Stéréotypes, insultes, agressions : "radiographie" d'un antisémitisme toujours stagnant en France
Victor Vasseur | 26 janvier 2022
Une nouvelle étude de la Fondation pour l’innovation politique et de l’AJC dévoile l’ampleur de l’antisémitisme en France et le poids des préjugés. Plus d'une personne de confession ou de culture juive interrogée sur deux indique avoir déjà été insultée en raison de sa religion.
Les préjugés ont la peau dure. « Les stéréotypes négatifs à l’égard des Juifs sont toujours aussi présents » en France, écrivent les auteurs de la nouvelle « Radiographie de l’antisémitisme », publiée mercredi par la Fondation pour l’innovation politique et l’American Jewish Committee (AJC). Blagues potaches, insultes, agressions verbales et physiques, « l’année 2021 a été marquée par la multiplication d’incidents antisémites ». Ce sondage révèle que la plupart des Français juifs (74%) disent « avoir déjà subi au cours de leur existence un comportement antisémite, de la moquerie à l’agression physique en passant par l’insulte ou la menace verbale ».
L’enquête menée entre autres par Dominique Reynié, le directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, et Anne-Sophie Sebban-Bécache, la directrice de l’American Jewish Committee, a été réalisée auprès 1.509 Français, et un échantillon de 521 personnes de confession ou de culture juive.
Des préjugés antisémites ancrés dans la population
Deux tiers des Français interrogés estiment que l’antisémitisme est répandu (64%), et en augmentation. Les Français de confession ou de culture juive estiment pour la plupart d’entre eux, à 73% que l’antisémitisme est de plus en plus présent ces dix dernières années. Ce sondage révèle également que 30% des personnes interrogés sont d’accord avec l’idée selon laquelle « les Juifs seraient plus riches que la moyenne des Français ».
D’autres clichés persistent : « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » trouve de l’écho chez 26% des répondants. 24% des sondés trouvent que « les Juifs ont trop de pouvoir dans les médias ». Ces chiffres sont stables par rapport à l’enquête menée en 2016.
53% des sondés déjà victimes d’insultes
Les réflexions concernant les Juifs restent enracinées, les blagues de mauvais goûts encore présentes. Deux tiers des Français interrogés (68%) ont déjà été témoins de « moqueries désobligeantes ou de propos vexants ». « Ces ‘moqueries désobligeantes’ ne peuvent pas être mises sur le même plan que des actes violents, mais leur ampleur témoigne de la permanence au sein de la société française de vieux préjugés antisémites, préjugés auxquels sont fréquemment confrontés les Juifs », indique l’étude.
Les Juifs ne sont pas seulement victimes de plaisanteries, les actes antisémites perdurent. 53% des sondés disent avoir reçu des insultes (48% en 2019), « des menaces d’agression (24 % en 2021, pour 22 % en 2019), des vols et dégradations (22 % en 2021 et en 2019) et des agressions physiques (20 % en 2021, 23 % en 2019) » d’après l’enquête.
De plus en plus de jeunes touchés
Les réseaux sociaux sont devenus l’un des espaces où la parole antisémite se libère le plus d’après le sondage : « 28 % des Français juifs indiquent avoir déjà été menacés sur les réseaux sociaux, une proportion qui atteint même 46 % pour ceux âgés de moins de 25 ans. » De plus en plus de jeunes se disent victimes d’antisémitisme. En 2019, 53% des 18-24 affirmaient avoir été au moins une fois insultés, ils sont aujourd’hui 63%. Les réseaux sociaux sont souvent cités, mais l’école est devenue « le premier lieu d’exposition à des violences antisémites ».
60 % des victimes indiquent avoir été agressées à l’école, dont 42 % à plusieurs reprises. « Les familles juives l’ont compris et demandent souvent à leurs enfants de ne pas porter de signes reconnaissables de leur judéité, et même d’éviter de révéler le fait qu’ils sont juifs. C’est pourquoi ces familles scolarisent de plus en plus souvent leurs enfants dans des établissements confessionnels, catholiques ou juifs ».
Des préjugés présents dans l’électorat LFI et RN
Cette étude dirigée par la Fondation pour l’innovation politique montre qu’une certaine catégorie la population s’avère plus réceptive aux préjugés antisémites : les hommes âgés de plus de 65 ans. « La diffusion des préjugés antisémites est également plus répandue à l’extrême gauche et à l’extrême droite » note les chercheurs. « 33 % des répondants au sein de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon et 34 % des proches de la France Insoumise » affirment dans ce sondage que « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance ». Ils sont 39% au sein de l’électorat du Marine Le Pen, 26% dans l’ensemble de la population.
Quitter la France comme ultime solution
Cette crainte d’être insulté ou agressé est si présente qu’elle provoque des changements de comportements. « Force est de constater que le risque associé au port de signes distinctifs est intégré par les Français juifs, certains d’entre eux estimant même que porter une kippa revient à « provoquer » une agression » constate les chercheurs.
L’enquête indique aussi que près de la moitié des Français juifs (46%) ont déjà envisagé de quitter la France, c’est six points de moins par rapport à l’étude de 2019. Ce qui change, ce sont les raisons pour justifier leur départ. 13% des sondés veulent quitter la France en raison des craintes pour leur avenir, contre 21% en 2019. En revanche, les raisons culturelles ou religieuses progressent en trois ans, de 6% à 12%.
Dans sa conclusion, les chercheurs veulent rappeler « qu’entre un quart et un tiers de nos concitoyens partagent ces préjugés antisémites. Cette nouvelle radiographie de l’antisémitisme confirme la persistance de l’antisémitisme au cœur de la société français. »
Lire l’article sur franceinter.fr.
François Legrand, Simone Rodan-Benzaquen, Anne-Sophie Sebban-Bécache, Dominique Reynié (dir.), Radiographie de l’antisémitisme en France – édition 2022, (Ifop, Fondation pour l’innovation pour l’innovation politique, American Jewish Committee, janvier 2022).
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