Retraites : pour Emmanuel Macron, l’indispensable réforme

Claire Gatinois | 15 février 2023

Si sa majorité semble s’être ressoudée face à LFI, le chef de l’Etat est encore loin d’avoir convaincu toute la droite de voter le texte. Il doit venir à bout de cette réforme sans, pour autant, donner le sentiment de gouverner contre le pays.

Elisabeth Borne encaisse, impassible ou presque. La première ministre observe son nom s’étaler, à Paris et en province, sur les banderoles des manifestants contre la réforme des retraites l’accusant de brutalité et de fourberie. Elle regarde son effigie pendue au bout d’une corde. Blessée, sans doute, elle n’en dit rien. Avoir des états d’âme n’est pas dans l’ADN de la locataire de Matignon même si « elle est affectée par les mensonges », rapporte son cabinet. Les invectives et les outrances à son encontre font partie de la peine infligée à tout premier ministre chargé d’un projet hautement impopulaire. Elle a signé. Il faut tenir bon, a-t-elle plaidé, mardi 14 février, devant ses troupes, lors du petit déjeuner de la majorité. « Quand l’ouvrage est sur le métier, il faut le terminer », appuie-t-on à l’Elysée.

Un gouvernement inflexible, en dépit de manifestations qui se succèdent ? « Vous êtes droit dans vos bottes comme jadis d’autres l’étaient », a accusé, mardi, depuis l’Hémicycle, le député des Yvelines Benjamin Lucas (Génération.s), s’adressant au ministre du travail, Olivier Dussopt, chargé du dossier des retraites.

A la veille d’une nouvelle mobilisation programmée le 16 février, avant la menace brandie par les syndicats de mettre, le 7 mars, la « France à l’arrêt », l’hôte de Matignon a pourtant lâché quelques sacs de lest pour faire preuve « d’écoute », tout en tâchant de ne pas faire flancher sa montgolfière. S’offusquant des « contre-vérités » colportées, selon elle, sur le projet qui prévoyait initialement de reculer l’âge de départ à la retraite à 65 ans, contre 64 désormais, la cheffe du gouvernement continue de vouloir convaincre les députés du parti Les Républicains (LR), alliés-clés. Afin d’obtenir une majorité à l’Assemblée et au Sénat pour faire voter le projet sans recours au 49.3, instrument permettant de faire adopter un projet sans vote. Une telle hypothèse signerait l’échec de la première ministre et, aussi, celui du chef de l’Etat. Mais l’addition des voix de la droite est loin d’être acquise, comme en témoigne le rejet par LR, mardi soir, de l’article 2 de la réforme, portant sur l’index des seniors.

« Le président doit en passer par là »

« Emmanuel Macron est dans une double impossibilité. Celle de faire en évitant le passage en force, ce qui semble délicat. Et celle de ne pas faire qui serait un désastre pour le gouvernement et sa majorité poursuivant un long cycle d’incapacité politique. Renoncer condamnerait Emmanuel Macron à l’inactivité », analyse Dominique Reynié, enseignant à Sciences Po.

Désignée au sein du gouvernement comme un « cap Horn » à franchir malgré les vents contraires, la réforme des retraites est devenue un symbole. Une étape indispensable de ce début de second quinquennat qui s’inscrit « dans un grand dessein plus large qui permettra à la France d’atteindre le plein-emploi », explique-t-on à l’Elysée. Tout refus d’obstacle est, à ce stade, impensable. « C’est comme la pâte dentifrice. Une fois que vous avez appuyé sur le tube, c’est difficile de la faire rentrer à nouveau », observe Laurent Marcangeli, chef du groupe des députés Horizons qui, malgré ses « doutes », assure : « On aidera le gouvernement et on ira jusqu’au bout. »

« Emmanuel Macron ne peut renoncer. Il en va de son image de réformateur », met en garde le sénateur (LR) de Vendée, Bruno Retailleau, qui assimile un éventuel recul à une « abdication ». « C’est dans la culture de notre pays. Il y a le sentiment que le président doit en passer par là. Si Emmanuel Macron recule sur les 64 ans, il passera pour quelqu’un de velléitaire, sa crédibilité sera entamée », observe Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut de sondage Ipsos.

« A l’écoute »

Régulièrement accusé d’avoir une pratique trop « verticale » du pouvoir, le président de la République doit donc venir à bout de cette réforme sans, pour autant, donner le sentiment de gouverner contre le pays. Si l’exécutif reste sourd à la principale revendication de la rue, qui réclame, par la voix des syndicats, d’abandonner la mesure d’âge, il assure être « à l’écoute » d’une France en colère au travers des parlementaires. « Notre démocratie est dynamique en ce qu’elle peut s’exprimer dans la rue, mais elle est aussi dynamique en ce qu’elle peut s’exprimer au sein de la maison du peuple qu’est le Parlement », a signalé le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, dimanche 12 février sur France Inter.

Voilà l’écueil. L’Assemblée est chahutée par les députés de La France insoumise, auteurs de quelque 13 000 amendements visant à faire obstruction aux débats. Rebaptisé « La France indigne » par Aurore Bergé, la cheffe des députés Renaissance, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon entraverait par ses outrances la bonne volonté du gouvernement et nuirait à l’intérêt général, selon les macronistes.

« La France insoumise est un obstacle au débat démocratique sain et clair que nos compatriotes sont en droit d’avoir sur la réforme des retraites », s’est agacé, lundi, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. « Ce qu’il se passe à l’Assemblée nationale en ce moment, c’est grave. On montre depuis une semaine qu’à cause de quelques-uns nous ne sommes pas capables de mener un débat démocratique », a abondé, mardi, la présidente (Renaissance) de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet.

L’attitude de députés « insoumis » multipliant les invectives et attaques ad hominem contre le gouvernement, dénoncée jusqu’au syndicaliste Laurent Berger, patron de la CFDT, a permis de ressouder la majorité, où perçaient ici et là des voix critiques contre le projet. Assez pour redonner espoir à l’exécutif de faire voter le texte, en misant sur l’épuisement des manifestations.

« A la fin il y aura peut-être un peu de ressentiment, mais les Français sont lucides. Les chiffres sont là, la démographie est là. Cette réforme est nécessaire », veut croire François Patriat, chef de file des sénateurs macronistes. Mais il reste un danger à plus long terme, que souligne Brice Teinturier : « Laisser penser que le gouvernement a raison contre le peuple est une fabrique du populisme. »

 

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