La France peut-elle encore réussir des réformes?
21 décembre 2018
Comme les changements technologiques, les réformes remettent en cause l’ordre économique établi. Inévitablement, elles font des perdants qui, sans elles, auraient pu continuer à profiter de la situation antérieure (1). Du point de vue de ces victimes, il est assez légitime de s’opposer à la mutation qui leur est imposée ; et comme elles sont généralement identifiables et en nombre limité, il leur est facile de se mobiliser – à l’inverse des gagnants qui, eux, sont nombreux mais répartis de manière diffuse dans la société.
Le décideur politique peut choisir de compenser ces perdants, par exemple en les indemnisant ou en leur ouvrant de nouvelles perspectives. Il peut également considérer qu’il faudra leur résister. Le pire qu’il puisse faire, c’est de les ignorer, voire de les mépriser en niant la légitimité de leurs inquiétudes.
La France contemporaine a raté maintes réformes en raison de cette défaillance massive de gouvernance : elles ont été imposées (souvent par Bercy) au nom d’un prétendu « intérêt général » que détiendraient, par une magie inexpliquée, les hauts fonctionnaires – seuls Français capables de s’extraire de leurs considérations personnelles pour révéler « la » vérité au peuple hébété. Cette recette condescendante est par nature vouée à l’échec : la politique n’est pas le déroulement d’un plan technocratique parfait qu’imposerait la seule raison éclairée, c’est au contraire la recherche de la meilleure solution compte tenu de la diversité des intérêts et de leurs inévitables frictions. Le nier a nourri le populisme en alimentant l’idée que la réforme n’est pas un processus démocratique.
Dans un pays ayant renoncé à la réforme qui crée de la croissance, la lutte contre les inégalités a promu l’idée que celui qui s’enrichit le fait au détriment des autres
Cette incapacité à penser la politique de la réforme a alimenté également le lent pourrissement de la situation sociale française. Faute de savoir proposer un accompagnement du changement, de trop nombreux politiques ont tenté de le nier et plaidé pour accroître la redistribution comme façon d’acheter la paix sociale.
Miettes. L’effet a été délétère. Dans un pays ayant renoncé à la réforme qui crée de la croissance, la lutte contre les inégalités a promu l’idée que celui qui s’enrichit le fait au détriment des autres : si l’on ne sait plus faire croître la taille du gâteau, celui qui en prend une plus grande part nuit nécessairement aux autres. Dans ce contexte, chacun se bat pour conserver ses miettes, puisque tout mouvement apportera une perte certaine pour un gain illusoire.
Les annonces du président de la République rappellent ces évidences : l’indemnisation des victimes est souvent nécessaire, mais coûteuse et d’autant plus complexe que les finances publiques sont exsangues. Ces déclarations permettront probablement d’éteindre l’incendie des Gilets jaunes. Mais elles ne suffiront pas à long terme si elles ne créent pas de nouvelles perspectives de mobilité pour les Français.
Pour suivre cette voie, il faudrait au contraire insuffler de la liberté dans l’économie et la société française, et révolutionner l’action publique pour proposer des accompagnements réellement efficaces. À ce titre, le « virage social » du gouvernement, s’il semble marquer (enfin) une réintégration des enjeux politiques, n’est pas une bonne nouvelle s’il se concentre sur un discours de « protection ». C’est au contraire une France des opportunités (2) qu’il faut construire !
(2) La France des opportunités, Les Belles Lettres, 2017
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