Concurrence: réguler les géants du web n’est pas la priorité!
05 juin 2018
Le Pew Research, l’un des think-tanks américains les plus respectés, publie régulièrement des enquêtes qui décryptent, avec une grande finesse, les comportements de nos contemporains. L’une de ses dernières études porte sur les pratiques des adolescents américains sur les réseaux sociaux. Elle est instructive.
Sans grande surprise, leur vie est toujours plus en ligne : ils sont 45% à se dire « constamment » sur Internet, contre 24% il y a 3 ans. Ils s’y connectent par leurs Smartphones (95% en possèdent un), outil uniformément diffusé à travers tous les milieux sociaux et ethniques, à la différence des ordinateurs qui sont plutôt l’apanage des milieux favorisés (96% des jeunes issus des familles dont les revenus dépassent 75 000 dollars annuels en ont un, contre 75% de ceux dont les familles ont moins de 30 000 dollars). C’est une révolution sociale : les premiers Smartphones ne sont apparus qu’en 2007 !
L’enquête confirme surtout qu’en matière de numérique, les goûts changent vite et les positions des réseaux sociaux peuvent basculer rapidement. Les jeunes ne sont ainsi que 51% à utiliser Facebook, qui est particulièrement peu populaire parmi les milieux les plus aisés (seuls 36% des plus riches d’entre eux l’utilisent !). A l’inverse, ils sont 72% à utiliser Instagram et 69% à être sur Snapchat. Leur consommation est désormais faite de vidéos : 85% se servent de Youtube. En 2015 (il y a 3 ans !), Facebook avait une popularité sans partage parmi les jeunes (71% des jeunes l’utilisaient), loin devant les autres réseaux (52% étaient sur Instagram, 41% sur Snapchat).
Ces tendances éclairent le débat public d’une lumière nouvelle. Alors qu’il s’écrit partout que les ‘géants’ du numérique seraient de nouveaux monopoles, les données du Pew montrent que, quand bien même cela serait vrai (ce qui est loin d’être établi), cette position est précaire : la position de Facebook a chuté au profit des autres plateformes.
Ces réalités doivent conduire à réviser notre vision de la concurrence. Celle-ci a été modelée sur l’idée que le rôle du régulateur est d’assurer l’atomicité du marché : plus il y a d’opérateurs aux parts de marché diluées, plus la concurrence serait effective ; à l’inverse, un opérateur dominant serait un ennemi de la concurrence. L’économie numérique montre que ce n’est pas nécessairement le cas : une plateforme avec une position écrasante peut être balayée rapidement, dès lors que de nouveaux opérateurs proposent des services plus attractifs (et ce, même si cet attrait semble mystérieux à tout utilisateur de plus de 25 ans … et encore plus à un régulateur administratif).
La nouvelle économie est faite de fluidité, là où l’ancienne était rigide. Il en devient plus difficile encore d’anticiper les évolutions du marché. Dans ce nouveau contexte, les freins à la concurrence ne sont peut-être pas tant les géants (qui seront devenus des nains demain s’ils n’innovent pas) que les normes, contraintes fiscales et autres régulations qui empêchent les nouveaux entrants de venir contester les positions acquises.
Cette nouvelle vision de la concurrence a été développée par Friedrich Hayek puis Israël Kirzner son disciple. Elle induit un basculement intellectuel, un changement de paradigme : au lieu de réguler pour maitriser le marché, il faut le déréguler pour en libérer les énergies. Ce n’est visiblement pas le chemin suivi par les Européens dont l’adoption du RGPD illustre à nouveau l’obsession régulatrice.
Erwan Le Noan
Article initialement paru dans L’Opinion
https://www.lopinion.fr/edition/economie/concurrence-reguler-geants-web-n-est-pas-priorite-chronique-d-erwan-152185
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