Terrorisme islamiste : pourquoi la France ne baisse pas la garde face à la menace de solitaires radicalisés

Frédéric Abela | 18 octobre 2021

Alors que les familles des victimes des attentats terroristes du 13 novembre 2015, à Paris et Saint-Denis, défilent à la barre de la cour d’assises spéciale, la menace terroriste est toujours aussi élevée en France. Le passage à l’acte d’un radicalisé solitaire est la crainte des services de renseignement.

Ce sont des blessures à vif. Le genre de plaies béantes jamais refermées. Des souffrances indicibles qui font chavirer d’effroi la cour d’assises spéciale de Paris. Alors que les familles des 130 victimes des attentats du 13 novembre 2015, à Paris et Saint-Denis, témoignent à la barre durant ce mois d’octobre, la France n’a jamais baissé la garde face à la menace islamiste.

Le maintien du niveau de vigilance maximale sur le territoire national atteste d’un risque d’attaques toujours aussi élevé. Mais près de 10 ans après les tueries de Mohammed Merah, à Toulouse et Montauban et six ans après les massacres du Stade de France, des terrasses parisiennes et du Bataclan – les pires attaques jamais commises sur notre sol – où en est vraiment cette menace islamiste en France ? Depuis 2012 jusqu’en mai 2021, 55 attentats ont fait 300 morts dans l’Hexagone.

La France au 29e rang des pays les plus touchés

Dans son étude portant sur les attentats islamistes dans le monde, la Fondation pour l’innovation politique classe la France au vingt-neuvième rang (sur 69) des pays les plus touchés par le terrorisme islamiste, entre 2013 et 2021.

Au lendemain de l’attaque devant le commissariat de Rambouillet, le 23 avril 2021, où une policière a été assassinée par un Tunisien radicalisé sur internet, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait prévenu : « Nous savons que la lutte contre la menace islamiste sera longue ».

Au cours de la dernière décennie, les jihadistes de Daech ont fait payer à la France son intervention armée, notamment en Syrie, aux côtés des forces de la coalition. Dès l’instauration du califat par les terroristes de l’Etat islamique, en 2014, sur les territoires syriens et irakiens, une véritable force opérationnelle capable de projeter des attentats en Europe constituait le principal danger. La France était alors devenue l’une des cibles prioritaires.

Les frères Clain originaires de Toulouse

À cette époque, les hauts cadres de l’EI comptaient dans ses rangs d’anciens vétérans du jihad originaires d’Occitanie. Colonne vertébrale de l’islam radical en région toulousaine, les frères Clain, réfugiés en Syrie avant d’être tués en 2019, sont à l’origine de la revendication des attentats du 13 novembre 2015. Or, avec l’anéantissement des territoires de Daech en zone irako-syrienne, le risque de ce type d’attaques coordonnées depuis le « Châm », véritable marque de fabrique de l’EI, est devenu quasiment nul.

 

La carte du terrorisme en France.

La carte du terrorisme en France. DDM

 

« L’organisation terroriste a perdu des territoires et ses principaux cadors ont été tués par les frappes de la coalition ces deux dernières années », constatent les observateurs et spécialistes du monde arabe. Mais le pouvoir de nuisance de cette idéologie mortifère essaime en d’autres lieux. Le Pakistan et bien sûr l’Afghanistan et ses talibans restent des zones sensibles où l’hydre islamiste peut se reconstruire à moyen terme.

En charge du ministère de l’Intérieur du nouvel Afghanistan, Sirajuddin Haqqani, dont le père entretenait des liens étroits avec le terroriste du 11-Septembre, Oussama Ben Laden, constitue une vraie menace pour le monde occidental. Le réseau Haqqani a la réputation d’activer des kamikazes et d’organiser des opérations terroristes complexes. « Ce réseau a lancé de nombreux attentats suicides dans le pays et il est connu pour ces nombreuses conspirations criminelles. Il y a tout à craindre…», témoigne un rare journaliste afghan que nous avons contacté.

Fin août, cinq réfugiés afghans arrivés en France ont fait l’objet de surveillance et l’un d’eux a été placé en garde à vue pour des présumés liens avec les talibans. Ces surveillances sont toujours en cours.

La menace endogène est bien réelle

Si Daech a perdu de ses capacités à projeter des opérations vers des pays étrangers, comme en France, avec notamment le démantèlement de sa cellule spécialisée après les attaques de Paris et Saint-Denis, la menace endogène est bien réelle.

Le passage à l’acte d’un solitaire radicalisé, inspiré par le discours radical de l’islam sunnite, est le cauchemar de tous les services de renseignement. Ces derniers ont renforcé leurs moyens humains et techniques pour se hisser à la hauteur des nouveaux enjeux.

L’attaque devant le commissariat de Rambouillet, en avril dernier, en est la malheureuse illustration. Des profils isolés, psychologiquement perturbés, inconnus des services de police mais dont la radicalisation express leur donne un pouvoir d’action quasiment indétectable. C’est à ce nouveau défi que les forces de l’ordre sont aujourd’hui confrontées.

Occitanie : 600 profils sous surveillance

En Occitanie, les services du renseignement surveillent près de 600 individus fichés S pour « islam radical ». Ce nombre comprend des détenus libérés depuis peu et des dizaines d’autres qui doivent l’être. « Sur la totalité des affaires traitées par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), près de 50 % concernent la région Occitanie », affirme Christophe Miette, représentant régional du syndicat des cadres de la sécurité intérieure.

La zone sud qui s’étire de Toulouse à Marseille, en intégrant la Corse, recense environ 1 500 personnes suivies au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (7 500 au niveau national). 51 % de ces personnes sont suivies en Occitanie. Sur ces 1 500 personnes, 80 % sont des hommes et 3 % sont des mineurs.

Les secteurs de l’animation sportive, les clubs de lutte, de boxe ou de MMA (arts martiaux mixtes) ainsi que les associations de soutien scolaire à visée communautaire font l’objet de nombreuses surveillances. Les services de renseignement ont aussi un œil sur la mouvance de l’ultragauche et des possibles ramifications avec la Syrie.

Pamiers : la maison d’édition prônait le jihad

Mercredi 29 septembre, en conseil des ministres, Gérald Darmanin a officialisé la dissolution de la maison d’édition associative Nawa, basée à Pamiers, pour apologie du jihad. Dans un décret diffusé notamment via le compte Twitter du ministre de l’Intérieur, on apprend que la structure ariégeoise, qui se présentait comme un « centre d’études orientales et de traduction », a publié vingt-six ouvrages. « La plupart d’auteurs intégristes ou issus de la mouvance islamiste radicale. » Dont celle incarnée par l’Ariégeois Olivier Corel, dit « l’émir blanc », qui vit toujours à Artigat, à une vingtaine de kilomètres de Pamiers. Selon le ministère, le beau-père du président de l’association Nawa est l’un des fondateurs de la « filière Artigat » d’où sont notamment issus les frères Merah et Clain, Sabri Essid et Thomas Barnoin « avec lesquels il n’a jamais pris ses distances ». Par ailleurs, il est intéressant de noter que Nawa était aussi en contact avec BarakaCity, une ONG franco-musulmane dissoute fin 2020 pour « incitation à la haine », liens avec « la mouvance islamiste radicale » et « justification d’actes terroristes ». De son côté, la maison d’édition que personne ne semble connaître à Pamiers fustige des « accusations graves » et « l’extrême droitisation antimusulmane » de la France.

Lire l’article sur ladepeche.fr.

Dominique Reynié (dir), Les attentats islamistes dans le monde 1979 – 2021, (Fondation pour l’innovation politique, septembre 2021).

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