Vote par anticipation à la présidentielle 2022 : machines à voter, modèles, polémique... on vous explique tout
Capucine Moulas | 17 février 2021
Le gouvernement a déposé mardi 16 février un amendement pour proposer un scrutin par anticipation qui serait, s’il est retenu, en vigueur dès l’élection présidentielle de 2022. On fait le point sur cette proposition polémique.
Dans un amendement déposé mardi 16 février devant le Sénat dans le cadre d’un projet de loi sur l’organisation de la présidentielle, le gouvernement propose d’instaurer un vote par anticipation dès la présidentielle de 2022, ce qui serait une première en France. Cette proposition fait cependant bondir une partie de la classe politique. On vous explique tout.
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Le vote par anticipation, de quoi s’agit-il ?
Le texte de l’amendement propose d’instaurer un scrutin qui se tiendrait dans la semaine précédent la date « officielle » du vote national. Cette première vague de votes serait organisée à une date précise, fixée par décret « au plus tard le sixième vendredi précédant le scrutin ».
Les électeurs souhaitant voter par anticipation seraient invités à se rendre dans la commune de leur choix, « parmi une liste de communes arrêtées par le ministre de l’Intérieur », pour choisir leur candidat via « une machine à voter ». Les résultats du dépouillement via ces machines ne seraient révélés que le jour du scrutin officiel à 19 heures et intégrés aux autres votes « traditionnels », « afin d’éviter les risques de fraude ou d’influence sur le vote des autres électeurs », indique le texte.
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Pourquoi voter par anticipation ?
« L’objectif est de faire baisser l’abstention », a défendu Christophe Castaner, député et président du groupe LREM à l’Assemblée nationale, mercredi sur France 2. « Si cela permet de donner la possibilité de voter à des personnes qui ne pourraient pas ou qui n’iraient pas voter, c’est important », argue l’ancien ministre de l’Intérieur.
« L’abstention dans les résultats est aujourd’hui très problématique », analyse Dominique Reynié, professeur à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique. « Il y a un haut niveau d’intention de voter de manière protestataire, en plus d’une forme de déception, de découragement et de retrait vis-à-vis des élections. Si l’on schématise, les plus en colère iront voter et les plus modérés vont davantage s’abstenir. On risque un accident électoral en 2022, en obtenant un résultat non intentionnel », décrypte le politologue aveyronnais.
Le vote par anticipation permettrait donc de toucher un plus grand nombre d’électeurs. « Si je vote par anticipation, je peux prévoir un week-end le jour du scrutin », illustre Dominique Reynié. « J’y vois aussi une raison sanitaire, précise-t-il. Je peux imaginer que l’on cherche à étaler la participation électorale pour éviter les regroupements le jour du vote, dans le cas où l’épidémie serait toujours d’actualité. »
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Ce type de scrutin existe-t-il dans d’autres pays ?
Le vote par anticipation existe aux États-Unis, par correspondance ou dans des bureaux de vote spécifiques, où il a atteint des records en 2020 (100 millions de suffrages exprimés) lors de l’élection présidentielle qui a donné Joe Biden gagnant, dans un contexte de pandémie de coronavirus. Ce système existe également en Allemagne, et en Suède, mais aussi au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou encore en Russie.
« Le Portugal vient d’élire son président de la République, 250 000 personnes ont voté ainsi, cela marche, étudions-le », a insisté Christophe Castaner. Les modèles à l’étranger semblent effectivement bien fonctionner, mais « il y a des cultures politiques très différentes et une forme de ritualisation, nuance Dominique Reynié. Au Royaume-Uni, on vote le jeudi, aux États-Unis, le mardi, en France, c’est le dimanche… Mettre fin à la tradition républicaine du vote dominical, ce n’est pas rien. »
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Pourquoi ce vote provoque-t-il une polémique ?
« Manœuvre politicienne » pour le président des sénateurs LR, Bruno Retailleau, porte ouverte à la « fraude » pour Florian Philippot (ex-FN), « ovni » pour le chef de file des centristes Hervé Marseille… La proposition du gouvernement est loin de faire l’unanimité en France.
« Nous sommes dans une atmosphère de baisse de confiance dans les institutions, y compris dans les suffrages », pointe Dominique Reynié. Pour lui, l’utilisation des machines à voter pourrait ainsi s’avérer problématique. « On vit dans une culture paranoïaque et complotiste, il faut moins que ça pour que ça déclenche des délires. Quand les résultats seront publiés, si ceux des votes par anticipation sont très différents de ceux des autres votes, ça laisse le champ libre à encore plus de défiance. »
Un autre point de vigilance, alerte le professeur : « On demanderait à des électeurs de consommer leur pouvoir électoral avant la fin de la campagne. S’il y a une déclaration incroyable le vendredi avant le vote ou une erreur, pour ces électeurs, c’est trop tard. Et que fait-on de la législation sur la publication des sondages ? Aujourd’hui, ils sont publiés jusqu’à la veille du scrutin, mais si je vais voter dans la semaine qui précède, les sondages peuvent être différents. Et ces sondages auront un effet sur les électeurs », note-t-il. « Un amendement peut faire bouger tout le système de vote. »
Christophe Castaner a, de son côté, nuancé : « Le gouvernement ouvre le débat et n’imposera rien. C’est le Parlement et le Sénat qui voteront et qui décideront. » Le texte technique sur l’élection présidentielle, déjà adopté par l’Assemblée nationale en janvier, doit être soumis jeudi 18 février en séance publique au Sénat, à majorité de droite. Auparavant, l’amendement aura été examiné ce mercredi 17 février par la commission des Lois qui devrait le repousser, selon la majorité sénatoriale. Il sera ensuite présenté le lendemain au vote de tous les sénateurs.
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