Économie du bien commun
Farid Gueham | 06 janvier 2020
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Photo by Dawid Zawiła.
« Il était plus facile de faire de la politique industrielle après la guerre, quand il s’agissait de reconstruire la France et de rattraper le retard. A l’époque, des infrastructures à la technologie maîtrisée, où la demande sociale était bien comprise ( transports, électricité, sidérurgie ), étaient clairement à construire ou à reconstruire. En revanche, les industries structurantes d’aujourd’hui, telles que le numérique, les biotechnologies ou les nanotechnologies, ne satisfont plus aux mêmes critères ». Dans son ouvrage « Économie du bien commun », Jean Tirole décrypte une numérisation de vaste ampleur, qui touche les relations interpersonnelles, du monde associatif à la politique. Mais au-delà des progrès incroyables qui accompagnent le progrès technologique, gain de temps et de pouvoir d’achat, l’auteur nous rappelle également que l’économie numérique comporte des dangers qu’il nous faut bien mesurer. Son essai aborde notamment les plateformes, « gardiennes de l’économie numérique », mais aussi les grands défis qui permettent de mieux comprendre la transformation profonde d’un secteur productif, de l’emploi, de la régulation et en somme, de l’ensemble de la société.
Les plates-formes : gardiennes de l’économie numérique.
« De plus en plus nous achetons et réalisons nos opérations bancaires en ligne, nous lisons les nouvelles sur les sites web, nous utilisons Uber, nous partageons nos déplacements sur BlaBlaCar, et nous réservons nos logements sur Airbnb. La numérisation de la société est au cœur des changements économiques et sociétaux du XXIe siècle. Elle impactera toutes les activités humaines, comme elle a déjà modifié le commerce, les médias, les transports ou l’hôtellerie ». Acteurs privés et publics ne peuvent plus ignorer les changements en cours et s’adapter au risque de disparaître. Ainsi, devant le déclin des médias traditionnels, la « National Public Radio » radio sans publicité, s’est transformée en une variante de « Spotify », analysant les données des auditeurs pour leur fournir un contenu sur-mesure. Pour Jean Tirole, il ne fait aucun doute que les services professionnels médicaux, juridiques ou fiscaux seront tous chamboulés par le machine learning, les algorithmes et l’automatisation.
La compatibilité entre les plates-formes.
« (…) les consommateurs ont la possibilité de faire appel à plusieurs plates-formes. Celle-ci doivent travailler en partenariat, assurant ainsi une interopérabilité entre leurs opérations ». D’autres plates-formes font le choix de ne pas être compatibles. Cette incompatibilité peut amener les utilisateurs à être présents sur plusieurs plates-formes, une pratique identifiée sous le nom de « multihoming ». Les comportements des acteurs influent par ailleurs sur le choix du modèle économique et cette concurrence entre opérateurs affecte in fine la manière dont ces derniers déterminent leurs tarifs.
Économie numérique : les défis sociétaux.
« La révolution numérique est riche en opportunités. Et que nous l’appelions de nos vœux ou non, elle se produira quoi qu’il arrive. Tous les secteurs seront affectés. C’est pourquoi nous devons anticiper les nombreux défis que la révolution numérique nous lance, de façon à nous y adapter plutôt que de les subir ». Pour Jean Tirole, les fondement de cette adaptation reposeront sur la confiance dans les plates-formes du web, la confidentialité des données, le maintien de la solidarité dans nos systèmes de santé, la crainte provoquée par la fragilisation du travail, ou encore le défi de la fiscalité des GAFA. L’utilisation de nos données personnelles, est ainsi étroitement liée à la problématique du droit de propriété.
La confidentialité des données personnelles.
Afin de répondre à nos inquiétudes quant à l’utilisation de nos données personnelles, les sites web nous proposent de lire nos politiques de confidentialité, s’efforcent d’être plus transparents, et cependant, « nous ne sommes pas en mesure de connaître exactement le risque que nous encourons ». Jean Tirole nous rappelle que nous n’avons pas de regard sur l’investissement de la plate-forme en matière de sécurité informatique. Du détournement d’informations sur les cartes de crédits, au vol de données gérées par les administrations publiques, ou encore les médiatiques piratages de courriels, d’informations personnelles, il apparaît urgent pour les entreprises du web d’internaliser le coût des brèches de sécurité pour leurs clients. « On peut dès lors se demander si le « consentement éclairé » que nous donnons aux sites web est toujours bien « éclairé ». La protection du consommateur par la régulation est importante ici aussi, comme elle l’est dans le commerce classique », rappelle l’auteur.
Les nouvelles formes d’emplois au XXIe siècle.
« Une inquiétude forte de nos concitoyens porte sur l’évolution de l’emploi et elle comprend deux volets distincts : le développement du travail indépendant et le chômage ». Lorsque certains préfèrent la sécurité relative du salariat au statut d’indépendant et au regroupement au sein d’espaces de bureaux partagés ( coworking ), la liberté qu’offre le second statut porte avec elle le développement des « micro-emplois » : « UberPop » permet à un employé ou un retraité de travailler quelques heures par jour pour compléter ses revenus et « OnmyWay » d’Amazon propose aux utilisateurs de livrer un colis sur un parcours personnel. Pour Robert Reich, secrétaire d’état au travail de Bill Clinton, ce phénomène s’illustre comme « l’économie du partage des restes » : « De nouvelles technologies informatiques rendent possible le fait que pratiquement tout emploi puisse être divisé en tâches discrètes qui peuvent être morcelées entre travailleurs le moment voulu, avec une rémunération déterminée par la demande pour ce job particulier à un moment particulier ».Pour ne pas manquer un tournant de l’économie mondiale ou connaissance, données et créativités seront au cœur de la chaîne de valeur, le monde de l’entreprise devra s’adapter, tout comme l’université, afin de valoriser créativité, pluriactivité et le besoin de s’exprimer au travail.
Vers une disparition de l’emploi ?
« La révolution numérique suscite aussi de nombreuses craintes quant à l’emploi et à son organisation : quels sont les emplois qui disparaissent ou vont disparaître ? Restera-t-il des emplois une fois que les logiciels intelligents et les robots se seront substitués aux emplois qualifiés aussi bien que non qualifiés ? ». Si le progrès technique détruit des emplois, il en créé d’autres par ailleurs ( dans le secteur du digital, de l’informatique, de la gestion des sites web etc…). Jean Tirole souligne que les prédictions alarmistes sur la disparation de l’emploi ne se sont jamais réalisées, comme l’annonçait John Maynard Keynes en 1930, prédisant un « chômage technologique généralisé », suite à l’électrification et au moteur à combustion interne. Et comme l’évoquaient les économistes Erik Bryjnolfsson et Adrew McAfee, notre recherche du lien social, que nous réalisons en grande partie à travers la valeur travail, représente un des remparts à la disparation de l’emploi : « (…) l’emploi est une des façons de se construire un tissu social. Peut-être serons-nous prêts à accepter une rémunération faible en échange de ce lien ».
Pour aller plus loin :
– « L’économie peut-elle faire le bien-commun », lemonde.fr
– « Traitement des plateformes numériques : contributions des services économiques des pays suivants : Allemagne, Danemark, Chine, Espagne, États-Unis, Italie, Royaume Uni, Moscou », tresor.economie.gouv.fr
– « La confiance à l’ère des plates-formes », lesechos.fr
– « On my Way: avec Amazon, le livreur, c’est vous ! », presse-citron.net
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