Entretien avec Israël Nisand : la santé connectée face aux GAFAM

10 février 2020

« Les géants du web sont omniprésents, y compris dans le secteur de la santé, et cela ne semble pas près de s’arrêter. Bien au contraire, ils deviennent des acteurs incontournables en accumulant des données personnelles qui en disent long sur notre état physique et psychique (…). Promesse d’une médecine plus efficace, violation de notre vie privée ou marchandisation de nos données personnelles, telles sont les questions soulevées par l’émergence de la santé connectée ».
A l’occasion de la 10e édition du Forum Européen de la bioéthique qu’il préside, le professeur Israël Nisand, gynécologue, obstétricien, chef du département de gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg, questionne la collecte et le traitement des données par les géants de l’internet. A l’occasion d’un entretien, Israël Nisand partage son inquiétude sur le cas plus spécifique du « Health Data Hub ». Cette plateforme mise en place par le gouvernement français, vise à permettre aux chercheurs à l’ensemble de données de santé du « SNDS afin d’entraîner des modèles d’intelligence artificielle. Par arrêté ministériel du 30 novembre 2019, le Health Data Hub est officiellement lancé. La plateforme est créée dans le cadre du projet de loi « Organisation et Transformation du système de santé », à partir des recommandations du rapport Villani sur l’intelligence artificielle. L’IA offre des usages multiples, dont la prédiction des crises ou l’évolution de maladie, la délivrance de diagnostics plus fiables, ou même la découverte de nouveaux médicaments. Mais pour être efficace, cette « IA » doit être alimentée : nos données sont son carburant.

Le Health Data Hub remis en question.
Regroupant la plupart des données issues des organismes publics de santé, le Health Data Hub regroupe ainsi la majorité des informations gérées par ces derniers. La collecte massive de ces données dans le cadre d’activités de recherche médicale assistées par l’intelligence artificielle, soulève des enjeux de souveraineté majeurs, et l’indignation d’Israël Nisand, qui s’interroge sur les modalités de contractualisation entre le gouvernement français et la société Microsoft. Nombreux sont les professionnels du secteur de la santé, mais aussi des défenseurs de la vie privée et de la confidentialité des données personnelles, à partager ce constat.

Des gages de sécurité peu convaincants.

Le HDH affirme que les données médicales personnelles hébergées seront chiffrées  et illisibles pour qui ne détient pas la clef de déchiffrement. Le nom des patients n’apparaîtrait pas, grâce à un procédé de pseudonymisation aléatoire. Pour Israël Nisand, ces précautions ne valent pas garanties, le problème majeur du HDH reposant essentiellement sur la localisation  du cloud de Microsoft.

Le choix de Microsoft : une opportunité pour gagner du temps ?
Israël Nisand déplore l’opacité du processus de sélection qui a mené l’État à contractualiser Microsoft, afin d’accueillir les données de santé françaises. Le professeur Nisand s’interroge également sur la stratégie d’hébergement des données outre-Atlantique, par une entreprise soumise à une « règle administrative américaine d’exception », le Cloud Act. Il déplore également le manque de transparence et l’absence totale de concertation sur une contractualisation qui aura un impact, sur le plan de la sécurité des données, des enjeux de sécurité et de souveraineté sur des datas qui pourront à l’avenir être facturées aux citoyens français. Pour rappel, depuis le mois de juin 2018, le Cloud Act permet à l’administration américaine d’obtenir la saisie légale et confidentielle de l’ensemble des données stockées dans les datacenters des entreprises américaines, même si ces derniers sont situés à l’étranger.

Dossier médical partagé et données médicales personnelles sans consentement.
Dans son rapport de préfiguration de 2018, rédigé par Marc Cuggia du CHU de Rennes, Dominique Polton de l’INDS et Gilles Wainrib, le Health Data Hub réaffirme la nécessité pour la plateforme de récupérer et les sources les données les plus riches possibles concernant le domaine médical, afin de « constituer de grands jeux de données mobilisant des dossiers patients de plusieurs centres hospitaliers pour avoir une masse critique permettant de réaliser des inférences performantes et précises ». Israël Nisand s’étonne enfin de l’absence de concertation citoyenne, sur des sujets qui touchent pourtant aux données les plus intimes, les plus sensibles, au prix de contournements plus ou moins légaux du secret médical. Un dialogue et une pédagogie qui sont le moteurs du forum, dont le succès se confirme chaque année et plus spécifiquement pour cette 10e édition, dans le contexte de l’adoption in extremis de la loi bioéthique, mardi 4 février. Pour Israël Nisand, l’ambition première du forum est de « parvenir à mettre à la disposition du grand public les enjeux de la bioéthique et ses questionnements, offrir la possibilité à tout un chacun qui le souhaite de s’approcher avec ses propres valeurs de ce champ qu’il estime réservé à une poignée d’experts en lui permettant de se construire son opinion de manière plus élaborée». Un éclairage citoyen et un appel à la vigilance qui prennent tout leur sens, face à l’intérêt croissant des GAFAM pour les données de santé.

Farid GUEHAM

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