. Cette taxe vise à pénaliser l’importation en Europe de biens à la production très émettrice de gaz à effet de serre. Si la Commission parvient à l’imposer, elle rendra la dilatation des chaînes de production nettement moins intéressante.
Emmanuel Combe et Sarah Guillou, Souveraineté économique : entre ambitions et réalités (Fondation pour l’innovation politique, janvier 2021).
Valérie Faudon, Relocaliser en décarbonatant grâce à l’énergie nucléaire (Fondation pour l’innovation politique, décembre 2020).
Frédéric Gonand, Relocalisations : laisser les entreprises décider et protéger leur actionnariat (Fondation pour l’innovation politique, septembre 2020).
Patrice Geoffron, Europe : la transition bas carbone, un bon usage de la souveraineté (Fondation pour l’innovation politique, septembre 2020).
Yves Bertoncini, Relocaliser en France avec l’Europe (Fondation pour l’innovation politique, septembre 2020).
Paul-Adrien Hyppolite, Relocaliser la production après la pandémie ? (Fondation pour l’innovation politique, septembre 2020).
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