Génération identitaire censuré : quand Facebook s'arroge les pouvoirs d'un juge
12 mai 2018
TRIBUNE – Le directeur général de la Fondapol Dominique Reynié s’inquiète que les géants d’Internet prennent, en dehors de tout contrôle, des décisions qui touchent aux libertés publiques.
Il n’est pas nécessaire de partager les idées de Génération identitaire pour éprouver une vive inquiétude face à ce qui vient de se passer. Un porte-parole de Facebook a confirmé ce vendredi 4 mai à l’AFP la fermeture de la page du mouvement français. L’entreprise justifie sa décision en ces termes: «Nous n’autorisons pas les discours incitant à la haine sur Facebook, parce que ces discours créent une atmosphère d’intimidation et d’exclusion, et peuvent aboutir à des violences dans le monde réel.» Exhibant ensuite le «code de conduite» signé avec la Commission européenne en 2016, Facebook assure avoir l’obligation de réagir en moins de vingt-quatre heures quand un «discours de haine» lui est signalé par des utilisateurs.
Pourtant, chacun peut consulter, exemple entre mille, des comptes de black blocks, agrémentés de vidéo ou de photos montrant des policiers en flamme, des CRS à terre et blessés, le tout accompagné de commentaires jubilatoires qui expriment souvent de la haine. C’est depuis l’un de ces comptes, toujours actif et dont je n’approuverais pas la suppression, qu’à l’occasion du 1er Mai fut lancé un événement promettant, je cite, «un mai sauvage», auquel se sont inscrits plus de 1100 participants, donnant lieu aux manifestations de haine dont on a pu constater ce jour-là les effets, bel et bien réels, dans les rues de Paris, sans émouvoir Facebook.
Pourquoi un tel parti pris? Chacune des innombrables venelles de cette cité transnationale recèle un ou plusieurs pas-de-porte depuis lesquels on distribue des messages de haine. Quel responsable politique, à part Nicolas Dupont-Aignan, a pensé devoir demander des explications sur les mécanismes et les conditions d’application de ce qui ressemble à un acte de censure d’un genre nouveau? Qui peut dire comment et par qui a été prise la décision de fermer le compte de Génération identitaire? Pourquoi ce compte en particulier, parmi tous ceux qui, souvent, devraient être frappés de la même sanction? Enfin, pourquoi un préfet de la République, le délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), s’est-il publiquement réjoui de la décision de Facebook, dans un tweet dont le texte et la forme semblent vouloir suggérer qu’il avait lui-même pris part à cette décision ou qu’il en avait été informé? S’agit-il d’un pacte de censure entre la puissance publique et l’entreprise privée?
Déjà, en 2016, sous la majorité socialiste, Laurence Rossignol avait inventé un délit d’opinion, le délit d’entrave numérique à l’avortement, qui menace désormais ceux qui diffusent sur le Web des arguments non pas contre le droit à l’avortement, mais pour la possibilité de ne pas y recourir. Or, logiquement, le droit d’y recourir appelant, par définition, le droit de ne pas y recourir, suppose de pouvoir consulter des sources conduisant à des points de vue divers y compris des points de vue opposés. Qui plus est, la répression de ce nouveau délit d’opinion s’accompagnait d’un mécanisme de censure mis à la disposition du gouvernement par les grands opérateurs du Web, ce que ne dissimulait pas la ministre elle-même en présentant sa décision de «réorganiser, avec Google en particulier, le référencement de façon à ce que le site officiel qui est celui du gouvernement, ivg.fr, soit le premier accessible» (France Info,17 septembre 2016).
Déréférencement
Disons, pour simplifier, que l’efficacité de ce mécanisme de référencement et de déréférencement suppose d’engager beaucoup d’argent ou bien d’obtenir la collaboration du maître des lieux, ici Google. Le gouvernement d’alors assumait l’emploi d’une procédure privée, aussi parfaitement invisible que terriblement efficace, offrant le pouvoir de déclasser – en fait d’enfouir – des opinions qu’il réprouvait au profit d’opinions jugées conformes à une doctrine officielle.
Évidemment, le gouvernement n’aurait pu obtenir ce résultat en saisissant une juridiction française ou européenne, plus soucieuse de nos libertés ; s’il y est alors parvenu, c’est en recourant aux services d’une entreprise privée, globale, occupant dans l’espace public, désormais numérique, une position non seulement monopolistique – en France, 95 % des recherches sur internet passent par Google – mais en quelque sorte «architecturale», nos libertés dépendant de plus en plus du Web.
Ces faits nous montrent ainsi que les Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) sont devenus capables d’affirmer une sorte de souveraineté privée, donnant le sentiment de concurrencer ou défier nos États, comme l’illustrent les contentieux fiscaux, voire politiques dans l’affaire Cambridge Analytica. À l’image de l’Europe qui se bat, non sans succès, pour reprendre une partie du terrain abandonné aux Gafa, chacune des nations devrait veiller à ne pas installer ces entreprises dans un rôle qui ne saurait être le leur. Hélas, le Danemark vient de commettre une erreur et une faute, en nommant un diplomate, Casper Klynge, «ambassadeur» auprès des géants de la «tech».
La question posée par la fermeture du compte de Génération identitaire est, à proprement parler, cruciale: il s’agit de savoir si nous sommes engagés dans un processus de privatisation de nos libertés publiques et en dehors de tout contrôle de type juridictionnel ou parlementaire.
*Professeur des universités à Sciences Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol). Dernier ouvrage paru: Les Nouveaux Populismes (Pluriel, nouvelle édition augmentée, 2013).
Article paru dans Le Figaro
http://premium.lefigaro.fr/vox/societe/2018/05/10/31003-20180510ARTFIG00167-generation-identitaire-censure-quand-facebook-s-arroge-les-pouvoirs-d-un-juge.php
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