La révolution transhumaniste : comment la technomédecine et l’ubérisation du monde vont bouleverser nos vies.

31 décembre 2018

« Ne croyez surtout pas qu’il s’agisse de science-fiction : 18 avril 2015, une équipe de généticiens chinois entreprenait d’améliorer le génome de quatre-vingt-trois embryons humains. Jusqu’où ira-t-on dans cette voie ? Sera-il possible un jour (bientôt ? déjà ?) d’augmenter à volonté, tel ou tel trait de caractère de ses enfants, d’éradiquer dans l’embryon les maladies génétiques, voire d’enrayer la vieillesse et la mort en façonnant une nouvelle espèce d’humains « augmentés » ? Luc Ferry nous livre ici sa perception du nouveau monde, de son infrastructure faite d’économie collaborative, celles des plateformes et des GAFAM, celle de la gratuité et de l’hyper-libéralisme. Des perspectives aussi effrayantes qu’enthousiasmantes.

Qu’est-ce que le transhumanisme : un essai de type idéal.  

« En première approximation, il s’agit, comme nous l’avons dit en introduction, du vaste projet d’amélioration de l’humanité actuelle sur tous les plans, physique, intellectuel, émotionnel et moral, grâce aux progrès des sciences et en particulier des biotechnologies ». Le mouvement du transhumanisme entend donc passer du paradigme médical, celui de la thérapie qui à vocation à réparer, à un modèle supérieur ou augmenté. En 2003, un des piliers du mouvement transhumaniste, Max More, propose une définition dans son essai « Principes extropiens 3.0 ». Dans cet essai, l’auteur s’oppose tout simplement à la notion d’entropie, c’est à dire aux idées de désorganisation et de déclin comprises au sens large, rappelant que le projet transhumaniste est fondé sur une conviction, celle d’un progrès sans fin, d’une perfectibilité illimitée de l’espèce humaine, à la fois possible et souhaitable.

Un optimisme technoscientifique à toute épreuve : l’idéal du « solutionnisme ». 

 « Contre toutes formes de pessimisme qui conduisent au « bioconservatisme », contre les idéologies du déclin et du retour à l’âge d’or, le transhumanisme affiche une foi dans le progrès tout à fait comparable à celle qui animait philosophes et savants au temps des lumières ». Dans son essai « Human Genetic Enhancements : a transhumanist perspective »Nick Bostrom s’exprime en ce sens « l’ingénierie germinale humaine aura sans doute quelques conséquences négatives qu’on n’aura pas prévues ou pas pu prévoir. Pour autant, il va de soi que la seule présence de quelques effets négatifs n’est nullement une raison suffisante de s’abstenir. Toutes les technologies majeures impliquent certains effets négatifs, certains effets pervers ». Mais le maintien du statut quo serait tout aussi préjudiciable. Seule une juste comparaison des coûts et des avantages possibles permettrait de parvenir à une décision plus éclairée sur l’opportunité du transhumanisme. Un arrachement à notre état de nature qui s’inscrit dans la continuité de l’humanisme des Lumières, mais aussi aux plus sombres des idéologies : « quoi de pire moralement que la sélection darwinienne, cette élimination des déviants comme des plus faibles, dont les nazis ont fait l’apologie ? » ajoute Luc Ferry.


Sur le même ouvrage, lire l’analyse d’Elisabeth de Castex sur le blog Anthropotechnie :

Le Transhumanisme entend renoncer au tragique de l’existence humaine, renoncer à vivre au prix de la crainte d’une mort et de souffrances annoncées.  Cette idée est, on s’en doute, favorablement accueillie par le le commun des mortels. Mais ce renoncement à la tragédie humaine porte en lui-même, à bien lire Luc Ferry, une autre tragédie : la dépossession démocratique. Et celle-là aussi pourrait bien être fatale aux humains dans l’abdication de la maîtrise de leur propre existence, de « l’avenir biologique et spirituel de l’identité humaine ». 


L’antinomie des biotechnologies : « bioconservateurs » contre « bioprogressistes ». 

 « À vrai dire, les objections les plus sérieuses contre le projet transhumaniste ne sont pas forcément les plus sophistiquées. Elles sont plutôt de l’ordre du bon sens, voire de l’évidence, à commencer par celle-ci, qui vient immédiatement à l’esprit : ne prend-on pas des risques insensés sur le plan tout simplement médical et scientifique en se livrant à des manipulations génétiques germinales, à la fois transmissibles et irréversibles ? Est-on certain que le projet d’améliorer l’humanité va réellement aller vers le mieux plutôt que vers le pire, la monstruosité ? ». Pour les transhumanismes, la recherche scientifique, si elle est encouragée et non entravée, permettra d’enrayer un grand nombre de pathologies, et compte tenu des progrès liés aux dernières recherches en neurosciences ou en génétique, il aurait été absurde de fermer la porte aux espoirs que porte la science dans la lutte contre le vieillissement ou les maladies orphelines.

Les arguments de Francis Fukuyama contre le transhumanisme : la sacralisation de la nature comme norme morale. 

« Si on se place du point de vue des religions traditionnelles, selon lesquelles toute manipulation du vivant est sacrilège, attendu que c’est Dieu et Lui seul qui en détient le monopole, mais si on y ajoute, plus largement, les partisans, croyants ou non, d’une sacralisation / sanctuarisation de la nature humaine du génome, on comprendra qu’entreprendre de modifier la nature humaine puisse apparaître comme la manière la plus sûre de ruiner la morale universelle ». Et cette morale trouve ses racines dans les traits naturels communs à l’ensemble de l’humanité. Ne pas les respecter et vouloir les modifier serait donc un affront à cette éthique de la nature. C’est le cas de Francis Fukuyama, pour qui la modification de la dotation naturelle et biologique des individus, annonce la fin de l’homme en tant qu’espèce.

La tentation du pessimisme ou la joie du désespoir. 

« Comment ne pas le voir ? On ne compte plus les ouvrages qui annoncent la défaite de la civilisation occidentale, le suicide de nos démocraties, la chute vertigineuse du niveau scolaire, la mort du civisme, la montée des communautarismes, l’atomisation du social, la soumission prochaine de l’Occident à l’Islam, la déréliction culturelle, la perte des frontières morales comme géographiques de l’identité nationale, l’effondrement de l’Europe dans l’affairisme américanisé, et au total le déclin irréversible du vieux continent et, en son sein, tout particulièrement, de la France ». Avons-nous succombé au lit confortable et douillet du pessimisme, jusqu’à l’aveuglement ? Nos sociétés post-guerres mondiales, aussi perfectibles soient-elles, et avec tous les défauts qui sont les leurs, n’ont jamais été aussi douces, riches, protectrices, soucieuses des personnes, attachées à leurs droits, leur bien-être, leur éducation, leur culture. Luc Ferry nous met enfin en garde contre la foi du charbonnier, celle prêchée par Mark Zuckerberg, qui nous annonce que les nouvelles technologies doivent nous permettre, si nous nous y prenons bien, « de résoudre tous les problèmes du monde. Rien que ça ! ». Non, tout n’est pas rose au pays de l’innovation, Elon Musk l’a bien compris, lorsqu’il rappelle l’enjeu de la régulation de la recherche : « je pense que nous devrions être très prudents. Si je devais deviner ce qui représente la plus grande menace pour notre existence, je dirais probablement l’intelligence artificielle ». Il en va de la réhabilitation de l’idéal philosophique de la régulation, « une notion désormais aussi vitale tant du côté de la médecine que de l’économie », conclut Luc Ferry.

Farid GUEHAM

Pour aller plus loin :

–       « La révolution transhumaniste », Elisabeth de Castex, Anthropotechnie

–       « La révolution transhumaniste : comment la techno-médecine et l’ubérisation du monde vont bouleverser nos vies »franceculture.fr

–       « Transhumanisme : demain, l’homme amélioré »cnetfrance.fr

–       « Le transhumanisme : une utopie ou un danger », lesechos.fr

–      « Bioéthique: faut-il s’inquiéter des modifications génétiques sur les embryons ? », lexpress.fr

–      « Transhumanisme : notre liberté menacée », Jean-François Mattéi, la-croix.com

–       « L’intelligence artificielle : Elon Musk plaide pour une vraie régulation »,lesechos.fr

 

En savoir toujours plus sur le transhumanisme ?

Découvrez l’excellent blog de la Fondation pour l’innovation politique, Anthropotechnie, animé par Élisabeth de Castex, docteure en science politique :

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Pourquoi, comment et pour qui transformer l’humain ? Depuis la nuit des temps, l’homme court après un idéal prométhéen de maîtrise de son corps. Par le contrôle en amont de ses processus cérébraux, il espère l’empire en aval sur son mental et sur ses comportements. Par le contrôle de son corps, il entend juguler la souffrance physique et psychique. Certes les visées thérapeutiques constituent le fer de lance des recherches. Mais quels sont au fond le sens et les véritables enjeux de cette révolution dans la compréhension d’un corps devenu modifiable et réplicable ?

Ce blog recouvre un domaine consacré à l’amélioration du corps et des capacités humaines, lié aux innovations techniques. Dans les pays anglo-saxons, on parle d’human enhancement, un terme qui évoque l’augmentation plutôt que l’amélioration. La formule renvoie à une acception davantage quantitative que qualitative (improvement). Entre augmentation et amélioration, le vocabulaire de la langue française est la proie d’un certain flottement, à telle enseigne que l’on peine à exprimer pleinement la complexité et la richesse du sujet. Cela traduit sans doute la faible intensité du débat dans l’Hexagone. Ainsi certaines formules sont-elles difficilement traduisibles, comme designer children (« enfants améliorés »), ou bien encore gene editing (« manipulation génétique »). Ce blog vise à occuper cet espace de réflexion laissé vacant et à devenir un lieu de débat pour tous les sujets relatifs à l’amélioration humaine, à l’anthropotechnie.

Dans la ligne éditoriale de la Fondation pour l’innovation politique, fondation libérale, progressiste et européenne, ce blog entend explorer les nouveaux territoires ouverts par l’anthropotechnie, en contribuant à la réflexion et au débat, tout en prenant soin de se tenir à distance tant d’un optimisme béat face aux innovations technologiques que de préoccupations, ou de craintes, mal fondées.

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