Internet : ce qui nous échappe : temps, énergie, gestion de nos données.
Farid Gueham | 03 août 2019
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Photo by Federico Beccari.
« Si Internet était un pays, il serait le 5econsommateur mondial d’électricité. Et sa consommation ne cesse d’augmenter. Le charbon et le nucléaire sont les deux plus grandes sources d’énergie d’Internet. (…) Quel argent coule dans ses câbles ? Quelles valeurs met-il en avant ? La promesse de la gratuité, de l’accès libre au savoir, à la communication : qu’en est-il vraiment ? En réalité, chacun d’entre nous paie le prix fort à travers la publicité ciblée, la vente de nos données personnelles, la transformation de chacun d’entre nous en homme- sandwich via son profil LinkedIn, Twitter, Facebook ». Coline Tison, journaliste et réalisatrice, mène une enquête sur l’impact écologique d’internet, mais aussi sur son économie propre, sa temporalité. Un questionnement du réseau mondial à la lumière de ses fonctions, ses promesses, ses valeurs et moyens aussi.
A l’origine, les antagonismes d’Internet.
« Internet est né sur la côte ouest des Etats-Unis. Une terre de pionniers, de méritants, de courageux qui ont marché 8500 km pour aller au bout de leur rêve. Au sud de Sant Francisco, au nord de Los Angeles, la Silicon Valley : 70km de long, 30 km de large. L’espace n’est pas à proprement parler une vallée ». Mais la Silicon Valley, c’est avant tout la convergence de plusieurs facteurs : de l’espace, une bonne université, des entreprises innovantes dans le secteur de l’électronique, de la défense, et une volonté d’innover, historiquement pour faire face à toute attaque de l’ennemi Russe. C’est dans cet environnement qu’Internet voit le jour : pour certains, il s’agit avant tout du réseau, pour d’autres, le protocole TCP/IP, développé dans les années 70, permettant de faire passer l’information sous forme de milliers de petits paquets. Enfin, pour la plupart d’entre nous, Internet se confond avec le « WWW », world wide web, cette toile régie par les protocoles http qui attribuent à chaque site une adresse et un référencement dans un annuaire. En résumé, Internet serait donc à la fois un « joyeux bazar libertaire adepte de vitesse qui encourage l’innovation individuelle (…) un ensemble de protocoles standardisés (…) et la gestion d’une masse de données, qui exige le développement d’intelligence artificielle et de machines », résume Coline Tison.
L’énergie : le carburant d’Internet et les data-centers.
« Les data-centers exigent une énergie stable. Ils consomment, été comme hiver, de jour comme de nuit, peu ou prou la même quantité immense d’électricité. Ils font le bonheur des fournisseurs ». Aux Etats-Unis, le plus gros data-centers ne se situent pas en Californie ou sur la côte ouest : les GAFA ont initialement installé leurs usines numériques là ou l’électricité se faisait la moins chère. C’est à dire en Caroline du Nord et en Virginie, le pays des mines de charbon. Gary s’intéresse ainsi, pour le compte de Greenpeace, à l’impact environnemental de l’énergie pompée par les géants du web, dans un rapport qui dénonce chaque année les mauvais élèves. Et face à l’offensive, les magnats d’Internet se sentent obligés de revoir leur copie sur leur politique énergétique. Comment dès lors se dessine l’avenir énergétique du monde numérique ? « Nous qui croyions qu’Internet, en consommant moins d’énergie, sauverait la banquise, nous découvrons que le réseau et les data-centers sont eux aussi extrêmement voraces », ajoute l’auteure. Comment régler le problème des data-centers et leur consommation sans limite ? Il faut ré-imaginer des solutions. Au lieu d’empiler les serveurs les uns sur les autres, chacun devra à termes reprendre le contrôle sur ses données, et pourquoi pas envisager le stockage à domicile, dans des serveurs privés.
Le temps d’Internet : la victoire de l’instantané.
« Achats en un clic, mails, twitter 140 mots. Vine, quelques secondes de vidéo. Snapchat : une vidéo qui s’efface au bout de cinq secondes. C’est indéniable. Le monde d’Internet est celui de la vitesse, du temps court et saturé, du zapping. Les nouvelles technologies ont modifié notre rapport au temps. Elles ont accéléré nos moyens de production et de communication ». Une accélération technique qui a transformé la société en profondeur, impactant nos rythmes de vie, nos structures économiques et notre vie politique : les sondages sont de plus en plus fréquents, le quinquennat a remplacé le septennat. Les jeunes deviennent adultes de plus en plus rapidement, et le mariage est plus rarement l’engagement d’une vie que par le passé, se réduisant souvent à quelques années.
L’or noir du réseau, les données et leur marchandisation.
« Ces données qui ne cessent d’enfler et dont on commence tout juste à apercevoir le potentiel. Internet nous promet de pouvoir tout garder, tout stocker. Ne jamais trier. Internet nous promet toujours plus : l’accès à des millions de livres, de films, de vidéos. Mais au final, qui en est le propriétaire ? Et quelle histoire sommes-nous en train de construire ? ». Il ne faut pas s’y tromper : nos données ont de la valeur. Faut-il la céder, autorisant la mainmise des algorithmes sur notre existence. La loi de Moore, fondateur du groupe « Intel »,est un peu un des commandements de la Silicon Valley. Ce dernier décrétait « que le nombre de transistors par circuit allait doubler tous les ans, sans que le prix des transistors n’évolue ». Une prédiction qui s’est révélée tout à fait exacte. Quelques exemples permettent d’illustrer ce concept : la capacité de stockage des clés USB s’est considérablement développée, mais la taille de ces dernières n’a pas évolué, elle a même diminué dans certains cas. Un IPhone à la même capacité de calcul que les ordinateurs qui ont lancé la première fusée sur la lune en 1969.
L’énergie cachée d’Internet : le business et la disruptive innovation de la Silicon Valley.
Dans « Le portrait de Dorian Gray »,Oscar Wilde aimait à rappeler que « de nos jours, les gens connaissent le prix de tout, mais la valeur de rien ». Nous voilà projetés dans l’ère de la gratuité et soudainement, la valeur de l’humain diminue. L’ouvrage de Carl Shapiro et Hal Varian « Economie de l’Information – Guide stratégique de l’économie des réseaux », est précieux dans la compréhension du phénomène qui se déroule actuellement. La « disruptive innovation », ou « innovation de rupture », est un concept au premier abord sympathique, signe de changement, d’évolution. Mais voilà, la rupture dont il est question ici est bien une rupture, une cassure : de la même façon qu’Airbnb a brisé l’industrie des petites pensions, les MOOCS en ligne le business des universités, cette innovation de rupture risque aussi de faire des victimes. Selon les termes de Jaron Lanier « ce que l’on va détruire in fine, c’est la valeur de chacun d’entre nous » (…) « Le monde de demain est en train de se construire. Et il nous échappe, nécessairement. Mais c’est peut-être, finalement une bonne chose », conclut Coline Tison.
Pour aller plus loin :
– « Lasilicon valley mêle libéralisme et penchants antidémocratiques », tribune, lefigaro.fr
– « Sondages : la fabrique d’une arme politique », franceculture.fr
– « L’IPhone aurait pu lancer Apollo 11 des millions de fois », iphonesoft.fr
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