Déclic
Farid Gueham | 22 mai 2020
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Harpal Singh
« Exploitation des données privées, surveillance généralisée, addiction au smartphone, disparition de pans entiers de l’économie… Les critiques du monde du numérique ne cessent de s’amplifier ; difficile d’ignorer les conséquences de l’utilisation d’Amazon, Facebook, Google, Instagram ou Netflix ». Pour le startuper Maxime Guedj et Anne-Sophie Jacques journaliste, une nouvelle voie et non seulement possible, mais souhaitable, tant les GAFAM semblent s’éloigner chaque jour un peu plus de l’utopie où les fondements pas de l’internet prenaient racines. Mais les partisans de l’internet libre existent toujours. A partir de leurs témoignages, les auteurs ont voulu donner la parole à tous ceux qui « (re)font d’Internet un bien commun, un outil d’émancipation et de liberté : logiciels libres, design éthique, protection de la vie privée, information décentralisée ».
Il était une fois l’internet.
« Lorsqu’on évoque l’ancêtre de l’ordinateur, les images de salles immenses équipées de machines reliées par des kilomètres et des kilomètres de fils apparaissent immédiatement. Le contraste entre ces dinosaures et les smartphones glissés dans nos poches est saisissant. Il n’a fallu pourtant que cinquante ans pour passer de l’un à l’autre ». Le premier grand calculateur électronique, issu d’une commande de l’armée américaine en 1943 occupait près de 167 mètres carrés. Son fonctionnement mobilisait plusieurs équipes afin de le programmer. Dans les années 60, le « Programma 101 » est le premier ordinateur personnel commercialisé par l’entreprise italienne Olivetti.« Il ne faut qu’une seule personne pour contrôler cette machine au look futuriste, à l’aide d’un clavier. Les résultats, eux, s’impriment sur un petit rouleau de papier, comme une caisse enregistreuse ». Dans les années 80, Apple, avec son « Macintosh », devient le premier succès commercial pour un ordinateur et un an plus tard, Bill Gates lance sa première version de Windows : un système d’exploitation intégrant une interface graphique.
Les survivants ou l’art de la disruption.
« Au moment où les entrepreneurs et les entrepreneuses du web connaissaient une véritable décente aux enfers – dont certaines et certains ne se remettraient jamais – le monde découvrait une technologie et son potentiel extraordinaire (… ). A travers le champ de ruines, certaines jeunes entreprises parviennent à prouver la rentabilité de leur modèle et à tout rafler. Trois survivantes émergent, dont les noms sont aujourd’hui très familiers : Amazon, Netflix et Google ». Depuis les années 90, les règles du jeu de l’internet sont bouleversées. L’entreprise de Jeff Bezos, Amazon, est un des acteurs phares de cet emballement, d’une ascension fulgurante, associée à la notion de disruption, en bouleversant le modèle des librairies classiques, stockant dans ses entrepôts des millions de titres, s’affranchissant des contraintes d’espace et de loyer. Pour Maxime Guedj et Anne-Sophie Jacques, les méthodes agressives d’investissement des fonds de capital-risque s’apparentent à une innovation « version blitzkrieg », à travers une méthode consistant à concentrer ses forces et optimiser tout ce qui peut l’être : marketing, automatisation des tâches, optimisation fiscale, vides juridiques et masse salariale.
Abattre les clôtures.
« Les militantes et militants d’un internet libre ont une cause commune : se battre contre la privatisation de la connaissance. Cette lutte contre l’appropriation du savoir ne sort pas de nulle part : elle est née en réaction à un mouvement de privatisation tous azimuts qui – en quelques décennies – a vu l’appareil législatif considérablement renforcer le droit de la propriété privée, et notamment celui de la propriété intellectuelle ». Aux États-Unis, le mouvement de privatisation qui encadre le droit d’auteur s’est accéléré dans les années 80, lorsque la Cour suprême autorise le brevet sur une bactérie. Le vivant peut être breveté et transformé pour devenir une marchandise comme les autres. Aujourd’hui, la notion de propriété intellectuelle nous semble naturelle. L’économiste Thomas Piketty déplore quant à lui une « sacralisation » quasi religieuse de la propriété, qu’il appelle à dépasser en rendant notamment le pouvoirs aux usagers et aux salariés. Une alternative serait donc possible et trouverait des éléments de réponse dans les communs.
Le retour des communs.
« Pour comprendre ce que sont les communs, il faut revenir au XIIe siècle. Ce mot tire son origine des commons, qui désignaient à cette époque, les terres, rivières ou forêts non clôturées en Angleterre, lesquelles occupaient près d’un tiers des sols (…) A l’époque, la Charte des forêts considérait que « tout homme libre peut récolter le miel trouvé dans ses bois ». Alors que les propriétaires terriens reprochaient aux communs leur manque de productivité, les « enclosures », champs clos cultivés par la communauté, annonçaient un contre-mouvement de privatisation. Dans un article publié en 1968 pour la revue « Science » intitulé « la tragédie des communs », le sociobiologiste Garrett Hardin explique que lorsqu’une ressource est en libre accès, les utilisateurs y puisent sans limites, poussant à sa disparition. Une thèse opposée aux travaux de l’économiste Elinor Ostrom soulignant les capacités de résilience et d’organisation collective d’une communauté face à une ressource, récompensés par le prix Nobel d’économie en 2009. Parallèlement aux travaux d’Elinor Ostrom sur les communs, un autre mouvement se développe, autour du logiciel « lui aussi gagné par cette privatisation massive, et qui ne demandait qu’à être libéré ».
Traverser l’écran.
« L’enjeu d’un internet libre ne se résume pas à nos usages numériques. Il est bien plus dynamique et transversal, car il s’articule avec les défis écologiques, les luttes politiques pour faire entendre nos voix et la réconciliation d’une société qui imagine et construit les outils de demain ». ». Maxime Guedj et Anne-Sophie Jacques donnent à voir le monde numérique dans sa complexité, au-delà du simple reflet du monde réel. Nos écrans participent aujourd’hui à la construction de nos représentations et de nos interactions, notre consommation, nos usages. « Défendre un Internet libre, c’est s’emparer d’une force qui peut irriguer tous les autres combats pour la liberté. Un monde numérique libre, c’est surtout un monde libre ».
Farid Gueham
Consultant secteur public et contributeur numérique et innovation auprès de la Fondation pour l’innovation politique. Il est notamment l’auteur des études Vers la souveraineté numérique (Fondation pour l’innovation politique, janvier 2017) et Le Fact-Checking : une réponse à la crise de l’information et de la démocratie (Fondation pour l’innovation politique, juillet 2017).
Pour aller plus loin :
– « Chaque société invente un récit idéologique pour justifier ses inégalités », liberation.fr
– « Internet peut redevenir un bien commun si nous nous emparons des outils alternatifs aux GAFAM : entretien avec Maxime Guedj, co-auteur de déclic », francetvinfo.fr
– « Comment voyager sans Big Brother », wedemain.fr
– « Gouverner les communs », Elinor Ostrom, franceculture.fr
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