Fake news : manip, infox et infodémie en 2021
Farid Gueham | 25 mai 2020
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Elijah O’Donnell
« Il est souvent répété qu’en cas de guerre, la première victime est la vérité. La guerre que nous sommes censés mener au virus Corona n’a pas dérogé à la règle. La contamination informationnelle ( fakes en ligne, théories improbables… ) s’est développée en parallèle à la contamination sanitaire, mais sous des formes plus variées. Cette infodémie ne s’est pas révélée moins contagieuse que la pandémie. Le virus de la rumeur mute, circule et contamine ». François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS et responsable de l’observatoire géostratégique de l’information, met en perspective la propagation de la pandémie et la diffusion de la désinformation, des remèdes miracles à l’origine du virus, des discours politiques contradictoires aux annonces dissonantes de l’autorité scientifique. Le traitement médiatique du virus prend une dimension géopolitique lorsque sont évoqués les fameux « mensonges chinois », quant à la date, l’ampleur et l’expansion du virus. Autre thèse conspirationniste, le virus aurait été fabriqué, ou du moins étudié, dans le laboratoire P4de Wuhan avant de fuiter. « Avec cette complexité – factuelle, scientifique, culturelle, médiatique, politique, internationale, idéologique – l’infodémie nous démontre que tous les citoyens ne vivent pas dans la même réalité. La responsabilité principale n’en revient ni aux mensonges des manipulateurs ni aux rumeurs des imbéciles », affirme l’auteur.
La falsification moderne.
« L’humanité a survécu des millénaires sans théoriser les « fakes ». Bizarrement, nous nous en inquiétons davantage – quand le citoyen lambda ne croit plus aux statistiques du chômage ou fait circuler des photos truquées en ligne – qu’à l’époque de l’imprimé ». C’est en novembre 2016 que le néologisme « post-truth »jusque-là jamais traduit en français, est consacré « mot de l’année », par les Oxford Dictionnaries. Le pic de fréquence dans la référence à ce terme est liée à deux évènements : la campagne du Brexit et l’élection de Donald Trump. La définition du concept identifierait donc « des circonstances où les faits objectifs exercent moins d’influence dans la formation de l’opinion publique que les appels à l’émotion et à la croyance personnelle ». Pour qu’une nouvelle soit qualifiée de « fausse », il faut que le changement à quoi elle se réfère soit inventé ou inexistant. La représentation truquée se fonde sur une production : une image déformant la réalité, un discours à contresens des propos tenus. Il est question de créer des traces, des mots, des images et simplement un porteur « malsain », qui suffira à la diffusion de la désinformation « même si tous les diffuseurs de la chaîne sont de bonne foi ».
Désir de faux.
« Plus la technologie progresse, plus elle demande des moyens sophistiqués – donc investissement en intelligence, en temps et en argent – pour produire des deepfakes convaincants ou pour tromper l’intelligence artificielle ». Le prérequis de l’ industrialisation et de la professionnalisation de « fake news » repose sur l’envie d’en fabriquer et de la diffuser d’une part et l’envie d’une tiers personne d’y croire d’autre part. Pour François-Bernard Huyghe, il existe trois manières de repérer une fausse information : elle contredit la logique, son origine n’est pas attestée et enfin l’intention de tromper semble être établie. Au-delà de leur seul contenu, les fausses informations peuvent avoir pour finalité unique l’attention pure. C’est l’enjeu d’une manœuvre telle que le « clickbait » ou piège à clics, qui appâte par des messages publicitaires afin de rentabiliser le trafic de consultation d’un site. Enfin se réclamer de contre-informations relève de la posture idéologique : en affirmant que l’on s’oppose au contrôle de la presse, de l’administration, que l’on refuse l’idéologie, l’autorité, que l’on se réclament d’autres circuits de diffusion, de sa propre vérité.
Prospérité du faux.
« Chaque jour quelqu’un accuse des manipulateurs 2.0 de saper la démocratie. Les relais humains, médiatiques ou informatiques du Kremlin ou quelque autre « sphère » coupable d’interférences politiques, traque les réseaux complotistes, s’affole de l’irrationalité à la hausse, réclame le contrôle des réseaux sociaux, écosystème des délirants anonymes. C’est une vision épidémique du faux : maladie profitant des vulnérabilités mentales des démocraties ». Les sites de recherche des fakes se multiplient, laissant envisager une promesse non-tenue des média : deux paradoxes s’affirment à commencer par le soupçon envers des réseaux sociaux qui sont l’exact opposé du rôle que l’on pouvait leur attribuer pendant les printemps arabes en 2011 : ils ne sont pas la voix du peuple, juste et non parasitée par la censure d’État. Des mouvements démocratiques devaient se former et les réseaux viendraient à bout des autocrates, « incapables de s’adapter aux nouveaux instruments de la communication tous vers tous ».
Fakes scientifiques et obscurantisme.
« (…) Toutes les polémiques ont aussi un cadre médiatique : le marché intellectuel du doute, la prime à la théorie venant de gens « sincères et indépendants », comme nous, l’explosion de l’argumentation ( chacun pouvant émettre, relayer, discuter, juger, s’indigner, soutenir à son tour), tout cela fleurit en ligne ». ». François-Bernard Huyghe identifie les mediums numériques par nature plus favorables à la contre-information et à la contradiction. Les algorithmes permettraient d’amplifier un phénomène, une polémique ou une mobilisation. Un mécanisme de caisse de résonnance sur lequel viennent se greffer des stratégies de captation de l’information avec les « trolls » ou faux partisans, permettant d’influencer, voire d’inverser la hiérarchie de traitement de l’information.
Coronavirus et fake news.
« L’infodémie de 2020 (contagion planétaire par de fake news durant l’épidémie de cov-19 a aussi rappelé deux réalités : plus la situation fait peur et plus elle brouille les repères ( ici pratiques, la façon de vivre au quotidien, et les culturels, la conviction de vivre dans un monde sécurisé et voué à l’ouverture ), plus nous cherchons des explications alternatives ». La pandémie érige un nouveau concept, celui du « jour d’après », qui prendra une place déterminante dans les relations internationales. Des stratégies d’influence se déploient dans la perspective d’un avenir incertain. Lorsque les régimes autoritaires profitent d’une fenêtre de tir inattendue pour redoubler de contrôle de l’information et des populations, les démocraties s’indignent, dénonçant les fake news et la théorie du complot. La pandémie questionne enfin des valeurs que nous pensions, sinon comme établies, des jalons de nos institutions et de nos rapports aux États : l’Europe protectrice, l’ouverture des frontières, ou l’efficacité de l’État-providence. « Et comme ce sont les population qui souffriront le plus des conséquences économiques et sociales du « jour d’après », ce seront les plus persuadées qu’on leur a menti, que les services publics ont été démantelés, que la Nation a besoin de frontières et de souveraineté, que la mondialisation est une folie, que l’Europe ne peut rien pour nous », conclut François-Bernard Huyghe.
Farid Gueham
Consultant secteur public et contributeur numérique et innovation auprès de la Fondation pour l’innovation politique. Il est notamment l’auteur des études Vers la souveraineté numérique (Fondation pour l’innovation politique, janvier 2017) et Le Fact-Checking : une réponse à la crise de l’information et de la démocratie (Fondation pour l’innovation politique, juillet 2017).
Pour aller plus loin :
– « De la pandémie médiatique : entretien avec François Bernard Huyghe », ojim.fr
– « Vu de l’étranger, le laboratoire de Wuhan symbole d’un échec de la coopération franco-chinoise », courrierinternational.com
– « Deepfake : à retenir – revue européenne des médias et du numérique », la-rem.eu
– « Le site du gouvernement contre les fake-news agace les médias », europe1.fr
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